S'abonner
Transport

Antoine Herbrich, groupe Herbrich : "Je veux écrire ma page de l'histoire"

Publié le 16 octobre 2023

Par Florent Le Marquis
7 min de lecture
À la tête du groupe familial depuis 2017, Antoine Herbrich a pleinement pris les commandes des Transports Herbrich à la retraite de son père, en 2020. Pour marquer de son empreinte l'histoire de la société, le jeune dirigeant a pris le virage de la transition énergétique et accueille aujourd'hui son premier camion électrique. Et le transporteur alsacien ne compte pas s'arrêter là.
Le 30 juin 2023, Antoine Herbrich a reçu les clés de son tout premier camion électrique : un FM de Volvo Trucks, qu'il détient en location longue durée de 8 ans. ©JPL

Le Journal du Poids lourd : Vous êtes le cinquième Herbrich à la tête de l'entreprise familiale. Pouvez-vous retracer l'histoire de la société au travers de ses générations successives ?

Antoine Herbrich : Nous sommes en effet une entreprise familiale, fondée en 1895 par Edouard Herbrich. L'activité principale était alors le transport de voyageurs, avec les moyens de l'époque, c'est-à-dire les chevaux et les calèches. Au fil du temps, les progrès technologiques ont mené la société à se diversifier et à proposer de la marchandise générale. Aujourd'hui, nous avons quatre entreprises : la holding Herbrich Finance, qui regroupe les prestations administratives, puis les trois sociétés opérationnelles. Herbrich Logistique gère l'entreposage, Herbrich Express traite de la marchandise générale, et Transports Herbrich s'occupe du vrac, à savoir les bennes et citernes. Le groupe réalise un chiffre d'affaires légèrement supérieur à 16 millions d'euros. Nous comptons un total de 120 collaborateurs, avec un parc de véhicules composé de 80 moteurs et 80 attelages. Notre activité logistique comporte 50 000 m² d'espaces d'entreposage répartis sur deux sites : le principal à Châtenois (67), où nous avons construit une extension de 2 500 m² en avril 2021, et un autre bâtiment à Dambach-la-Ville (67), 10 kilomètres plus loin.

JPL : Depuis votre prise de fonction, vous avez fait face à plusieurs crises nationales et internationales. L'inflation frappe notamment tous les secteurs depuis plus d'un an. Quel impact a-t-elle eu sur votre activité ?

A.H. : Nous l'avons subie à tous les niveaux, comme beaucoup de monde. Certains postes ont explosé comme les prix des constructeurs, des carrossiers du fait du prix de l'acier, des pneumatiques, et même l'AdBlue qui a doublé. Il y a eu des renégociations de convention collective, et notre poste salaires a augmenté de 13 % en 2022. Nous avons dû faire des calculs et été forcés de répercuter quelque peu l'inflation sur nos coûts de transport. Nous avons dû procéder à des augmentations, de 3 à 5 % en 2021, et autant en 2022. Nous avons aussi indexé nos clients sur le prix du gazole, qui s'est envolé au printemps 2022.

JPL : Comment ont réagi vos clients face à ces augmentations ?

A.H. : La plupart se montrent compréhensifs, car c'est général. Dans tous les groupes, les acheteurs sont confrontés à des augmentations régulières. Au bout d'un moment, ils s'y sont donc habitués. De plus, parmi nos 200 clients sur la partie transports, dont une cinquantaine de principaux, nous avons une base conséquente d'historiques. Ce sont des partenaires avec lesquels nous travaillons depuis quinze ou vingt ans pour certains. Nous n'augmentons pas les prix chaque année, donc ils comprennent ce cas exceptionnel.

JPL : Peut-on lier votre volonté de limiter les répercussions de cette inflation et votre intérêt pour l'électrique ?

A.H. : Les hausses du coût du gazole au printemps 2022 ont été telles que, quand j'ai commencé à étudier des solutions alternatives, j'en suis sorti avec des simulations de coûts de transport identiques en électrique, subventions comprises, et en diesel. Car, à l'époque, le gazole était à un prix très haut et l'électrique à un prix relativement normal. C'est donc à ce moment-là que j'ai commencé à réellement m'intéresser au coût des énergies. Avant, c'était quelque chose de secondaire, voire qu'on ne regardait pas du tout. Désormais, notre métier est plus complexe. Nous devons connaître et pouvoir proposer à nos clients différentes alternatives au gazole : électrique, gaz, Pur-XTL, B100… Ce sont des études qu'il faut réaliser au cas par cas.

JPL : Le 30 juin 2023, Volvo Trucks vous a livré votre premier FM 100 % électrique. Pourquoi avoir fait ce choix ?

A.H. : Début 2022, nous avons effectué une réunion avec notre client Schmidt, pour les augmentations tarifaires et en prévision de l'échéance de renouvellement de notre accord, qui était prévue en novembre 2023. Le groupe Schmidt s'est montré sensible au sujet de l'électrique, il était même demandeur, et voulait voir les possibilités existantes. Le timing était donc le bon. J'ai alors questionné nos deux fournisseurs, Volvo et Scania, pour connaître les solutions viables et disponibles.

JPL : Et pourquoi avoir opté pour un tracteur Volvo Trucks ?

A.H. : Tout simplement parce que ce sont les seuls à nous avoir fait cette proposition. Les discussions ont commencé en mars 2022, et il y a eu un énorme accompagnement de la part des équipes de Volvo Trucks, qui sont structurées pour accompagner leurs clients et démystifier ces thématiques nouvelles. Parce qu'on ne parle plus en chevaux ou de consommation au litre mais en kilowatts… Les repères ne sont plus les mêmes. De plus, pour un transporteur, il faut savoir qu'il y a des solutions techniquement possibles et disponibles. Volvo Trucks nous a accompagnés sur tous ces points.

JPL : Quelles ont été les différentes étapes entre le début des discussions en mars 2022 et la livraison en juin 2023 ?

Pour récompenser les salariés qui ont traversé les années difficiles de la société, Antoine Herbrich a mis en place des accords de participation et d'intéressement en 2020. ©JPL

Pour récompenser les salariés qui ont traversé les années difficiles de la société, Antoine Herbrich a mis en place des accords de participation et d'intéressement en 2020. ©JPL

A.H. : Nous avons commencé à étudier la solution et avons déposé des appels à projets auprès de l'Ademe (agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, ndlr). Ce sont des dossiers lourds sur un plan administratif, il a fallu du temps. Nous sommes entrés dans le vif du sujet en effectuant des études et des simulations théoriques sur la ligne concernée par ce véhicule électrique. Il faut connaître le kilométrage effectué par jour, le tonnage moyen transporté, l'altimétrie, la topographie du terrain, etc. Une fois qu'ils disposent de ces informations, les équipes de Volvo Trucks sortent des statistiques avec leurs outils de simulation. Ils peuvent ainsi estimer de combien de packs batteries votre camion a besoin, ou encore quel système de recharge sera le plus adapté. Il est important pour nous de faire les bons choix sur la solution de recharge, son emplacement, et de dimensionner le véhicule en fonction du trafic. Ensuite, nous avons aussi effectué des études de rentabilité et de coût. Il faut mettre en place une indexation électrique, calculer le coût de revient, etc. Nous avons aussi pu réaliser un essai avec un véhicule de démo de chez Volvo Trucks. C'est cette étape qui nous a permis de concrétiser le projet et de rassurer notre client.

JPL : Pourquoi avoir opté pour une location longue durée de 8 ans, et pas un achat direct ?

A.H. : C'était sécurisant pour nous, car il s'agit de notre premier camion électrique. Je ne peux pas estimer combien je pourrais le revendre dans huit ans. C'est d'ailleurs la durée de vie supposée des batteries : est-ce que je devrais les changer avant de le revendre ? Combien cela me coûterait-il ? Le châssis sera-t-il encore compatible avec les futures technologies de batteries ? En huit ans, il se passera beaucoup de choses. Nous pourrons donc rendre le véhicule et bénéficier des nouvelles technologies.

JPL : Pour quelle raison avez-vous choisi d'être parmi les pionniers sur l'électrique, plutôt que d'attendre que la technologie et les infrastructures se développent, soient plus éprouvées ?

A.H. : C'est vrai que, par le passé, nous avons toujours été plutôt suiveurs, nous ne voulions pas essuyer les plâtres des nouvelles technologies. C'est la première fois que nous franchissons si tôt le pas d'une innovation. Je suis très prudent de nature, ce qui a parfois pu me fermer des opportunités. Mais là-dessus, nous nous sommes sécurisés vis-à-vis de notre client, des contrats d'énergie, etc. J'ai pris cette décision car j'ai identifié cet enjeu environnemental comme un défi de notre époque, mais aussi pour écrire ma page de l'histoire de la société et suivre les traces de mes ancêtres. C'est le début, nous allons peut-être nous rendre compte que l'électrique n'est pas fiable, mais c'est trop tôt pour le savoir. C'est effectivement un risque. Mais nous avons déjà lancé un nouvel appel à projets auprès de l'Ademe pour pouvoir acquérir trois nouveaux camions électriques, également pour travailler avec Schmidt.

JPL : Souhaitez-vous diversifier votre parc avec d'autres énergies, comme les biocarburants ?

A.H. : Nous n'utilisons pas encore de biocarburants, mais c'est une envie. Nous commençons avec l'électrique, mais j'estime que nous ne pouvons passer que 7 de nos tracteurs à l'électrique : les 4 qui effectuent les navettes chez Schmidt, et 3 de plus pour d'autres clients. Pour le reste de notre flotte, nous pouvons envisager d'autres énergies.

JPL : Comment percevez-vous l'évolution du secteur et son impact sur la société ?

A.H. : En tant que transporteur, nous sommes un acteur majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Nous nous devons de relever ce défi car l'environnement est un dénominateur commun, et nous avons un réel impact dessus. L'électrique peut en partie changer cette image du camion pollueur.

JPL : En tant que transporteur, comment mettre en place une stratégie de décarbonation ?

A.H. : Cela passe par des réflexions stratégiques, que j'ai d'abord eues seul dans mon coin. Puis j'ai participé au programme accélérateur de PME avec la BPI France, ce qui m'a permis d'embarquer mes collaborateurs. Ensuite, il faut que chacun à son niveau réfléchisse à ce que nous pouvons faire tous ensemble. J'ai géré seul ce dossier électrique de A à Z. Mais demain, sur d'autres sujets, ce ne sera pas le cas. Outre les véhicules, nous avons par exemple investi plus de 400 000 euros dans le relamping et la gestion technique du bâtiment pour répondre aux décrets sur les émissions de CO2 des bâtiments de plus de 1 000 m². Nous avons aussi engagé un programme de décarbonation auprès de la BPI France, qui nous aidera à mesurer nos émissions de CO sur l'en-2 semble de nos activités.

JPL : La filière dans son ensemble fait face à de grandes difficultés de recrutement, notamment au poste de conducteur. Est-ce le cas pour le groupe Herbrich ?

A.H. : Nous avons en effet eu du mal à recruter des conducteurs dès 2017. À partir de 2021, ces difficultés se sont étendues à tous les postes : cariste, cadre dirigeant, ou encore les métiers administratifs. Actuellement, la situation sur la partie conducteur s'est stabilisée, voire quelque peu détendue. Je n'ai pas vraiment d'explication. Peut-être est-ce dû à une baisse d'activité sur le premier semestre 2023, avec des fermetures de sociétés de transport.

JPL : Sur un plan social, vous avez mis en place des accords de participation et d'intéressement en 2020. C'était important pour vous ?

A.H. : Oui. Pouvoir récompenser mes salariés a toujours été un objectif pour moi. C'est une fierté d'avoir pu mettre cela en place car, quand je suis arrivé dans l'entreprise, nous étions en mode survie. J'ai beaucoup de respect pour tous les gens qui ont trimé et sont restés pendant les périodes de tempêtes. Donc, quand ça a commencé à aller mieux, j'ai voulu récompenser ces personnes.

JPL : C'est aussi une façon d'apporter votre contribution à cette société familiale ?

A.H. : Oui. Je représente la 5e génération des Herbrich. Je veux écrire ma page de l'histoire. Mes ancêtres ont réussi, puis mon père a bien développé les activités de la société. Son départ a marqué le début d'une nouvelle étape pour moi, notamment au niveau stratégique. J'ai dû me poser pour savoir où je voulais emmener l'entreprise. Je ne souhaite pas développer le groupe outre-mesure, mais simplement bien faire le travail et durer dans le temps.

 ----------------------------------------------------------------------

Biographie express

Âgé de 33 ans, Antoine Herbrich a rejoint le groupe Herbrich en 2014. Il avait alors 24 ans et avait réalisé des études en transport et en logistique, avec une spécialisation pour cette dernière. S'intégrant progressivement dans la société familiale, Antoine Herbrich a pris la direction des opérations en 2017. En mars 2020, son père, René Herbrich, prend sa retraite, le conduisant à prendre de plus en plus de place dans le groupe. En décembre 2021, ce dernier transmet juridiquement l'entreprise, marquant le début de l'ère Antoine Herbrich, cinquième génération des Herbrich à la tête de la société.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager : 

Sur le même sujet

cross-circle