Poids lourds : l’Europe ajuste sa trajectoire de décarbonation

Un nouveau virage pour le transport routier. Alors que l’objectif de décarbonation reste fixé à l’horizon 2035 pour le secteur automobile, la Commission européenne a présenté son paquet automobile, destiné à adapter plusieurs dispositifs réglementaires. Si la flexibilité de 10 % sur les émissions concerne principalement les véhicules particuliers, les poids lourds font, eux, l’objet d’ajustements ciblés.
Des crédits CO2 pour récompenser les performances
Désormais, la Commission européenne accordera des crédits d’émissions supplémentaires aux industriels chaque fois que leurs émissions de gaz à effet de serre passeront sous les seuils requis. Concrètement, les constructeurs de poids lourds ne sont plus soumis à une trajectoire strictement linéaire, mais peuvent désormais valoriser leurs performances environnementales lorsqu’ils dépassent les objectifs fixés.
En parallèle, Bruxelles a mis en avant une proposition d'amendement ciblé aux normes CO2 pour les véhicules de plus de 3,5 tonnes. Objectif : permettre au secteur du poids lourd de passer le cap 2030 en matière de décarbonation. Pour rappel, en 2023, Bruxelles avait fixé, pour les constructeurs de camions et de bus, l'objectif de réduire les émissions de leurs véhicules de 43 % en 2030 et de 90 % en 2040.
Un marché électrique qui peine à décoller
Des cibles jugées difficiles à atteindre par une partie de l’industrie, notamment en Allemagne, en Italie et dans les pays nordiques, où les constructeurs et transporteurs ont multiplié les alertes auprès des institutions européennes. Bruxelles a finalement choisi d'y répondre favorablement, tout en reconnaissant l’existence de freins structurels persistants. "Nous avons écouté les défis notamment concernant la conformité en 2030. Maintenant, il faut aussi qu'il y ait de la demande", explique Wopke Hoestra, commissaire européen à l'Action pour le climat.
Sur ce dernier point, le retard est assez significatif, porté par une électrification qui peine à véritablement prendre son essor. Selon l'ACEA, les modèles électriques ne représentent actuellement que 4 % des ventes de véhicules neufs et l'Europe ne compte que 1500 bornes de recharge, loin des 35 000 attendus.
Des chiffres encore insuffisants, pointés du doigt par Karin Radstrom, dirigeante de Daimler Truck. À titre d'exemple, Scania, pourtant un des principaux constructeurs de poids lourds sur le continent, n'a vendu que 1000 camions électriques cette année. "Nous avons fait nos devoirs, nous avons conçu les véhicules (électriques) et nous aimerions les vendre, mais nous avons besoin qu'on nous y aide", martèle Christian Levin, patron du constructeur suédois.
Transporteurs et constructeurs font front commun face aux obstacles
Ces freins sont également mis en avant par les organisations professionnelles du transport routier. Dans un communiqué commun publié après la présentation du Paquet automobile, plusieurs fédérations allemande (BGL), française (FNTR), néerlandaise (TLN) et nordique (NLA) estiment que la lente électrification du transport routier de marchandises s’explique avant tout par des contraintes opérationnelles persistantes.
Elles pointent notamment les difficultés d’accès au réseau électrique pour la recharge en dépôt, l’insuffisance d’infrastructures publiques adaptées aux poids lourds le long des grands corridors de fret, le coût élevé de l’électricité, ainsi que l’absence d’un modèle de coût total de possession suffisamment compétitif pour les camions électriques.
Dans ce contexte, ces organisations saluent la décision de la Commission européenne d’exclure les poids lourds du champ de la proposition sur le verdissement des flottes d’entreprises via le Clean Corporate Fleet. Les organisations professionnelles estiment en effet que l’imposition de quotas de camions zéro émission ne constitue pas, en l’état, un levier adapté à la transition énergétique, compte tenu des contraintes économiques, opérationnelles et infrastructurelles auxquelles fait face le transport routier de marchandises.
Réglementation allégée : un pas pour faciliter l’électrification
Autre volet scruté de près par la filière : l’Automotive Omnibus. Ce paquet vise à simplifier le cadre réglementaire et à réduire les charges administratives pesant sur les industriels, dans un contexte d’empilement de normes techniques et environnementales qui complique la mise en conformité des constructeurs de poids lourds.
Ces ajustements s’inscrivent enfin dans un mouvement plus large. Le Conseil européen a adopté, le 4 décembre dernier, une directive autorisant l’augmentation du poids maximal et des dimensions des poids lourds à zéro émission. Une mesure destinée à compenser le surpoids des batteries et à lever un frein opérationnel majeur au déploiement des camions électriques. « Nous ferons de notre mieux pour que les infrastructures de recharge soient disponibles », a conclu Wopke Hoekstra.
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