P.-A. Jung et O. Perrin (Tred Union) : "Nous nous sommes positionnés sur l'achat de camions"
Quelles ont été les annonces réservées à vos adhérents lors de votre dernière assemblée générale, réunie fin février ?
Paul-Antoine Jung : Nous avons fait le point sur l'avancement des grandes orientations stratégiques qui avaient été présentées lors de ma prise de fonction, en février 2023. Nous sommes toujours en phase d'organisation, notamment sur le sujet de notre stratégie d'achats, pour laquelle nous avons émis plusieurs pistes avec le comité de direction. Ces réflexions ont été soumises aux adhérents car elles impliquent des changements importants qui nécessitent leur validation.
Olivier Perrin : Nous avons mené pour la première fois en 2023 plusieurs actions d'achats groupés, avec plus ou moins de succès selon les sujets abordés. Nous nous sommes notamment positionnés sur l'achat de camions, c'est une nouveauté pour le groupement. Plusieurs appels d'offres ont été lancés auprès de constructeurs dans une période assez délicate, puisque la disponibilité des véhicules était assez réduite. Toutes les marques n'ont donc pas répondu à cet appel d'offres qui reposait sur des intentions d'achats. Il n'y avait pas d'engagement ferme pour nos adhérents. Tout ceci est nouveau pour Tred Union, et nous voulons aller plus loin. L'un de nos objectifs est d'avancer sur la délégation d'achats pour permettre au groupement de s'engager sur des volumes. Ce qui nous permettra de bénéficier de meilleures conditions tarifaires.
P.-A.J. : Il faut rappeler que l'année 2023 a été effectivement très particulière, puisque les constructeurs affichaient des délais de livraison s'élevant jusqu'à 18 mois. Ce n'était pas le meilleur moment pour ouvrir des négociations… Aujourd'hui, la situation a changé et nous aurons de meilleures réponses.
Quel est le volume de véhicules potentiel concerné par cet appel d'offres ?
O.P. : Pour vous donner une idée de la taille du projet, Tred Union représente environ 7 000 véhicules moteurs pour 10 000 salariés. Avec des véhicules renouvelés tous les sept ans en moyenne, ça représente 600 à 700 camions changés tous les ans. Sur ce volume, nous devons évaluer le nombre de véhicules pour lequel nos adhérents peuvent s'engager. L'appel d'offres porte à la fois sur des tracteurs (régional et zone longue) et sur des porteurs (26, 19 et 12 tonnes). Côté énergies, nous nous orientons vers un mix de technologies adaptées aux activités de nos adhérents.
P.-A.J. : Aujourd'hui, quand on se penche sur la décarbonation des flottes, les deux carburants privilégiés par nos adhérents restent le HVO et le B100. Ce sont des motorisations thermiques assez classiques qui ne nécessitent pas une mise en place très complexe.
Quelles seront vos autres priorités dans le cadre de cette stratégie d'achats groupés ?
O.P. : Nous avons aussi travaillé sur le pneumatique l'an dernier. Mais malgré des volumes importants, les prix proposés n'ont pas été à la hauteur de nos attentes. Je ne sais pas s'il faut faire le lien avec la récente enquête menée par la Commission européenne concernant une possible entente des manufacturiers sur les prix… Le groupement s'est également positionné sur l'achat de produits d'arrimage. C'était un besoin global de nos adhérents et nous avons commandé d'importants volumes, notamment de sangles à cliquets inversés. Nous avons également essayé de réaliser des achats groupés d'EPI. Pour ce type de produits, nous envisageons aujourd'hui un catalogue référençant plusieurs EPI pour proposer un large choix à nos adhérents.
Les coûts du transport routier ont très fortement augmenté ces derniers mois. Quels postes ont le plus flambé ?
O.P. : Actuellement, nous avons un véritable problème avec les assurances. Certains transporteurs ont pris jusqu'à 20 % d'augmentation malgré des ratios de sinistralité dans les standards de la profession… D'autres ont été résiliés brutalement ! Pour qu'un camion roule, il faut évidemment qu'il soit assuré. Or, de moins en moins d'assureurs veulent travailler avec les transporteurs. C'est un vrai problème qui n'est pas assez mis en avant… Nous devons pousser un coup de gueule pour que ça change ! Le gouvernement doit prendre conscience de cette difficulté et accompagner la filière pour que les assureurs puissent proposer des tarifs acceptables et arrêtent de résilier à tout-va.
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P.-A.J. : C'est une problématique assez récurrente dans notre métier. Tous services et produits confondus, nos fournisseurs sont assez peu nombreux, alors que notre secteur compte environ 30 000 entreprises. Notre pouvoir de négociation est donc assez réduit… Lorsque, sur un marché, vous avez quatre ou cinq acteurs, c'est très facile de prendre les transporteurs en tenaille.
O.P. : À notre niveau, sur ce problème spécifique, nous essayons de travailler avec nos adhérents sur la prévention des risques avec des indicateurs dédiés, de façon à "rassurer les assureurs" ! Nous étudions aussi la possibilité de nous auto-assurer. Si nous ne trouvons plus d'assureurs, ça fait partie des pistes que nous devrons explorer.
Quels sont les autres axes stratégiques qui vont vous mobiliser ces prochains mois ?
O.P. : Outre la cellule achats, nous travaillons fortement sur le sujet environnemental. Nous sommes très engagés dans ce domaine et nous espérons pouvoir communiquer avant l'été sur les bilans carbone de toutes nos entreprises.
P.-A.J. : Nous nous appuierons à cette fin sur l'outil élaboré avec notre partenaire Carbone 4. Il a été fourni à nos adhérents en fin d'année dernière, et nous les accompagnons aujourd'hui pour lever les éventuelles difficultés liées à son utilisation. Nous espérons être prêts pour notre assemblée générale de mai prochain.
O.P. : La commission Nouvelles énergies et ses 10 membres se sont déjà essayés sur cet outil pour fournir leur bilan carbone 2022. Ce qui a permis d'avancer et d'avoir un premier niveau d'information. Pour le bilan 2023, l'ambition est de le déployer à l'ensemble du groupement.
P.-A.J. : Ce bilan carbone ne constitue qu'une première étape. Par la suite, nous devrons travailler à son amélioration avec différentes pistes étudiées par la commission Nouvelles énergies. Celle-ci se penchera également sur la recherche de subventions. L'objectif est d'aider les adhérents dans la préparation des dossiers qui permettront de récupérer les aides pour des projets de décarbonation : installation de panneaux solaires, implantation de bornes de recharge, etc.
L'appel à projets "écosystèmes des véhicules lourds électriques" mis en place par l'État est-il suffisant, selon vous, pour soutenir les transporteurs dans cette transition ? O.P. : Il y a eu deux appels à projets l'an dernier, et une partie de nos adhérents y ont répondu avec l'aide de partenaires. Plusieurs d'entre eux ont été retoqués au premier car ils n'avaient pas saisi quelle était la meilleure façon de préparer leur dossier. Ils en ont tiré des leçons, et lors du deuxième appel à projets, une partie de nos adhérents ont bénéficié de financements de véhicules. Parmi eux, il y a eu notamment le groupe Bioret qui a reçu des aides pour cinq tracteurs électriques avec la marque Volvo Trucks. Globalement, les dossiers restent lourds à mettre en œuvre, et nous avons besoin de l'aide des constructeurs. Mais cette complexité administrative n'est pas nouvelle… Il y a encore trop de transporteurs qui peinent à récupérer des certificats d'économie d'énergie liés aux actions de réduction énergétique – à l'instar d'achats d'équipements de véhicules (déflecteurs, etc.) ou de formations à l'écoconduite.
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P.-A.J. : On constate encore trop souvent que l'information concernant ces aides reste inaccessible… Et la préparation des dossiers doit également être facilitée.
Paul-Antoine, quelles solutions avez-vous choisies au sein de votre entreprise, Altrans, pour verdir votre flotte ?
P.-A.J. : Aujourd'hui, 53 % des véhicules de notre flotte roulent avec des biocarburants. Nous avons opté pour deux énergies : le biogaz pour le régional et le grand régional, et le B100 pour le national. Nous avons d'ailleurs fait partie des premiers adhérents qui ont testé l'outil de Carbone 4, et notre bilan est inférieur de 25 % à la moyenne nationale du transport routier. Et ce bilan s'améliore d'année en année.
Quel regard portez-vous sur le mouvement de concentration à l'œuvre chez les transporteurs ?
P.-A.J. : Effectivement, on assiste à de nombreuses acquisitions, mais on oublie souvent de préciser qu'un nombre important d'entreprises se créent en parallèle. Finalement, je ne suis pas certain que le vivier de transporteurs diminue réellement. Mais la concentration est indéniable, et elle devrait perdurer. Au sein du groupement, nous veillons à ce que les sociétés adhérentes soient transmises aux générations suivantes. Nous mettons tout en œuvre pour que les jeunes dirigeants reprennent les entreprises de leurs parents. Dans nos rangs, nous comptons d'ailleurs quelques sociétés qui nous ont rejoints spécifiquement pour cette raison : elles voulaient être accompagnées dans cette transmission. Nous avons un vrai programme dédié à ce sujet.
La transition énergétique du parc roulant, qui implique d'importants investissements pour les sociétés de transport, risque-t-elle d'accélérer cette consolidation ?
P.-A.J. : Peut-être auprès de l'ancienne génération de transporteurs, oui. Mais pour la génération suivante, j'en doute. Nous le voyons chez Tred Union : ces chefs d'entreprise sont au fait du marché et ne craignent pas ces mutations. Ils font déjà face à cette transition énergétique et n'hésitent pas à franchir le cap en investissant dans ces nouvelles solutions, je pense notamment aux biocarburants.
Les transporteurs font toujours face à d'importantes difficultés de recrutement. Comment les aidez-vous à y répondre ?
O. P. : L'anticipation des départs à la retraite et la formation sont des maîtres mots. Je suis issu d'un organisme de formation [l'Aftral, ndlr], je suis bien placé pour savoir que la filière ne forme pas assez. C'est malheureusement un fait… Nous encourageons donc l'apprentissage. Nous préparons une communication sur la relation entre les employeurs et les alternants dans de nombreux métiers : la conduite, la mécanique, le commerce, l'exploitation, etc. C'est en renouvelant les générations que nous arriverons à répondre à cette problématique.
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P.-A.J. : Nous participons aussi activement et financièrement aux deux entités Le Transport Réuni et Le Monde du Transport Réuni, pour aider au recrutement et pour promouvoir les métiers du transport auprès des jeunes. Il y a encore un déficit d'image que nous devons surmonter. Cela nécessitera des communications d'envergure nationale pour toucher le grand public.
Comment se porte Tred Union ? Quel est votre maillage actuel ?
O.P. : Nous comptons 81 adhérents. C'est un maillage qui nous satisfait et nous n'avons pas d'objectif de développement. Si, pour des questions de business, des zones blanches nécessitent d'être couvertes, nous pourrions être amenés à prospecter de nouveaux adhérents à la demande du groupement. Mais ce n'est pas à proprement parler une véritable stratégie.
Un mot sur Tred Vrac et Tred Plateau ?
O.P. : Tred Union n'est pas un réseau de business, chaque adhérent est libre de mener son développement commercial. Mais nous avons la volonté de développer des synergies dans certains métiers. À l'instar de Tred Chariot qui se montre très performant à l'échelle européenne. Sur le même modèle, nous avons validé Tred Plateau fin 2023, avec le recrutement d'un responsable développement. Dans la foulée, nous avons lancé Tred Vrac, dont les statuts sont en cours de création. Nous avançons donc bien sur nos différents métiers, avec l'objectif de proposer des réponses collectives sur d'importants appels d'offres.
P.-A.J. : Et nous avons d'autres métiers en cours de réflexion… Il y a encore beaucoup d'offres à segmenter et à proposer.
Quels événements à venir ?
O.P. : Nous organisons en juin prochain une visite chez notre adhérent Verploegen, aux Pays-Bas. Ce marché travaille déjà sur des longueurs de véhicules de 25,25 m, et nous souhaitons nous pencher sur cette solution qui permettrait de réduire le nombre de camions sur la route tout en optimisant les capacités de charge. Le 4 octobre, nous avons aussi prévu un événement dédié à la sinistralité et à la prévention du risque routier. Ce sera une journée avec plusieurs dizaines d'ateliers différents animés par des partenaires. En 2024, nous voulons aussi accompagner nos adhérents pour travailler avec leurs clients sur la commercialisation d'une offre décarbonée. La transition énergétique n'est pas que l'affaire des transporteurs : les clients doivent comprendre que le thermique, seul, ne suffira pas.
P.-A.J. : Les transporteurs doivent être accompagnés financièrement dans cette transition, c'est indispensable. Les chargeurs sont engagés dans une démarche de décarbonation de leurs activités et nous devons donc travailler ensemble sur ces aspects.