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Constructeurs

Benoît Tanguy (Scania) : "Pour l'électrique, c'est le marché qui donnera le ton"

Publié le 21 juillet 2024

Par Mohamed Aredjal
8 min de lecture
De retour chez Scania France au poste de PDG depuis le 1er avril 2024, Benoît Tanguy partage ses premières observations sur l'évolution de la marque et ses activités en France. Il évoque avec nous les défis actuels, les ambitions commerciales du constructeur et sa vision de la transition écologique de l'industrie du poids lourd.
Benoît Tanguy entend maintenir la qualité d'écoute des clients et faire perdurer les performances enregistrées par le réseau Scania en France. ©Scania

Le Journal du Poids Lourd : Vous aviez déjà œuvré au sein de la filiale hexagonale avant de prendre d'autres fonctions dans le groupe Scania. Vos premières impressions sur la marque et ses activités en France à votre retour ? 

Benoît Tanguy : J'ai tout d'abord constaté l'évolution de la marque, tant au niveau des collaborateurs de Scania France que du maillage du réseau. Le nombre de succursales a notamment augmenté depuis mon départ. Je reconnais encore certaines personnes mais beaucoup de choses ont changé, ce qui est évidemment positif ! De plus, la stratégie de développement du parc a porté ses fruits : le nombre de véhicules Scania en circulation a considérablement augmenté.

JPL : Quels sont les défis les plus importants auxquels Scania France est confrontée ?

B.T. : Nous avons déjà pour ambition de poursuivre l'extension de notre parc roulant, ce qui est indispensable pour assurer l'avenir de la marque. Le ­développement de l'offre de services à nos clients dans notre réseau, que ce soit dans nos points de vente intégrés et privés, est également une priorité.

Nous avons mis un focus de plus en plus marqué sur nos clients et leurs retours afin de nous assurer que nos services répondent parfaitement à leurs attentes, avec notamment de plus en plus d'enquêtes de satisfaction dans le réseau. C'est aussi pourquoi nous voulons continuer à former nos collaborateurs et les faire monter en compétences.

JPL : Cette volonté va-t-elle vous inciter à prendre part à davantage d'événements pour être en contact direct avec vos clients ?

B.T. : Oui, cela fait effectivement partie de nos objectifs. Nous avons récemment participé au salon Intermat, du 24 au 27 avril dernier. Il est très important d'avoir ces retours des clients afin de nous assurer que nous restons en ligne avec leurs attentes. Nous tenons donc à maintenir ce lien avec le terrain, en participant à des salons comme Intermat ou en organisant des événements internes.

En avril dernier, nous avons, par exemple, effectué un déplacement en Suède avec une partie de notre réseau et de nos clients pour découvrir notre nouveau véhicule électrique. Nous garderons cette proximité avec nos utilisateurs, aussi bien lors de ces manifestations qu'à l'occasion de leurs visites dans notre réseau.

JPL : Après une année 2023 difficile pour le transport routier français, le début d'année reste compliqué pour les professionnels du secteur. Ces difficultés se sont-elles répercutées sur votre activité ?

B.T. : J'ai pris mes fonctions il y a quelques semaines, il est donc encore difficile de dresser un bilan précis de la situation. On peut observer que le marché s'est effectivement tendu, avec pas mal d'incertitudes chez nos clients. Cependant, la demande reste forte, avec un besoin marqué de renouvellement des véhicules. Les délais de prise de décision sont donc plus longs. Il est difficile pour eux d'avoir de la visibilité sur leur activité.

Nous avons des clients qui se portent bien, tandis que d'autres rencontrent des tensions de trésorerie. Nous essayons de les accompagner pour les aider à surmonter ces difficultés. Cependant, nos indicateurs ne sont pas alarmants et nous n'avons pas constaté de signes préoccupants de défaillances d'entreprises. Nous resterons malgré tout vigilants dans les prochains mois…

JPL : Lors de la présentation des résultats de la marque pour 2023, vous avez évoqué les retards pris par les carrossiers, qui ont impacté vos livraisons de porteurs. Ces difficultés sont-elles toujours d'actualité ?

B.T. : Nos ventes étaient effectivement soutenues, mais nous n'avons pas pu réaliser ces livraisons. Nos partenaires carrossiers ont été confrontés à plusieurs problèmes, et cet embouteillage est toujours d'actualité… Cela pose des difficultés de gestion de trésorerie de notre côté, et de gestion de flux chez les carrossiers. L'impact est également important pour nos clients, car ces retards de livraison peuvent entraîner une perte de chiffre ­d'affaires.

JPL : Quelles sont les ambitions commerciales fixées par Scania France en 2024 ?

B.T. : Notre première ambition est de continuer à développer notre part de marché. Nos résultats de début d'année sont très prometteurs et nous espérons maintenir cette dynamique jusqu'à la fin de l'année. En particulier sur le marché des porteurs, puisque c'est un axe sur lequel nous avons concentré nos efforts ces dernières années.

Malgré quelques signes d'attentisme, en particulier sur le segment du TP, nous avons le souhait d'accélérer notre essor sur ce segment. En parallèle, nous avons fait de la transition écologique l'un des axes majeurs de notre développement commercial.

Nous livrons notamment de plus en plus de véhicules B100. Le groupe s'apprête également à lancer deux nouveaux moteurs biogaz de 420 et 460 ch. On observe un regain d'intérêt pour cette motorisation. Enfin, nous proposons également une gamme de véhicules électriques urbains et régionaux, qui s'étoffe avec la nouvelle génération de batteries Northvolt, garanties 1,5 million de kilomètres, soit la durée de vie des véhicules. À partir de septembre, nous annoncerons également le lancement, prévu en 2025, de nos camions électriques longue distance, qui proposeront une recharge MCS (Megawatt Charging System).

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Autre point important : à partir de juillet, nous allons harmoniser notre offre de services à travers l'Europe. Jusqu'à présent, nos clients pouvaient bénéficier de prestations différentes selon les pays, ce qui pouvait soulever des questions lors de trajets transfrontaliers. Nous allons donc ajouter une dimension paneuropéenne à notre offre de services.

JPL : Un mot sur l'électrification du marché : votre prédécesseur, Carl Pattyn, a laissé entendre que l'objectif d'atteindre les 50 % de ventes en électrique en 2030 serait difficilement réalisable. Partagez-vous son opinion ?

B.T. : C'est le marché qui donnera le ton. Une chose est sûre : en termes de produits, Scania sera prêt. Pour le reste, nous sommes dépendants de plusieurs facteurs. Il reste encore de nombreuses questions en suspens et des incertitudes concernant l'électrique…

À l'instar de l'infrastructure de recharge, qui devra être disponible sur tout le territoire. Aujourd'hui, ce sujet reste un frein. À part Milence qui développe son réseau en France et en Europe, il y a peu de chargeurs pour poids lourds accessibles. Les capacités de production et de livraison de batteries soulèvent également des préoccupations chez de nombreux constructeurs.

Enfin, l'électrique implique de repenser le modèle économique du transport. Un camion diesel coûte environ 100 000 euros, et un camion électrique entre 300 000 et 350 000 euros. Les aides publiques sont donc essentielles pour l'acquisition de ces véhicules. Or, des incertitudes planent aussi sur les appels à projets visant à soutenir ces investissements.

JPL : Le manque de visibilité autour de ce dispositif freine-t-il le passage à l'électrique chez vos clients ?

B.T. : Les règles des appels à projets sont modifiées chaque année par le gouvernement. En 2022, des transporteurs ont reçu un chèque après notification des pouvoirs publics, mais en 2023, il a été décidé que cette aide, qui est calculée en fonction des économies de CO2 par kilomètre parcouru, sera finalement versée au cours de la durée d'amortissement du véhicule… En 2024, selon les dernières informations, le financement de ce programme devrait être assuré par des certificats d'économies d'énergie. Difficile pour les transporteurs de s'adapter à ce dispositif qui change d'une année sur l'autre.

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À terme, je crains également une évolution de la fiscalité sur l'énergie électrique, qui pourrait avoir un impact sur le TCO de ces véhicules. Là encore, nous manquons de visibilité ! Il est important de souligner qu'un transporteur investit sur une durée de dix à quinze ans lorsqu'il achète un porteur. Comment, dans ces conditions, se projeter quand on ne dispose d'aucune certitude sur les aides et les taxes qui pourraient avoir un impact sur le coût de détention de ces véhicules ?

Plus globalement, l'essor de l'électrique nous amène à nous interroger, avec nos clients et leurs clients, sur le modèle économique du transport routier. Aujourd'hui, les transporteurs ne parviennent pas à facturer le "kilomètre électrique" plus cher aux chargeurs, car les consommateurs ne sont pas prêts à payer plus cher pour ce service. Une refonte du modèle économique du transport me semble donc nécessaire. Les autorités européennes ont adopté une position dogmatique en faveur de l'électrique et doivent donc nous accompagner dans le déploiement de cette nouvelle technologie.

JPL : Cette évolution du modèle économique du transport vous incite-t-elle à proposer des solutions de financement plus innovantes pour ces véhicules ?

B.T. : Nous travaillons surtout à redéfinir notre offre pour qu'elle prenne en compte le véhicule, la maintenance et éventuellement la charge. Cette réflexion devra probablement être menée sur des durées de financement différentes de celles des véhicules thermiques. Et nous avons également notre offre de location. C'est un service très important, car il permet à nos clients d'éviter de s'engager dans l'achat d'un véhicule, sa revente, etc.

JPL : Travaillez-vous déjà sur le recyclage et la seconde vie des batteries ?

B.T. : Avant d'aborder ce sujet, il est important de parler de leur première vie. Les batteries Northvolt qui équipent nos véhicules génèrent, lors de leur production, des émissions de CO2 inférieures de 60 % à celles observées globalement dans cette industrie. C'est considérable ! On ne peut pas prétendre fabriquer des véhicules électriques pour réduire les émissions de CO2 tout en étant extrêmement polluant lors de la fabrication des batteries. Et il reste encore de nombreuses interrogations à lever.

JPL : Pour accompagner l'électrification du parc roulant, Scania France a lancé un ambitieux programme d'investissements au sein de son réseau : E-mobilité Services. Où en êtes-vous de son déploiement ?

B.T. : Ce programme comporte deux niveaux de certification. Le premier niveau a déjà été déployé et permet à nos ateliers d'établir un diagnostic sur n'importe quel type de véhicule, de le consigner et d'intervenir sur la partie électrique haute tension. Le second niveau de certification est en cours de mise en œuvre. Il nécessite un outillage et une expertise plus pointus, avec des techniciens formés pour intervenir sur les éléments des packs de batteries.

JPL : En France, le groupe Scania mène également un projet de rétrofit électrique…

B.T. : En effet, Scania France a noué un partenariat avec le groupe Ortec prévoyant la conversion électrique d'hydrocureurs utilisés dans les services d'assainissement. L'idée, c'est de remplacer les groupes motopropulseurs de ces véhicules aux carrosseries très onéreuses par des e-machines, des batteries et un système de pilotage.

Nous allons fournir un kit de rétrofit complet de motorisation électrique, et aussi accompagner notre partenaire dans la conception du prototype. La livraison du premier kit est prévue cet été afin qu'il soit opérationnel en fin d'année. Après validation du dispositif, une partie du parc d'hydrocureurs d'Ortec sera progressivement convertie sur le site de Durtal (49).

JPL : Cette expérimentation pourrait-elle être étendue à des véhicules routiers, à terme ?

B.T. : Pour l'instant, notre réflexion sur le rétrofit électrique commence par ce partenariat avec Ortec et la conversion de véhicules statiques. Pour ce qui est des véhicules routiers, il est encore un peu trop tôt pour se prononcer. Nous avions été en contact il y a quelque temps avec un acteur du rétrofit qui proposait la conversion de véhicules routiers thermiques en électriques ou hydrogènes.

Mais le coût de ces opérations reste très élevé, presque équivalent à celui d'un véhicule neuf. En outre, les frais de maintenance sont également élevés sur les véhicules ­rétrofités. C'est pourquoi le modèle économique du rétrofit ne nous semble pas, pour l'instant, très intéressant pour les véhicules routiers. Nous nous adapterons si la situation venait à évoluer.

JPL : L'industrie du poids lourd mise de plus en plus sur la deuxième, voire la troisième vie de ses véhicules. Croyez-vous à ce modèle d'économie circulaire ?

B.T. : Nous y croyons, effectivement ! Cela fait partie des axes de réflexion du groupe, même si nous n'avons pas encore prévu d'inaugurer un site de reconditionnement.

JPL : Quels autres dossiers vont vous mobiliser, à court et moyen terme ?

B.T. : Nous voulons poursuivre le développement de notre réseau, tant en termes de capacités que de technicités. En juin, nous allons notamment inaugurer notre nouveau site à Mondeville (14), près de Caen, qui assurera la maintenance et la réparation des véhicules diesel, gaz et aussi électriques. Le groupe va donc continuer à investir lourdement dans son réseau.

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Avec l'électrique justement, on oublie trop souvent que la notion de services est fondamentale dans notre métier. C'est capital dans le BtoC et ça l'est encore plus dans le BtoB. C'est pourquoi nous avons l'ambition que 80 % de nos clients puissent disposer d'un point de service Scania à moins de 40 km. Il ne faut surtout pas oublier que, même si nous atteignons le seuil de 50 % de nos ventes en électrique d'ici à 2030, le parc roulant à entretenir restera à 90 % thermique.

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