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Constructeurs

L'occasion victime de son succès

Publié le 9 octobre 2023

Par Florent Le Marquis
9 min de lecture
Très demandés en raison des délais de livraison des neufs, les véhicules d'occasion fuient les stocks des constructeurs depuis de nombreux mois. Ces derniers doivent s'adapter aux demandes de prolongation de leurs clients, tout en se projetant vers un avenir marqué notamment par les nouvelles énergies.
Les stocks de VO des constructeurs de poids lourds sont faibles depuis plusieurs mois, en raison d'une forte demande liée aux délais de livraison allongés des camions neufs. ©Renault Trucks

Les chiffres sont dans le négatif, mais les discours orientés vers l'optimisme. Pour le premier semestre 2023, l'Observatoire du véhicule industriel (OVI) indique une baisse des commandes de 4,6 % pour les porteurs d'occasion, et de 8,1 % pour les tracteurs d'occasion. On notera d'emblée que, selon les constructeurs, le type de véhicule le plus vendu varie. Il faut mettre ces chiffres en perspective avec ceux du neuf, qui connaissent une baisse similaire. Chez certains constructeurs, le VO représente toujours 40 à 45 % des ventes. Pour 2022, Renault Trucks avance ainsi 43 000 immatriculations neuves de plus de 6 tonnes, contre 38 000 en occasion. Chez MAN Truck & Bus, le camion neuf approche les 50 000 unités, et l'occasion les 45 000. Limité par les pénuries de matériel, le marché a donc pu souffrir ces dernières années. Mais pas question de parler de baisse. "Nous sommes contraints par le marché du neuf pour lequel les délais de livraison sont longs, amenant certains clients à attendre une éventuelle régulation. Avec ces éléments, on peut estimer que le marché de l'occasion se stabilise, entre - 5 % et +5 %", analyse Axel Dumas, directeur de la division VO de MAN Truck & Bus.

Les stocks sont au plus bas

Ces difficultés ont commencé avec la crise Covid : les délais allongés de livraison des camions neufs ont amené nombre de transporteurs à conserver leurs véhicules. Malgré les contrats d'engagements, les constructeurs ont dû céder. "Le buy back devait nous garantir des volumes de stocks, mais tout s'est transformé, relate Miguel Gonzalez, directeur de l'activité VO d'IvecoCe matin (19 juillet 2023, ndlr), un client devait nous en rendre 18 mais n'en a finalement rendu que 3. C'est un sacré challenge pour nous car nous constituons 95 % de notre stock en France par le buy back." Iveco a terminé 2022 avec 16 PL d'occasion en stock, quand le constructeur en comptait un millier fin 2018. De manière générale, les constructeurs ne peuvent pas s'opposer à ces demandes de prolongation. "Nous avons une obligation morale d'accompagner nos clients, et avons donc étendu les contrats de ceux qui en avaient vraiment besoin, explique Sébastien Guignard, TruckStore manager à Paris pour Daimler TruckFaisant une croix sur ces restitutions, nous avons eu moins de VO disponibles à la vente."

Ainsi, à l'inverse des VN, le délai de vente des VO est actuellement très court : 33 jours pour les tracteurs et 39 jours pour les porteurs selon l'OVI. C'est déjà légèrement plus qu'en 2022 (moins d'un mois pour les deux). Puisque les demandes sont plus fortes que les entrées, la majorité des ventes se font désormais en France. "Pour éviter une pénurie, nous réorientons les camions de 500 000 kilomètres, que l'on vendait à l'export, vers le marché français, informe Éric Bonnard, directeur marketing VO Renault TrucksNous incluons une garantie de 24 mois et 240 000 km pour limiter les éventuelles appréhensions des clients." Ces changements stratégiques se traduisent dans les chiffres. L'Observatoire du véhicule industriel estime que 54,8 % des camions d'occasion sont commercialisés en France alors que "ce résultat ne dépassait pas les 50 %" il y a quelques années. Volvo Trucks est même bien au-delà. "En 2022, nous avons vendu 75 % de nos camions d'occasion en France, ce qui représente 1 000 unités, un record pour nous, confie Jean-Philippe Wilmet, directeur VO de Volvo Trucks FranceUne année normale c'est du 50 % en France, 50 % en exportation."

Des prix en hausse

Qui dit rareté dit prix plus élevé, d'autant que le marché de l'occasion n'a pas dérogé aux règles de l'inflation. Les différents constructeurs s'accordent sur les hausses de tarifs auxquelles ils ont dû régulièrement procéder. "Il est difficile de donner un pourcentage précis, car les prix sont descendus trop bas dans les moments de crise par rapport à la valeur du produit. Ils ont donc été largement revus à la hausse ces derniers temps", analyse Axel Dumas, qui reconnaît avoir "suivi, et même un peu anticipé, les taux d'inflation". Éric Bonnard se risque à une estimation chiffrée : "+30 % en deux ans". Mais cette tendance haussière semble ralentir. Au premier semestre 2023, les prix se sont plutôt stabilisés, tant de l'avis des acteurs que de l'Observatoire du véhicule industriel. Selon ce dernier, les prix des tracteurs d'occasion sont restés stables par rapport au premier semestre 2022, et ceux des porteurs n'ont augmenté que de 1,4 %. À titre de comparaison la hausse de ces deux catégories était respectivement de 18,4 % et de 14 % entre les premiers semestres 2021 et 2022. Si les calculs de certains les amènent à avancer que cela suit les tarifs des véhicules neufs, beaucoup y voient plutôt une augmentation de la valeur de l'occasion. "Elle est nettement supérieure à avant 2020, remarque Miguel Gonzalez. Un camion d'occasion valait 35-40 % du neuf il y a trois ou quatre ans, il en vaut entre 50 et 55 % désormais. Mais il faut avoir en tête que l'on parle d'un véhicule venant avec une palette de services et un cahier des charges bien précis."

Si le camion d'occasion était initialement plus prisé par les petits transporteurs, la majorité des parcs en sont désormais pourvus. ©Volvo Trucks

Si le camion d'occasion était initialement plus prisé par les petits transporteurs, la majorité des parcs en sont désormais pourvus. ©Volvo Trucks

Ce ca­hier des charges, avec le temps est de­venu de plus en plus pointu Sé­bas­tien Gui­gnard dé­taille le par­cours d'un ca­mion ré­cu­péré avant d'être re­vendu en oc­ca­sion chez TruckS­tore : "Nous dé­pê­chons en amont un ex­pert qui contrôle le vé­hi­cule. Avant même qu'il ar­rive chez nous, nous sa­vons ainsi ce que nous au­rons à ré­pa­rer des­sus. Une fois que le ca­mion est entre nos mains, nous pro­cé­dons à une nou­velle ex­per­tise, pour dé­ce­ler ce que l'an­cien pro­prié­taire a pu faire des­sus. Il y a une tra­ça­bi­lité : on sait tout ce qui a été fait sur le vé­hi­cule par qui et quand. Nous pro­cé­dons à une re­mise à ni­veau : mo­teur boîtes de vi­tesses, ponts, filtres, vi­dange, car­ros­se­rie… Tout est revu. Le poids lourd en res­sort comme neuf." Une né­ces­sité chez Daim­ler pour que le vé­hi­cule res­pecte les condi­tions de ga­ran­tie du label Certi­fied, ré­servé aux ca­mions de moins de 5 ans et moins de 500 000 km.

Le VO pour tous

Selon les constructeurs, les cahiers des charges peuvent contenir 130 à 220 points de contrôle, qui doivent tous être validés pour obtenir le label dédié. "Dans la majorité des cas, ce sont des camions que l'on veut revendre, nous devons donc nous assurer une qualité de recommercialisation, avance Axel Dumas. Les véhicules labelisés TopUsed qui repartent sont garantis un an, ne doivent pas repasser le contrôle technique avant au moins 6 mois, ou encore disposent de pneumatiques usés à moins de 50 %." Si l'ensemble des camions récupérés par les constructeurs sont contrôlés et remis à niveau, ils ne sont pas tous destinés au même avenir. L'âge et le kilométrage sont des éléments déterminants pour la seconde vie de ces véhicules. "Les clients français préfèrent des camions peu kilométrés. Généralement, au-delà de 700 000 kilomètres, nous envoyons donc les véhicules à l'export, car les frais de remise en état sont trop élevés et ils ne sont plus éligibles à la garantie que nous mettons en place, qui rassure le client", précise Jean-Philippe Wilmet. Pour autant, le profil de ces clients a pu évoluer ces dernières années. "Avant, on pouvait parler d'un profil type de client VO. C'était un transporteur aux tournées très locales et qui ne voulait pas investir dans un véhicule neuf. Aujourd'hui c'est différent, affirme Miguel Gonzalez. Celui qui se tourne vers le camion d'occasion peut tout aussi bien effectuer des tournées nationales. Il a tout simplement besoin d'un véhicule. Notre clientèle se rapproche de celle du véhicule neuf."

Par conséquent, les divisions occasion des constructeurs se rapprochent de plus en plus des formules de ventes de camions neufs : buy back, contrats d'entretien, garantie complète jusqu'à trois ans, et même télématique. "Le but est de donner les mêmes possibilités à un acheteur de VO qu'à un acheteur de VN", résume le directeur VO d'Iveco. En termes de taille de parcs, là aussi les choses changent : les mono-possesseurs étaient les plus gros demandeurs de camions d'occasion par le passé. "Désormais, toutes les flottes ont des camions d'occasion, constate Éric Bonnard. Ils font partie de la trousse à outils d'un transporteur. Le VO est privilégié quand une ligne s'ouvre avec contrat court, ou qu'il y a un besoin de camion à la suite d'un accident de véhicule." Pour répondre à tous les besoins et gagner en flexibilité, les flottes laissent donc de plus en plus de place aux matériels de seconde vie. C'est particulièrement le cas des exploitants régionaux et des parcs dotés d'une dizaine de cartes grises maximum pour lesquels le poids lourd d'occasion représente plus qu'un dépannage, une vraie alternative. "Les gens hésitent de moins en moins à acheter un camion plus vieux et plus kilométré", note Sébastien Guignard. Même tendance observée chez Daimler Truck : si le constructeur destine ses camions de moins de cinq ans et moins de 500 000 km au marché national d'ordinaire, la situation évolue avec la conjoncture. Le TruckStore manager poursuit : "Bien entretenu, un camion peut être gardé plus de cinq ans. Avec les labels et les garanties, les constructeurs sont engagés et doivent pouvoir justifier de ce qu'ils ont fait sur le camion."

Le VO en attendant les nouvelles énergies

Autre facteur favorable au marché de la seconde main : la transition énergétique. Si les premiers modèles électriques sont commercialisés depuis 2022, beaucoup d'exploitants hésitent encore à investir dans cette nouvelle motorisation. En attendant de savoir vers quelle énergie se tourner, et pour ne pas investir dans un camion diesel neuf pour s'en séparer deux ans plus tard, l'occasion peut alors apparaître comme solution idoine. Un choix encore plus cohérent dans le contexte réglementaire très fluctuant autour des zones à faibles émissions (ZFE) … "Le VO est une solution souple, martèle Éric Bonnard. Les transporteurs qui veulent se donner 3 ou 4 ans de réflexion pour voir les orientations technologiques et des ZFE optent pour ce choix tactique. Il faut aussi comprendre que le camion d'occasion n'est pas un produit polluant, car nous les mettons à jour en termes de logiciels et de performances écologiques, économiques et de consommation. Le VO fait partie de la transition énergétique."

D'ailleurs, il serait faux de présumer qu'un camion d'occasion est forcément diesel. Les énergies alternatives se font petit à petit leur place sur ce marché. Les efforts des entreprises pour émettre moins de CO2 y contribuent. "Nous avons déjà passé plusieurs véhicules d'occasion au B100. Il y a aussi le gaz, informe Jean-Philippe Wilmet chez Volvo Trucks. Nous allons recevoir une vingtaine de véhicules dès 2023. Nous avons déjà des demandes de clients pour effectuer des tests quand nous allons les recevoir." Sans surprise, le gaz représente également un axe central dans l'offre VO d'Iveco, représentée par le label OK Trucks . "Nous étudions les possibilités de transformer des camions GNL (gaz naturel liquéfié, ndlr) en GNC (gaz naturel comprimé). Nous avons une forte demande sur ce dernier", confie Miguel Gonzalez. Rétrofiter les poids lourds pourrait à l'avenir devenir une solution pertinente sur le marché de l'occasion. Et, comme on peut notamment le voir sur le marché du bus, l'électrique aura sa place dans cette transformation de motorisation.

Iveco connaît une demande croissante sur les poids lourds d'occasion roulant au gaz naturel, notamment comprimé. ©Iveco

Iveco connaît une demande croissante sur les poids lourds d'occasion roulant au gaz naturel, notamment comprimé. ©Iveco

L'électrique dans quelques années

À l'heure actuelle, associer électrique et occasion est prématuré. Actuellement, il n'y a pas d'offre VO pour cette énergie. Mais il n'est jamais trop tôt pour en parler, les camions à batteries neufs circulant déjà sur les routes. Il faut cependant garder à l'esprit que l'amortissement d'un investissement sur un tel véhicule est plus long que sur un thermique. Les contrats courent parfois sur huit ans. Entre la fin de la décennie et le début de la prochaine, on peut donc présumer que l'électrique d'occasion aura son marché. La demande sur le marché VL est déjà forte, il est donc légitime de penser que les véhicules industriels à batteries auront également de l'avenir sur le marché de l'occasion. "C'est d'autant plus prévisible que nous avons des engagements de buy back sur tous les camions électriques que Volvo Trucks vend, rappelle Jean-Philippe Wilmet. Nous sommes impatients de toucher à ces poids lourds, car cela demandera une autre approche, à laquelle l'occasion devra s'adapter." Avec un prix de vente divisé par deux comparé au neuf, le camion électrique deviendra alors plus accessible pour les transporteurs les plus modestes.

Avant d'en arriver là, le marché de l'occasion devrait rester porteur dans les prochaines années. "Il n'y aura pas de retournement du marché, prévoit Sébastien Guignard. C'est mieux car nous préférons des évolutions douces côté VO. Nos clients ont besoin de stabilité. Les prix finiront par baisser et les camions dont les contrats ont été étendus ne tarderont pas à nous revenir. Ainsi, après une baisse de volume de moitié en 2022, nous prévoyons une hausse de 25 % en 2023." Une tendance optimiste mais qu'il est difficile de prévoir avec certitude : si les volumes devraient demeurer au minimum stables en 2023 et 2024, se projeter au-delà de cette année et demie restante constitue un exercice complexe pour les constructeurs. Reste l'observation pour nourrir son optimisme. "Les VO sont des beaux produits qui méritent que les gens s'y intéressent. En France, il y a une vraie culture de se tourner vers l'occasion : le marché utilitaire d'occasion vaut trois fois le marché du neuf. Cela arrive dans le poids lourd. Ce n'est pas étonnant car les logiques économiques constatées dans le VL se retrouvent souvent plus tard dans le PL. Nous sommes donc toujours attentifs", conclut Axel Dumas. Arriver après permet d'avoir un coup d'avance.

 

Comment les constructeurs commercialisent leurs VO

Une fois récupérés, puis remis à niveau ou réparés, les camions revendus d'occasion n'apparaissent pas toujours aux côtés des neufs. Avec plus de 110 points de vente Used Trucks, Renault Trucks dispose d'un réseau dédié conséquent. "La distribution se fait toujours par des concessionnaires car il y a une notion de conseil et d'après-vente fondamentale, avance Éric Bonnard, directeur marketing VO Renault Trucks. Le marché PL diffère du VL où les achats de VO peuvent s'effectuer en ligne. Chez nous, l'impact après-vente est tel – plusieurs milliers d'euros pour un entretien imprévu – que les transporteurs sont avant tout demandeurs de conseils et de confiance de la part de leur vendeur." Toutes les marques y vont de leurs investissements pour faire performer leur activité VO. Volvo Trucks compte dans ses rangs 11 vendeurs exclusivement dédiés au VO dans ses trucks centers. MAN répartit son stock sur l'ensemble du territoire français et les regroupe sur son site MAN TopUsed, tout en disposant d'une application permettant d'envoyer des vidéos d'un véhicule au client intéressé dès la réception de celui-ci. Le digital joue pleinement son rôle : les plateformes comme Europecamions.com et Truckscorner.fr sont largement utilisées par les constructeurs.

 

Renault Trucks double la durée de vie de ses VO

"Un camion est fabriqué pour rouler un million de kilomètres. Pourquoi en changer au bout de 400 000 ?", s'interroge Éric Bonnard, directeur marketing VO Renault Trucks. C'est en partant de cette observation, de plus en plus fréquente avec l'augmentation des tarifs, que le constructeur a développé Restart. Concrètement, il s'agit de reconditionner de manière semi-industrielle des tracteurs dans l'ensemble de son réseau français : rénovation et remplacement des principaux organes et pièces d'usure (à plus de 40 %), mise à jour des logiciels et amélioration des performances et de la consommation. "Nous proposons au client de conserver son tracteur 36 mois de plus, et donc de doubler sa durée de vie. Le Restart lui permet de continuer à avoir une pleine exploitation avec la même fiabilité et le même coût qu'en première vie. L'équation est gagnante sur un plan écologique et économique." Ouverte aux grands comptes de Renault Trucks depuis 2020, l'offre Restart a déjà permis de reconditionner plus de 600 camions. Depuis début 2023, l'ensemble des clients de son réseau peut en bénéficier.

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