Le pneumatique au centre de la connectivité

Le poste pneumatique représente environ 2 % du coût d'exploitation d'un poids lourd. Mais il influe sur plus de 50 % des coûts totaux d'exploitation : consommation de carburant, entretien et réparations, etc. C'est ce que rappelle souvent Continental dans sa communication. Et c'est une des raisons évidentes de l'intérêt toujours plus grand porté à la liaison au sol des camions. Les télématiciens se penchent sur le sujet depuis plusieurs années maintenant, et les manufacturiers eux-mêmes ne cessent de développer et perfectionner leurs solutions connectées pour accompagner au mieux leurs clients.
À chaque manufacturier sa connectivité
Continental, justement, va refondre son offre digitale ContiConnect en 2025. La version Pro contiendra l'ensemble des fonctionnalités avec toutes les innovations et la version Lite sera une offre allégée et gratuite. Le manufacturier a initié sa panoplie digitale il y a plus de dix ans, avec le Conti Pressure Check qui, grâce à un capteur, récupérait les informations de pression et de température du pneumatique. "À l'époque, nous voulions nous démarquer avec cette partie température, que n'offraient généralement pas les TPMS, retrace Nicolas Bonnay, responsable des solutions digitales de Continental. Cette partie n'était pas connectée : elle donnait une information récupérée au niveau d'un boîtier sur le véhicule et n'était transmise qu'au conducteur."
Les choses ont évolué, Continental a perfectionné ses enveloppes et y a placé des capteurs de nouvelle génération, tout en créant ContiConnect. Gestion des données, alertes sur l'état des pneus, planification des entretiens… La connectivité a alors franchi un cap, et ContiConnect Pro a regroupé toutes les fonctionnalités développées par le manufacturier. On recense notamment Yard, qui récupère les informations des capteurs quand le véhicule s'arrête à une borne dédiée. "C'est intéressant pour nos clients dont les camions rentrent tous les jours. Pour ceux qui sont sur la route plusieurs jours voire semaines, nous avons développé Live, en 2023 : le boîtier installé à l'intérieur du véhicule récupère les informations des capteurs et les transmet en direct à ContiConnect", informe Nicolas Bonnay.
Pression, température, kilométrage, géolocalisation… Tout est accessible en temps réel pour chaque camion et surtout, le conducteur comme le gestionnaire peuvent bénéficier d'alertes en cas de souci. À l'été 2025, Continental passera de la 2e à la 3e génération de capteurs. "Elle offrira toutes les informations d'usure et de profondeur de structure de nos pneumatiques. Le kilométrage sera plus précis car l'algorithme a été affiné. C'est une nouvelle génération très attendue, qui ne nécessitera pas de changer de capteur dans les pneumatiques, car il est évolutif. Il faudra juste une mise à jour de l'algorithme", détaille Nicolas Bonnay.
Avec la nouvelle réglementation R141, chaque camion neuf doit être équipé d'un TPMS qui peut alerter le conducteur en temps réel en cas de défaillance. ©Geotab
Continental, Michelin, Goodyear…
Michelin Connected Fleet accompagne aussi les clients pneus de la marque française avec sa solution Connected Mobility, dévoilée lors de Solutrans 2023. "Notre offre combine nos pneumatiques avec toutes les performances qu'ils peuvent amener et leur capacité à répondre à différentes contraintes des transporteurs ; notre outil de gestion de flotte et, nouvellement, notre outil de maintenance prédictive", expose Anthony Mompo, directeur marketing de Michelin Connected Fleet.
De son côté, Goodyear a présenté, à l'été 2024, Tires-as-a-service. Cette solution se fonde sur un modèle de redevance kilométrique et combine des technologies prédictives de pointe, le réseau du manufacturier et une gestion externalisée du poste pneumatique. Le système de gonflage automatique des pneumatiques auto-alimenté Halo Tire Inflator est inclus. Tires-as-a-service s'appuie sur l'offre reconnue Goodyear Total Mobility, en allant plus loin : le manufacturier propose aux transporteurs de gérer pour leur compte l'intégralité de leur poste pneumatique. Goodyear dispose de moult solutions connectées, dont son TPMS, DrivePoint et CheckPoint, qui "permettent la planification de la maintenance et alertent les gestionnaires de parc et les chauffeurs en cas d'anomalie relative à la pression, la température et la hauteur de gomme des pneumatiques", décrit Christophe Kuss, responsable marketing des activités poids lourd de Goodyear EMEA.
Une connectivité indépendante des pneus
D'un point de vue matériel, tout part généralement du capteur dans le pneumatique. Celui-ci communique avec un boîtier récepteur, connecté à l'EBS, qui se charge de renvoyer les informations récoltées. Mais faut-il forcément être équipé de la même marque que celle qui fournit la technologie ? "Nos solutions fonctionnent indépendamment de la marque des pneumatiques", assure Christophe Kuss, qui tient évidemment à rappeler que "l'utilisation de pneumatiques premium Goodyear garantit la meilleure performance globale".
Même son de cloche chez Michelin Connected Fleet : un transporteur ayant des camions chaussés de Continental, Goodyear ou Bridgestone peut faire le choix de n'utiliser que Connected Mobility. "Nous sommes agnostiques sur notre gestion client, sans quoi nous ne serions pas crédibles. Le client Connected Fleet n'a pas d'obligation d'avoir des pneus Michelin, mais nous lui démontrons qu'une différenciation se crée en cumulant notre pneu et notre offre", avance Anthony Mompo.
Quand les clients recherchent une optimisation de la durée de vie de leurs pneumatiques, une baisse de leur consommation de carburant et une amélioration de la performance de leur flotte, ces acteurs ont généralement des chiffres convaincants à leur montrer. Avant son déploiement officiel, Goodyear a testé Tires-as-a-service sur plusieurs flottes aux États-Unis et en Europe. Pour un transporteur du Vieux Continent, la solution a permis "de réduire de près de 50 % les immobilisations soudaines engendrées par des incidents pneumatiques, et jusqu'à 4 % sa consommation de carburant, par rapport à l'année précédente", affirme Christophe Kuss.
Les manufacturiers développent de plus en plus d'offres connectées pour accompagner leurs clients dans la gestion de leurs pneus. C'est le cas de Goodyear avec Tires-as-a-service. ©Goodyear
Les économies liées au pneu se font surtout sur le carburant et la sécurité, ce qui débouche sur des coûts de maintenance plus maîtrisés. "Avec notre solution d'inspection automatique, Michelin Smart Predictive Tire, nos clients réduisent jusqu'à 80 % le nombre de pannes dues à des problèmes de pression, et jusqu'à 2 % leur consommation de carburant, enchérit Anthony Mompo. Pour une flotte de 200 véhicules immatriculés qui doit effectuer 45 dépannages par an suite à une perte de pression des pneus, Smart Predictive Tire permettra d'éviter jusqu'à 36 trajets à risque et d'économiser jusqu'à 36 000 euros de frais de dépannage, et jusqu'à 155 000 euros en frais de carburant. Mais aussi de réduire les émissions de CO 2 jusqu'à 320 tonnes, et la consommation de matières premières jusqu'à 4 tonnes."
Les solutions des télématiciens pour le pneu
Et ensuite ? Le pneumatique est-il une fin en soi ? Assurément pas. "Beaucoup de choses partent du pneumatique, mais nous essayons d'aller plus loin en proposant des solutions pour la gestion de flotte entière : pour la planification des entretiens, pour anticiper toutes les anomalies qu'il peut y avoir, etc.", indique Nicolas Bonnay. Forcément, les manufacturiers ne se trouvent pas seuls sur ce marché. Les télématiciens purs et durs sont aussi de la partie. "Le pneumatique est une porte d'entrée, il est donc important pour nous d'être capables d'en remonter des données, confirme François Denis, directeur général France de Geotab. On étudie sa pression, son usure naturelle et celle liée au comportement du conducteur. En modifiant les pratiques, on peut aller vers une plus grande sécurité et des économies financières."
Après un partenariat avec Pirelli il y a quelques années, Geotab revient sur ce segment avec une approche différente. Dès le premier trimestre 2025, le télématicien aura comme partenaire européen (il l'est déjà sur d'autres continents) Revvo, fournisseur de systèmes de surveillance à distance des pneumatiques en temps réel. Les solutions seront accessibles directement sur la marketplace de Geotab. Autre acteur de renom, ZF a décidé de partir d'une feuille blanche pour créer sa plateforme d'orchestration Scalar, développée à base de microservices interconnectés mais indépendants les uns des autres. "Nous essayons d'avoir de la valeur ajoutée en ne faisant pas que du pneumatique, confie Philippe Sans, country manager Scalar France. Tout est un peu transverse entre les parties pneu, maintenance, prévention, remorque, anomalie, écoconduite… C'est un ensemble de données pour que le client puisse augmenter son retour sur investissement."
Des rapprochements
Parfois, c'est le télématicien qui intéresse le manufacturier, comme Webfleet qui a été racheté par Bridgestone en 2019. "Cela nous permet d'avoir une approche globale, indique Annick Renoux, responsable France et Benelux de Webfleet. Nous avons la possibilité d'enrichir le tableau de bord du client et d'associer aussi bien les coûts pour la partie pneumatique que la télématique. Tachygraphe, suivi de température, caméra embarquée… Nous avons ce que souhaitent généralement les transporteurs."
Depuis juillet 2024, une réglementation attendue est entrée en vigueur : la R141. Désormais, chaque véhicule de plus de 3,5 tonnes immatriculé dans l'Union européenne doit être doté d'un système de surveillance de la pression des pneumatiques (TPMS). Celui-ci doit être capable, en cas de défaillance, d'alerter le conducteur en temps réel. "C'est une excellente initiative que nous soutenons du fait de son objectif d'améliorer la sécurité routière, salue Christophe Kuss. Cette nouvelle réglementation met une lumière accrue sur l'importance d'un système TPMS et ses bénéfices potentiels."
De manière générale, le constat est que les remorques sont moins équipées que les tracteurs. Avec cette réglementation R141, les choses vont peut-être changer : les remorques neuves seront toutes connectées, ce qui pourra inciter les transporteurs à en faire de même pour celles qui sont déjà présentes dans leur flotte. "C'est un marché à conquérir, car les remorques ont souvent une durée de vie plus élevée que les tracteurs. Ce sont donc des éléments roulants sur lesquels la sécurité est particulièrement importante", insiste François Denis. Geotab peut remonter les données de pression des pneus des remorques, directement si les données sont disponibles, ou via Revvo.
Réglementation R141 : un marché à conquérir
Les acteurs disposent généralement d'une offre dédiée aux tracteurs. C'est le cas de Michelin Connected Fleet avec Trailer Premium. "Nous ciblons le marché des remorques depuis plusieurs années, car il y en a environ 30 % de plus que de tracteurs sur le marché, et leur gestion présente de réelles contraintes : la localisation et l'optimisation, la disponibilité pour maintenance, l'état de la remorque, de ses pièces d'usure et de sa cargaison, notamment pour les frigos", détaille Anthony Mompo. Trailer Premium promet ainsi, quelle que soit la marque de la remorque, d'optimiser le taux de remplissage, de maîtriser le suivi de la chaîne du froid, d'améliorer la sécurité du conducteur et de réduire les coûts d'opération.
"Plus des deux tiers des incidents entraînant l'arrêt du véhicule sont dus aux pneus, reprend Anthony Mompo. Un de nos clients a pu constater une réduction de 80 % de son nombre d'incidents grâce à cette solution. Par ailleurs, la maintenance d'une remorque peut représenter jusqu'à 5 000 euros par an, sans compter les pertes de chiffre d'affaires dues à son immobilisation."
Des coûts qui peuvent être abaissés par la maintenance prédictive. Webfleet dispose aussi de sa solution dédiée aux remorques, avec Link 350, dont les avantages annoncés sont du même acabit. "Le boîtier communique avec le système EBS de la remorque et nous permet de remonter les données, résume Annick Renoux. Link 350 réduit le risque de panne et de perturbation de l'emploi du temps du transporteur, grâce à la détection préventive des problèmes de pneumatiques."
Les télématiciens s'intéressent aux pneumatiques. Pour certains, il s'agit d'un point d'entrée pour ajouter plus de connectivité dans le camion. ©ZF
La filiale de Bridgestone n'a pas attendu la réglementation R141 pour travailler sur le sujet, et a choisi de s'occuper des solutions en post-monte et de partenariats avec des fabricants de remorques. C'est notamment le cas avec Schmitz Cargobull. "D'autres partenariats suivront. Ils sont essentiels pour remonter la donnée", pointe Annick Renoux. Sans eux, les télématiciens sont dépendants de l'accessibilité aux données, sujet parfois tortueux. Webfleet affirme que toutes ses données sont disponibles par API (application programming interface, autrement dit l'interface logicielle qui assure le transfert de données), pour permettre de les interfacer avec d'autres outils utilisés par les transporteurs.
De même pour Continental avec sa solution ContiConnect. "Il y a des acteurs de partout au niveau de la télématique, et il n'est pas possible de pouvoir s'ouvrir à chaque télématicien. La seule solution est d'ouvrir son code source. Voilà pourquoi nous ouvrons nos API. N'importe quel télématicien peut ainsi récupérer les données de notre capteur", développe Nicolas Bonnay, qui rappelle malgré tout que "tout le monde ne le fait pas".
S'ouvrir aux autres
Chez ZF, Phillipe Sans abonde : "Je n'ai pas le sentiment que les constructeurs sont très motivés pour partager les données", déplore-t-il. Voilà une raison pour laquelle le télématicien collabore avec nombre d'entre eux. Côté froid, Scalar intègre les données, entre autres, de Thermo King, et a déjà fait de même avec plusieurs constructeurs. Depuis 2021, ZF travaille avec Goodyear. Sur ses pneumatiques, le manufacturier utilise, dès que c'est possible, les capteurs de pression du télématicien, et systématiquement ses boitiers télématiques, qui sont connecté à l'EBS pour rapatrier les données sur le portail de Goodyear.
"Les collaborations vont continuer de prendre de l'ampleur, car on ne peut pas être bon partout. Quand on fait tout, on est moyen partout, ou très bon quelque part et mauvais ailleurs. Il faut s'entourer de spécialistes. Le manufacturier est bon dans le pneu mais n'est pas télématicien. Donc, travailler main dans la main permet au client final d'avoir plus de valeur ajoutée", argumente Philippe Sans, qui ne voit pas de concurrence entre télématicien et manufacturier, mais plutôt une complémentarité.
Christophe Kuss, chez son partenaire Goodyear, valide cette idée de complémentarité entre les deux parties : "Face à la multitude des propositions sur le marché, avoir une solution intégrée fournie par deux acteurs majeurs dans leur domaine simplifie la prise de décision du chef d'entreprise. Pour le transporteur, l'offre Goodyear et ZF est un investissement dans une seule technologie pour avoir accès à l'ensemble des outils qui sont proposés dans le cadre de notre collaboration." Car au final, l'enjeu est bien là : offrir une solution qui réponde aux besoins du client transporteur. Ce dernier, en quête d'efficacité et d'économies, recherche des solutions qui lui rapporteront plus qu'elles ne lui coûtent, tant en argent qu'en temps.
Et le retour sur investissement promis par ces différents acteurs de la connectivité est grand. "Le transporteur réalise des économies importantes et rapides, confirme François Denis. Il y a d'abord tout un gain sur la conduite du conducteur. La télématique permet aussi de réduire tous ces coûts : de pneumatiques, mais aussi de freinage, de consommation…" Nicolas Bonnay conclut avec un cas d'usage particulièrement parlant : "On ne peut pas faire disparaître les réparations et les anomalies, mais on cherche à les anticiper avec l'analyse prédictive. Le moindre dépannage chronophage et coûteux qui est évité rentabilise l'investissement en connectivité." Difficile de faire mieux.