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Jamais sans sa borne de recharge

Publié le 1 avril 2023

Par Florent Le Marquis
9 min de lecture
Alors que l'électrique commence à se faire une place dans les parcs de poids lourds, les constructeurs doivent intégrer à leur offre de services l'infrastructure de recharge. C'est tout un nouvel écosystème qui se met aujourd'hui en place.
L'offre électrique des constructeurs va bien au-delà du seul véhicule. La recharge en fait pleinement partie. ©Mercedes An easy gateway to electric mobility: Mercedes-Benz Trucks opens charging park for customers in Wörth

Pour le poids lourd, l'électrique est une réalité. La majorité des constructeurs ont commencé leurs livraisons de porteurs 100 % électriques, et les tracteurs suivront dès 2023. Et forcément, ils n'arrivent pas seuls sur les sites des transporteurs. Car, quand il suffit d'acheter un camion thermique et de s'occuper soi-même de la gestion du carburant, il en va différemment pour ces nouvelles motorisations qui ont besoin d'être rechargées régulièrement. Les constructeurs ont donc dû repenser leur offre de services pour ne pas laisser leurs clients à l'abandon face à cette énergie qu'ils doivent appréhender.

"Au tout début de l'électrique, nous leur parlions surtout de notre véhicule, pour leur faire découvrir notre technologie, se souvient Franck Barbou, e-consultant chez Mercedes-Benz TrucksTrès vite, on s'est aperçu que l'infrastructure de recharge était la première pierre de l'édifice. Il y a plus de deux ans, le groupe Daimler a donc pris la question au sens global en créant des ''e-team'', formées à tout ce qui gravite autour du camion électrique : infrastructures de recharge, analyse des routes, entretien et réparation, subventions, exploitation, formation des conducteurs, etc."

Trouver les bons partenaires

Les pôles dédiés se sont ainsi mis en place. Chez ScaniaVincent Passot occupe le poste de manager des systèmes de recharge depuis le 1er janvier 2023. Une fonction qui n'existait pas auparavant. "La structure est commune entre tous les pays où Scania est présent, affirme-t-il. Le poste se crée donc dans toutes les entités, pour avoir les interlocuteurs nécessaires pour échanger avec les clients, qui se montrent de plus en plus intéressés par cette énergie. Nous avions déjà une culture de la modularité, avec toute une offre de services, mais la partie électrique apporte une couche de complexité." D'autant que ces constructeurs restent des fabricants de véhicules, et non de systèmes de recharge. Tout comme ils ne s'occupent pas de construire les stations-services pour les camions thermiques qu'ils livrent.

"Sur des sujets pointus comme celui de la recharge, nous devons travailler avec des partenaires, avance Olivier Metzger, directeur énergies alternatives chez Renault Trucks France. Cela concerne l'ensemble de l'infrastructure de recharge, dont le génie civil et l'électricien, mais avant tout le fabricant de bornes." La demande ne s'effectue d'ailleurs pas que dans un sens. "Nous recevons beaucoup de demandes, car de nombreux acteurs sont positionnés sur ce créneau, poursuit ce dernier. Nous en avons trois principaux, qui peuvent intervenir dans l'ensemble du pays. Mais nous restons ouverts."

Pour sélectionner leur(s) partenaire(s) privilégié(s), les constructeurs commencent logiquement par tester les bornes, pour s'assurer d'une compatibilité optimale avec leurs véhicules. "Nous étudions aussi leur capacité à accompagner le client, leur offre de services. C'est important pour avoir de bons échanges tout au long de l'installation des équipements sur le site du client", complète Thomas Gay, responsable de l'offre recharge de Volvo Trucks, qui espère compter trois ou quatre partenaires d'ici la fin du premier semestre 2023.

Les partenariats entre fournisseurs de bornes et constructeurs commencent à fleurir dans le secteur. ©Volvo Trucks

Les partenariats entre fournisseurs de bornes et constructeurs commencent à fleurir dans le secteur. ©Volvo Trucks

Parmi les acteurs de ce segment, ABB s'est tourné vers l'électrique dès 2010, accélérant il y a deux ans avec la création d'une entité dédiée : ABB E-Mobility. Le fournisseur de bornes de recharge, qui a levé plus de 500 millions d'euros ces derniers mois, a commencé par le véhicule léger avant d'adapter son offre aux poids lourds.

"Nous avons été invités à participer au groupe de travail qui a créé le standard européen, le Combo 2 (CCS2), en 2013, se souvient Nicolas Chauveau, en charge du développement de la mobilité électrique chez ABB pour la France. Nous avons pu proposer une offre en adéquation, puis des recharges plus puissantes en courant continu. D'autres standards, comme le OppCharge, sont ensuite arrivés, et nous nous adaptions toujours. Le camion électrique déployé, la technologie ne s'est cependant pas éloignée de celle qui concerne les VL, outre des puissances supérieures. Des partenariats avec des constructeurs sont dans les tuyaux, notamment avec certains avec qui nous étions déjà en contact sur le transport urbain."

Un besoin à définir rapidement

Mais la course est déjà lancée. Si Renault Trucks ne veut pas encore dévoiler le nom de ses trois partenaires majeurs, Scania a déjà des relations "très abouties" avec le fabricant finlandais Kempower, et a rencontré plusieurs autres prospects. Une diversification indispensable pour prévoir une future hausse espérée des volumes. De son côté, Mercedes-Benz Trucks a un contrat avec Engie pour la France. "Non pas en tant que fournisseur d'énergie, mais pour dimensionner et éclairer le client sur l'infrastructure de recharge", précise Franck Barbou.

Au fait, pourquoi faut-il si rapidement s'affairer à trouver des partenaires fournisseurs de bornes de recharge ? "L'objectif est de resserrer les liens entre la vente du camion et la solution de recharge. Le fournisseur doit être rapidement mis dans la boucle, martèle Thomas Gay. Il doit envisager l'infrastructure chez le client, vérifier la puissance, les éventuels travaux à effectuer, etc. Il faut anticiper !"

Anticiper : un terme à prendre au pied de la lettre pour un processus de vente beaucoup plus long avec le camion électrique. "La toute première étape avec le client est de définir le ou les véhicules intéressants à électrifier pour lui, indique Vincent Passot. Ce n'est pas intéressant pour l'ensemble des camions d'une flotte. Nous sommes sur une cible essentiellement urbaine pour le moment, avec des poids lourds roulant quotidiennement moins de 200 kilomètres." Quand tout ce qui tourne autour du camion et de son usage futur est défini, le sujet de la solution de recharge surgit très rapidement, quand ce n'est pas en même temps.

Car il ne suffit pas d'avoir un camion électrique, il faut pouvoir le charger pour rouler. Là aussi, échanger avec le client et prendre en considération ses besoins est indispensable. "Pour dimensionner l'infrastructure, il faut connaître non seulement le nombre de camions concernés, mais aussi les tournées prévues, le temps de charge disponible dans la journée, etc. Ces éléments nous aident à quantifier les chargeurs et la puissance nécessaires", détaille Franck Barbou. Des informations importantes, car il y a plusieurs manières de recharger un véhicule.

Souvent, des travaux sont nécessaires

Le plus simple reste de rouler de jour et rester branché la nuit, une borne simple de 22 kW par camion suffisant alors amplement. Mais certains transporteurs ne disposent que de quelques heures pour procéder à un regain complet d'énergie. Des bornes plus puissantes (jusqu'à 150 kW) sont alors requises. D'autres peuvent nécessiter une charge d'appoint en cours de journée. Pour le client, cela implique une modification de ses habitudes. "Il ne peut plus faire ce qu'il faisait avec un camion diesel, reconnaît Nicolas Chauveau. Avoir des petits chargeurs pour récupérer une partie de l'autonomie à chaque charge ou décharge permet de finir sa journée avec plus d'énergie dans les batteries."

Enfin, pour éviter l'attente de l'installation de l'infrastructure sur son site, l'exploitant peut opter pour une solution temporaire s'il dispose déjà de ses camions électriques : des bornes de recharge mobiles, de 40 ou 80 kW, à brancher sur une prise 380 volts de 63 ampères. Un équipement provisoire bienvenu car la mise en place peut être longue.

"Installer une borne de 22 kW ne pose pas de souci, s'il n'y a pas de pénurie de composants. Mais plus la puissance augmente, plus il est difficile pour le site d'être bien dimensionné pour l'accepter, détaille Olivier Metzger. Nous nous retrouvons généralement à devoir effectuer les démarches nécessaires auprès d'Enedis pour augmenter la taille du tuyau pour obtenir suffisamment de puissance."

Selon les besoins sur un site, des travaux peuvent être nécessaires, engendrant une attente de plusieurs mois. ©Scania

Selon les besoins sur un site, des travaux peuvent être nécessaires, engendrant une attente de plusieurs mois. ©Scania

Chez le fournisseur de bornes ABB, Nicolas Chauveau appuie : "Si l'on démultiplie les camions électriques, il faut forcément un transformateur dédié avec les armoires électriques pour l'alimentation de cette nouvelle infrastructure. La puissance du bâtiment ne permet généralement pas l'ajout de bornes de recharge de forte puissance, et des travaux sont nécessaires pour donner la capacité au site d'alimenter les bornes."

Adapter le réseau peut prend du temps, ce qui implique de savoir quel besoin le client a, pour que le délai engendré ne soit pas plus important que nécessaire. "Ça peut être long si cela concerne plusieurs véhicules sur l'exploitation, estime Olivier Metzger. Quand il faut adapter les infrastructures et la taille des tuyaux qui arrivent, l'attente peut atteindre six à neuf mois." Dans certains cas, plutôt rares, le délai engendré par les travaux peut atteindre les deux ans. À noter, par ailleurs, que le contrat d'énergie varie forcément avec la nouvelle puissance amenée sur l'exploitation.

Si la demande est grandissante, et que les délais s'allongent en conséquence chez les fournisseurs de bornes de recharge, nous pouvons imaginer que ces contraintes ne seront essentiellement valables qu'à court et moyen termes. Une fois l'électrique bien installé dans le poids lourd et les exploitations équipées, tout ira beaucoup plus vite. Un élément favorisera cette fluidité : si les constructeurs ont (ou auront) leurs partenariats privilégiés avec un ou plusieurs fabricant de bornes, leurs clients ont toute liberté de choisir leur propre fournisseur, ou de conserver l'éventuelle infrastructure qu'ils possèdent.

"Certains ont leurs habitudes, soit parce qu'ils ont déjà une flotte électrique, soit par qu'ils sont très au fait de l'électromobilité, explique Thomas Gay. Nous n'avons aucun mal à les laisser travailler avec leur partenaire. En revanche, nous les accompagnons et partageons nos recommandations. Nous rencontrons le fournisseur pour vérifier que le matériel dont dispose notre client est conforme aux caractéristiques de notre véhicule."

Quoiqu'il en soit, l'étiquette « partenaire » favorise généralement le fournisseur préconisé par le constructeur, arborant un aspect rassurant pour le client. Ainsi chez Scania, par exemple, la dizaine de camions électriques livrés jusqu'alors l'ont tous été avec des bornes. "Nous ne nous fixons pas d'objectif de ratio vente de camion/ vente d'infrastructures", tempère en revanche Vincent Passot.

SAV systématique

Une fois la vente du véhicule bouclée et le système de recharge installé, le constructeur ne quitte pas la scène. C'est un classique : les camions, et notamment leurs batteries, disposent de contrats de maintenance et réparation. La recharge étant intégrée à l'offre, elle dispose aussi de son contrat spécifique. Notamment parce qu'il y a, sur ce type de matériel, un besoin régulier de maintenance. "Chez Mercedes-Benz Trucks, nous lions les bornes, qui sont communicantes, à notre Service 24H, rappelle Franck Barbou. Ainsi, un client qui a une panne peut directement appeler chez nous pour un support de premier niveau, qui tentera à distance une remise en marche de la borne. Si cela ne suffit pas, nous passons au niveau deux, chez Engie, qui dispose de ses propres outils."

La capacité des fournisseurs à réagir fait forcément partie des critères de sélection pour devenir partenaire d'un constructeur. "Nous avons intérêt à ce que nos produits soient fonctionnels 100 % du temps, lance Nicolas Chauveau. Les contrats avec nos clients sont systématiquement négociés et ajustés selon les cas et les besoins de chacun. Nous disposons d'une hotline dédiée pour la mobilité électrique en France. Nos techniciens peuvent analyser les bornes et résoudre les dysfonctionnements à distance dans 70 % des cas."

Chez les constructeurs, les équipes se structurent pour intégrer la dimension recharge à l'offre électrique. ©Renault Trucks

Chez les constructeurs, les équipes se structurent pour intégrer la dimension recharge à l'offre électrique. ©Renault Trucks

Les constructeurs peuvent aller plus loin dans l'accompagnement. Par exemple, Scania propose des logiciels permettant notamment de surveiller la charge du véhicule et de l'adapter au réseau électrique. "Le but est que le camion soit chargé au moment de repartir. Il ne sert à rien de consommer toute la puissance de charge rapidement et de ne plus avoir besoin de puissance ensuite", expose Vincent Passot. Autre soutien possible : aider les clients à obtenir les aides accessibles, comme le programme de financement Advenir. "Ce n'est pas toujours simple, car il y beaucoup de critères et de conditions à remplir. Nous devons donc comprendre le besoin du client pour lui permettre d'obtenir la bonne subvention", poursuit le manager des systèmes de recharge de Scania.

Vers des puissances plus importantes

Que faire de plus ? "La prochaine étape est de pérenniser les partenariats avec les fournisseurs de bornes, pour mettre en place des modes de fonctionnement facilitant le suivi des affaires en cours, avance Thomas Gay. Il y a aussi et surtout un projet de taille sur la partie réseau public. Tout le monde ne pourra pas s'équiper chez soi, il faut donc offrir un maillage de stations adapté aux poids lourds, pour augmenter les possibilités pour les transporteurs."

Le groupe Volvo a d'ailleurs créé, avec Daimler et Traton, la joint-venture Milence pour aider à l'installation de 1 700 stations de recharge adaptées aux poids lourds en Europe sous cinq ans. Sur le continent, le réseau public peine à se développer. L'Allemagne semble un peu en avance. Ces derniers mois, le britannique BP Pulse y a installé six stations avec des points de charge de 300 kW. "Le premier corridor de chargement", selon le fournisseur.

Du côté de chez ABB, Nicolas Chauveau s'avance sur les besoins à venir, qui diffèrent selon les usages. "Quand pour un VL, les automobilistes s'arrêtent une quinzaine de minutes, les chauffeurs de camion peuvent faire une pause nocturne. Les stations devront être repensées en conséquence, avec des bornes plus ou moins rapides selon le temps dont dispose le conducteur", prévoit-il. Un défi logistique de taille, mais ce n'est pas le seul.

"Au-delà de la technologie, il faut adapter le produit avec des designs plus favorables aux contraintes de stationnement des plateformes logistiques. On ne peut pas y mettre un chargeur entre deux véhicules, sous peine de risquer l'accrochage. La recharge pourrait se faire via un portique avec un système d'enrouleur qui descendrait la prise pour aller pluguer directement le camion", imagine Nicolas Chauveau.

Ces évolutions parallèles ne freineront pas l'accroissement de la puissance des bornes. Chez Renault Trucks, Olivier Metzger estime que le mégawatt sera atteint dans les prochaines années. "La possibilité maximum de recharge d'un camion est actuellement de 150 kW. Dès fin 2023, nous serons sur du 250 kW, et allons rapidement continuer de monter, détaille-t-il. Les capacités de nos batteries progressent – nous avons doublé l'autonomie de nos camions en deux ans et demi, il est donc logique que les bornes suivent cette évolution." Toujours plus loin, toujours plus vite.

Quel coût pour l'infrastructure ?

"Nous sommes globalement entre 25 000 € HT, pour une borne 50 kW, et 100 000 € pour une borne 350 kW. Pour les futurs mégawatts, nous n'avons pas encore d'idée de budget", expose Nicolas Chauveau en charge de la mobilité électrique chez ABB. Les prix évolueront forcément à mesure que la technologie se répandra, et que l'offre et la demande grandiront. Mais le flou qui peut entourer le coût est aussi dû au nombre important de paramètres à prendre en compte.

"La puissance du chargeur conditionne le prix, mais s'il y a besoin d'une mise à niveau du site du transporteur, le coût sera forcément plus important", résume Thomas Gay, responsable de l'offre recharge de Volvo Trucks. Côté transporteur, il reste parfois des éléments d'offre à peaufiner. "Le service n'est pas encore globalisé, reconnaît Vincent Passot, chez Scania. Pour l'instant, le client aime connaître la part des différentes options qu'il choisit dans le coût final."

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