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Transport

Biocarburants : un marché à la croisée des chemins

Publié le 2 mai 2023

Par Mohamed Aredjal
10 min de lecture
Malgré la crise énergétique, la filière des biocarburants a poursuivi sa progression en 2022, en particulier le B100 qui a profité d'un alignement de planètes. Mais le bioGNV et le HVO restent des solutions viables, qui veulent promouvoir leurs bénéfices auprès des transporteurs.
Renault Trucks a annoncé en janvier le lancement d'une gamme de tracteurs d'occasion roulant au B100, en partenariat avec Saipol.

C'est ce qu'on appelle un imbroglio. Le 25 janvier 2023, le Conseil d'État a annulé l'arrêté du 11 avril 2022 accordant la vignette Crit'Air 1 aux camions roulant exclusivement B100. Motif : vice de procédure. Non seulement il avait été pris sans consultation publique, ce qui contrevenait aux dispositions de l'article 7 de la Charte de l'Environnement, mais il manquait, en outre, la signature du ministre de l'Intérieur, partie prenante à sa mise en œuvre. De nombreux transporteurs se sont alertés de cette décision, craignant que la vignette Crit'Air 1 de leurs camions B100 exclusif soient remises en causes.

Mais ces derniers ont été vite rassurés : l'arrêté du 4 octobre 2022 demeure, en revanche, toujours en vigueur. Ce texte modifie l'arrêté du 26 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques. Par conséquent, les poids lourds roulant exclusivement au B100 continuent de bénéficier du précieux sésame. Un imbroglio auquel espère mettre fin un collectif de fournisseurs de gaz (composé de Primagaz, Providiris et Gaz'up), qui estime que le gouvernement se trouvera "tôt ou tard conduit à reconsidérer cet arrêté".

"Une partie des motifs invoqués par le Conseil d'État pour annuler l'arrêté du 11 avril 2022 peut être opposée au deuxième arrêté. Ce dernier a été notamment pris sans que ses dispositions fassent l'objet d'une consultation du public", insiste Emmanuel Puvis de Chavannes, directeur des affaires publiques de Primagaz. Estimant que l'arrêté du 4 octobre est très "fragile", le collectif attend désormais que "l'État prenne ses responsabilités"…

Un "manque de concertation"

Oleo100 Saipol

Saipol met à disposition de ses clients une cuve, pendant la durée du contrat, qui nécessite un emplacement conforme et privatif. La taille de la cuve est adaptée en fonction de la consommation annuelle du client, afin d'assurer une rotation d'Oleo100 permettant de garantir la qualité du produit.

La vignette Crit'Air 1 du B100 est-elle réellement menacée ? Pas si sûr selon Claire Duhamel, directrice générale d'Oleo100 : "Le cadre règlementaire est à ce stade stabilisé. Et il n'y a pas de remise en cause sur le fond de l'attribution de la vignette Crit'Air 1 aux véhicules B100 exclusifs. En effet, le Conseil d'État a rendu sa décision concernant la demande d'annulation de l'arrêté du 11 avril 2022 permettant aux véhicules (poids lourds, bus et autocars) fonctionnant exclusivement au B100 d'être éligibles à la vignette Crit'Air 1. Cette décision repose exclusivement sur des motifs de forme et de procédure. En aucun cas, le Conseil d'État ne remet en cause les qualités environnementales du B100".

Du côté des constructeurs, on se veut aussi confiant. Chez Renault Trucks, Olivier Metzger, directeur des énergies alternatives, estime en effet que la décision du Conseil d'État n'a pas remis en cause les atouts du B100. "Rien ne devrait donc mettre en péril la pérennité de l'éligibilité du B100 exclusif à la vignette Crit'Air 1", ajoute-t-il. Même son de cloche du côté de MAN où Jean-Yves Kerbrat, directeur général de la filiale française, confirme que cet annulé pour défaut de procédure ne remet pas en cause les bénéfices du biocarburant issu du colza.

Cette querelle entre partisans du gaz et du B100 n'en vient pas moins apporter de nouvelles incertitudes à des transporteurs confrontés à une transition énergétique qui suscite déjà de nombreuses interrogations… Outre la multiplicité des énergies alternatives qui s'offre aux exploitants, ces derniers doivent composer avec un environnement réglementaire fluctuant. À commencer par le calendrier hétérogène de mise en place des ZFE.

Dans cet environnement complexe, Etienne Valtel, directeur général du fournisseur de carburants alternatifs Altens, regrette l'absence d'une réelle politique de décarbonation du transport routier de marchandises au plus haut sommet de l'État.

"Ce qui est dommageable dans cette histoire, c'est que l'attribution de la vignette Crit'Air 1 pour le B100 n'a pas été préparée… Il aurait fallu mettre en place des discussions en amont, une concertation avec l'ensemble des acteurs. Ce qui aurait permis de donner au B100 la vignette Crit'Air 1 tout en permettant au GNV de conserver sa place auprès des transporteurs. D'autant que le gaz bénéficie d'un ancrage local et bénéficie au secteur de l'agriculture, qui en a bien besoin. […] Je regrette que cette concertation n'ait pas eu lieu, d'autant plus que le transport a besoin toutes ces solutions puisque le B100 ne suffira pas à couvrir les demandes de l'ensemble de la filière."

Le B100, une solution accessible

S'il ne permet d'assurer, à lui seul, la transition énergétique du TRM, le B100 présente l'avantage de constituer l'une des seules solutions de décarbonation aujourd'hui accessibles aux flottes de poids lourds. "C'est un premier pas dans la transition énergétique", confirme Olivier Metzger. Outre la vignette Crit'Air 1 – indispensable sésame pour accéder aux ZFE – pour les véhicules B100 exclusif, le biodiesel promet une réduction d'environ 60 % des émissions de CO2 et de 80 % des émissions de particules fines par rapport au gazole tout en restant 100 % biodégradable.

Il est, en outre, moins inflammable que le diesel, ce qui facilite son transport et sa manipulation (et permet de se passer d'autorisation préfectorale pour son stockage). Sur le plan financier, le biocarburant bénéficie aussi de plusieurs atouts : un tarif indexé sur celui du gazole, un suramortissement de 40 à 60 % sur le prix d'achat (B100 exclusif uniquement), et une TICPE réduite à 11,83 centimes par litre. Enfin, le B100 a également la caractéristique d'être miscible avec le diesel. Un attribut très précieux dans le contexte de crise énergétique que nous avons connaissons actuellement.

A lire aussi : Oleo100 séduit son 1 000e client

"L'avantage des biocarburants, c'est qu'il est possible de faire marche arrière. C'est la problématique qu'a connu le gaz l'an dernier : lorsque son prix a grimpé en flèche, de nombreux transporteurs se sont retrouvés coincés avec des flottes difficilement exploitables. Avec le B100 ou le HVO, il est possible de repasser au gazole. C'est une option plus flexible", souligne le directeur général d'Altens. Grâce à ces nombreux atouts, le B100 est devenu ces derniers mois la star des biocarburants dans l'Hexagone.

"C'est une énergie facile à mettre en place qui a suscité beaucoup d'intérêt chez les transporteurs. Nous avons immatriculé 760 véhicules B100 exclusif en 2022, soit une part de marché de 77 % pour Renault Trucks", confie Olivier Metzger. Du côté de MAN, le B100 et HVO représentent désormais 10 % des ventes de la marque. "Ce qui est significatif", affirme Jean-Yves Kerbrat.

L'heure est aussi à la satisfaction chez Saipol, producteur de l'Oleo 100, qui a franchi en février dernier le cap des 1 000 utilisateurs en France. "Notre énergie a trouvé sa place au sein du mix énergétique des transports et est une solution immédiatement disponible pour décarboner le transport. L'année 2022 a également permis de confirmer notre performance à la fois en termes de prix, et en termes de fiabilité de la logistique vers nos clients qui ont, pour certains, subi les pénuries de gazole", se félicite Claire Duhamel.

Élargir l'accès au biodiesel ?

neste hvo

Le Neste MY Renewable Diesel génère très peu d'impuretés lorsqu'il brûle dans un moteur, et réduit nettement les émissions de particules, d'hydrocarbures et d'oxydes d'azote d'un véhicule, prolongeant la durée de vie des filtres à particules et les propriétés de l'huile moteur.

Si le B100 séduit de plus en plus, le carburant présente toutefois quelques contraintes dans son utilisation. Tout d'abord, sa distribution reste limitée aux flottes captives et nécessite donc l'installation d'une cuve. Chez Saipol, on recommande une taille minimale de 12 m3 pour un volume annuel d'environ 40 m3. "Tous les transporteurs ne disposent pas de l'espace suffisant pour ce type d'installation. Il faudrait démocratiser son accès et permettre la mise en place de cuves partagées entre plusieurs partenaires, au sein d'un groupement de transporteurs par exemple", reconnaît Etienne Valtel.

Une observation partagée par de nombreux acteurs de la filière qui appellent à une plus large distribution du biodiesel. Chez CEVA Logistics, Sandra Villeminot, responsable du développement durable du fret routier et ferroviaire, regrette ainsi que les commissionnaires de transport n'aient pas la possibilité de disposer d'une cuve pour la mettre à la disposition de leurs partenaires. "Nous n'avons pas accès aux biocarburants, B100 ou XTL. Nous sommes bloqués face à des clients prêts à payer pour une prestation décarbonée et des transporteurs régionaux qui n'ont pas les moyens d'installer une cuve. Nous souhaitons nous positionner comme facilitateur mais la loi nous l'interdit", déplore-t-elle.

Mais ce n'est pas la seule contrainte du B100 : outre une légère surconsommation (+3 à 8 % par rapport au diesel selon les modèles) et des échéances d'entretien plus rapprochées, le biodiesel issu du colza émet 64 % de plus d'oxydes d'azote (NOx) que le diesel conventionnel en milieu urbain selon une étude de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de 2020. "Le HVO n'a pas du tout cet inconvénient", rappelle Etienne Valtel.

L'oublié HVO

Sur ce point, ce dernier dénonce les incohérences des pouvoirs publics dans la politique du "deux poids, deux mesures" accordée au HVO (ou XTL) et au B100. "On ne demande pas au HVO la même chose qu'au B100…", observe le dirigeant. Une position partagée par le groupe Neste, producteur de biocarburants, qui regrette notamment que ce biocarburant ne bénéficie pas de la vignette Crit'Air 1 au même titre que le B100.

"Dans un contexte de crise climatique et énergétique qui nous oblige à agir, et sachant l'importance que le gouvernement français attache à la décarbonation des transports, il n'est pas concevable que l'utilisation du XTL-HVO 100 soit entravée. […] Il est pourtant vendu aux transporteurs moins cher que son coût réel grâce à l'effet du ''certificat'' lié au dispositif de la Tiruert (taxe incitative relative à l'utilisation de l'énergie renouvelable dans les transports, ndlr). Cet effet est bénéfique car, par effet de transfert, il augmente le prix des carburants fossiles et allège le prix des carburants renouvelables", indique Sandrine Nelissen Grade, responsable affaires publiques France du groupe finlandais.

Cette situation est d'autant plus injustifiée selon Neste que le XTLHVO100 représente la seule solution de décarbonation des flottes viable à court terme. Se présentant comme un "diesel renouvelable" et non comme un biodiesel, le Neste MY Renewable Diesel peut être fabriqué à partir de toute biomasse organique, notamment divers déchets et résidus. Son processus de fabrication lui assure des propriétés chimiques similaires à celles du diesel fossile.

Il peut être stocké pendant de longues périodes, sans que ses propriétés ne soient modifiées, quand le biodiesel doit généralement être utilisé dans les six mois suivant sa fabrication afin de minimiser les risques de développement microbien. Autre atout du Neste MY Renewable Diesel : il peut être stocké en basse température (jusqu'à - 40°C selon le fabricant) quand le B100 est non-utilisable à des températures inférieures à - 5 ou - 10°C.

Enfin, l'indice de cétane du HVO (supérieur à 70) lui permet de faciliter le démarrage des moteurs par temps froid et réduit la consommation de carburant, notamment lors de la conduite en milieu urbain. "Alors que pour un transporteur, le XTL/HVO100 est la meilleure solution technique, et aussi la plus efficace en termes d'émissions de polluants, c'est aussi le produit qui est le moins soutenu et que les opérateurs pétroliers tentent d'éviter le plus possible dans leur mix biocarburant", regrette Sandrine Nelissen Grade.

Pour promouvoir ses solutions sur le territoire hexagonal – qui représente un "marché clé" – le groupe Neste travaille aujourd'hui avec plusieurs distributeurs (Bolloré Énergies, Altens et Vallier Énergies) et plusieurs constructeurs, dont MAN. "La plupart des constructeurs recommandent déjà l'utilisation du HVO100-XTL pour réduire les gaz à effet de serre. Et certains constructeurs comme Volvo Group et Liebherr utilisent notre carburant pour faire le plein des véhicules avant qu'ils ne quittent l'usine", complète la responsable affaires publiques France du fabricant nordique.

Le bioGNV à la relance

Dans un contexte de flambée des prix de l'énergie, le GNV n'a pas été épargné l'an dernier. Alors que son tarif était jusqu'ici inférieur de 20 % à 30 % à celui du diesel, il a fortement augmenté en 2022, pénalisant de nombreuses flottes. Selon le bilan annuel des coûts du transport routier du CNR, le prix de revient complet des poids lourds exploités en TRM a, en effet, augmenté de 43,3 % pour un véhicule roulant au gaz naturel (GNC ou GNL) contre une hausse de 18,5 % pour un camion roulant au gazole.

Iveco Gaz

Face à la hausse des prix du gaz, Iveco a mis en place une offre de financement sur les véhicules neufs avec les six premiers loyers réduits. Le constructeur propose aussi une offre de financement pour accompagner ses clients dans la saisonnalité avec des loyers réduits sur les périodes de baisse d'activité.

"L'indice CNR carburant GNV a été multiplié par trois entre septembre 2021 et septembre 2022. Il atteint en septembre 2022 son niveau record depuis août 2019 (date de première publication) : 427 vs 100", précise le Comité national routier. Dans ce contexte, le développement de la filière bioGNV a été freiné, peinant à séduire de nouveaux transporteurs. " En 2022, la demande de tracteurs GNV, véhicules généralement affectés aux missions régionales, nationales et internationales et parcourant de 100 à 240 000 km/an a été impactée par les prix très élevés du GNV", admet Clément Chandon, directeur produits d'Iveco France.

Aujourd'hui, ce dernier se montre plus optimiste et rappelle que la baisse rapide des cours du gaz devrait permettre au biogaz de retrouver son attractivité auprès des flottes. "Nous sommes à nouveau en discussion pour des affaires de plus de 100 tracteurs chez certains clients", ajoute Clément Chandon.

Cette ambition est soutenue par l'Association française du gaz naturel véhicules (AFNV), qui veut encourager le développement du biométhane, aujourd'hui majoritairement obtenu par la fermentation de déchets organiques. "En France, si le gaz carburant s'est développé au départ grâce au GNV, notre filière utilise aujourd'hui une part croissante de biométhane (environ 25 % en 2022 contre 13 % en 2021), et affiche l'ambition d'atteindre 100 % de BioGNV d'ici 2033", annonce l'organisation. Cette dernière rappelle d'ailleurs que le BioGNV issu d'une production locale permet de décarboner efficacement en analyse de cycle de vie (ACV).

A lire aussi : Altens lance une plateforme collaborative des données carbone

"Une étude de Carbone 4 de novembre 2020 chiffre à 360 gCO2eq/km l'empreinte carbone d'un autobus vendu en 2020 et roulant au BioGNV, contre 499 gCO2eq/ km pour un autobus comparable qui roulerait avec une électricité de type ''mix européen''. Soit une réduction des émissions carbonées de 77 % par rapport au diesel (1 544 gCO2eq/ km)."

Pour assurer la pérennité de la filière, ses acteurs appellent désormais à une dissociation de la tarification du bioGNV à celle du gaz fossile. "L'État dispose d'un mécanisme performant, la Tiruert, permettant d'assurer la décorrélation du prix des énergies renouvelables du prix des carburants fossiles. Les biodiesels, l'hydrogène vert et bas carbone et l'électricité d'origine renouvelable profitent déjà de ce dispositif. L'intégration du bioGNV au dispositif Tiruert permettrait non seulement de décorréler son prix de celui du gaz fossile, mais aussi d'assurer sa compétitivité par rapport au gazole et traiter toutes les énergies renouvelables de la même manière", conclut Clément Chandon.

Une chose est sûre : si la hausse du prix du gaz a naturellement inquiété les professionnels l'an dernier, les "gaziers" se montrent optimistes, rappelant que les transporteurs ont des visions à moyen et long termes, et raisonnent sur des durées d'amortissement de plusieurs années.

 

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