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Transport

Le transport sous température dirigée à l'épreuve des nouvelles technologies

Publié le 1 août 2024

Par Florent Le Marquis
7 min de lecture
Alors qu'il fait déjà face à la hausse des coûts des véhicules et du carburant, le transport sous température dirigée doit aussi appréhender sa transition énergétique. Dans le même temps, la connectivité se fait toujours plus présente pour garantir la chaîne du froid.
Pour un acteur régional comme Trans Proxim Froid, l'accompagnement des pouvoirs publics apparaît encore plus indispensable pour réussir sa transition énergétique. ©Trans Proxim Froid

En France, le parc de poids lourds compte plus de 100 000 véhicules dans la branche transport sous température dirigée. Ils représentent quelque 10 % du trafic routier dans le pays. Une activité non négligeable, donc, qui a connu un contexte de marché compliqué ces dernières années avec les crises énergétique et inflationniste. "Tout coûte plus cher dans le transport frigorifique par rapport au transport de produits secs", rappelle Julien Normand, directeur de Trans Proxim Froid, transporteur opérant sur toute la Franche-Comté auprès des professionnels (commerçants, grandes surfaces, collectivités…).

Il poursuit : "Le véhicule est plus coûteux, et il faut plus de carburant pour faire tourner les groupes frigorifiques. La construction d'une structure réfrigérée demande aussi un investissement, par rapport à du produit sec qui peut rester dans un hangar. Et il faut beaucoup d'électricité pour générer du froid et avoir de la lumière en continu, car on ne peut pas avoir d'ouverture extérieure en raison des cloisons."

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Or, ces coûts ont connu des augmentations significatives, fragilisant la trésorerie des entreprises. Les postes énergie, carburant et électricité en tête, mais aussi celui des véhicules, dont les prix ont bondi de 20 à 30 % en dix ans, selon Julien Normand. "Tout cela nous donne du travail. Nous parvenons à progresser, mais certaines sociétés bien installées perdent des marchés car elles ne peuvent pas suivre au niveau des prix, ajoute-t-il. Pendant longtemps, nous n'avons pas augmenté nos tarifs, mais nous n'avons plus le choix, nous devons le faire chaque année. Et ce sont les clients finaux qui pâtissent de la situation."

Pas simple de passer au vert

Malgré cet environnement difficile, le transport sous température dirigée doit, comme les autres, se plier aux contraintes de la transition énergétique. "Notre activité a beaucoup évolué depuis dix ans, avance Sébastien Dortignac, directeur technique véhicules du groupe StefNous faisions tout avec du diesel et du GNR. Désormais, nous privilégions les énergies bas carbone. Certaines sont accessibles en France et pas dans le reste de l'Europe, et inversement."

En effet, les biocarburants permettent de décarboner rapidement, mais le B100 est essentiellement développé en France et peu ailleurs. Le HVO, lui, n'est pas accessible à la pompe partout, notamment en France. "Cela nous oblige à rester en veille puisque nous couvrons huit pays. C'est intellectuellement très stimulant, apprécie Sébastien Dortignac. Il faut habituer nos clients aux nouvelles technologies, et discuter avec ceux qui s'interrogent sur les évolutions à venir."

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Chez Stef, le B100 apparaît comme une énergie alternative majeure. Sur 2 000 tracteurs, 300 roulent déjà à ce biocarburant, ainsi que 30 des 560 porteurs du groupe. Pour ces tracteurs, le GNC est plus développé, avec près de 80 véhicules concernés. Stef a entamé il y a quelque temps sa démarche "Moving Green", avec pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à ses véhicules de 30 % d'ici à 2030, mais aussi de proposer de l'énergie bas carbone sur 100 % de ses filiales dès 2025.

Plus difficile pour les acteurs régionaux

Pour un acteur régional comme Trans Proxim Froid, avec une flotte de 40 véhicules, la transition semble plus compliquée à réaliser. "Nous nous étions mis au gaz, mais une seule station le distribue sur notre secteur. Donc tous les camions roulant au gaz vont à ce même endroit pour se ravitailler, et il y a parfois une longue attente pour y accéder, regrette Julien Normand. Pour du transport national, il y a la possibilité de s'approvisionner sur les autoroutes. Pour du régional, c'est plus compliqué." Et que dire de l'électrique… On l'a rappelé, le transport sous température dirigée nécessite plus d'énergie que le transport de produits secs.

De fait, la question de l'autonomie est importante. "Nous n'avons pas de quoi tenir assez loin pour faire de la distribution frigorifique en électrique, affirme Julien Normand. Nous sommes prêts à rouler propre mais en face, les moyens ne sont pas mis pour que cela fonctionne. Le coût de l'électrique est également important, et on se retrouverait à faire payer cela au client… En attendant, nous avons des véhicules récents, diesel mais qui répondent aux dernières normes antipollution."

Pour le transport sous température dirigée, le coût se joue aussi dans le stockage, car il faut conserver la marchandise à bonne température pour ne pas rompre la chaîne du froid. ©Trans Proxim Froid

Pour le transport sous température dirigée, le coût se joue aussi dans le stockage, car il faut conserver la marchandise à bonne température pour ne pas rompre la chaîne du froid. ©Trans Proxim Froid

Pour un groupe de taille imposante comme Stef, l'heure est tout de même à essayer de passer à l'électrique. Du moins en partie. Si le transporteur a testé avec Renault un premier véhicule électrique il y a plus de dix ans, le nombre de camions concernés sur son parc reste particulièrement faible. Un roule en Italie, deux viennent d'être livrés à Rouen et Metz. "Une dizaine d'autres vont arriver, annonce Sébastien Dortignac. Avant tout déploiement d'une nouvelle énergie, il y a un process d'évaluation de la solution dans des conditions réelles d'exploitation, afin d'en déterminer les cas d'usage, car les changements pour nos exploitations sont majeurs, que ce soit en termes de coût ou d'autonomie."

Les solutions des fabricants

Avant de passer aux camions tout électriques, la première étape peut être de “verdir” les groupes frigorifiques. Les fabricants proposent depuis quelque temps des unités 100 % électriques. Lors de Solutrans 2023, Stef a notamment signé une commande chez Carrier Transicold de 10 Vector eCool pour ses tracteurs. Ce système de réfrigération pour semi-remorques sans moteur est alimenté par une batterie rechargeable via un générateur monté sur essieu. Le spécialiste des systèmes de réfrigération pour le transport avait par ailleurs lancé une nouvelle version de son unité Vector HE19, compatible avec un nouveau réfrigérant à faible PRG et au B100.

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Thermo King, de son côté, a présenté son Advancer-e lors du salon lyonnais. "Nous avons des partenariats avec Carrier et Thermo King, et travaillons avec eux sur la réduction du bruit et des consommations, commente Sébastien Dortignac. Dans la mesure du possible, nous essayons d'avoir la même énergie entre le châssis et le groupe. Dans ce cadre, nous travaillons également avec TRS." Racheté par Carrier en 2016, TRS se spécialise en systèmes de réfrigération sans moteur, utilisant une technologie hydroélectrique et consommant donc moins de diesel. "Il y a moins de cloisons entre les constructeurs de châssis, les fabricants de groupes frigorifiques, les carrossiers, etc.", se réjouit le directeur technique véhicules de Stef.

Pour faciliter le passage des groupes frigorifiques diesel vers l'électrique, les fabricants se mettent même au rétrofit, comme Carrier et sa solution [R]eCool lancée en 2023. "Le rétrofit, nous le regardons mais c'est une solution naissante. Tout n'est pas stable sur les technologies de demain… Il faut déjà avoir des certitudes sur celles-ci avant de s'engager dans du rétrofit, estime Sébastien Dortignac. Nous savons qu'un tracteur dure généralement cinq ans, et un porteur neuf ans. Ces durées de détention nous donnent des calendriers pour basculer nos parcs. Je préfère la pérennité des technologies à la rapidité."

Un transport beaucoup plus connecté

Comme l'ensemble des acteurs du secteur, le transport sous température dirigée doit aussi compter sur l'humain pour réduire son impact environnemental. "Une partie de nos économies d'énergie se font via le conducteur", rappelle Sébastien Dortignac. Stef a mis en place un système de notation de conduite, récompensant ceux qui ont le meilleur comportement au volant. Les conducteurs peuvent même bénéficier de conseils le matin en fonction de leur conduite de la veille. "Cela permet à nos formateurs de cibler les conducteurs qu'ils vont voir et de personnaliser les points d'amélioration, relate le directeur technique véhicules. Cela fonctionne : nous constatons des baisses de consommation chaque année."

L'usage de la télématique permet de remonter tout un tas de données sur lesquelles l'entreprise peut s'appuyer pour axer sa stratégie. "Nos matériels connectés remontent l'information traitée par notre fournisseur et renvoient à une notation", résume Sébastien Dortignac. Trans Proxim Froid aussi use de la télématique, travaillant avec Samsara.

"Chaque chauffeur s'identifie avant de prendre un véhicule, et nous pouvons ensuite avoir des informations sur son utilisation du frein moteur, ses accélérations, etc.", rapporte Julien Normand, qui prévoit prochainement un stage d'éco-conduite pour ses conducteurs. En ajoutant, toujours avec Samsara, des caméras embarquées à ses véhicules en 2022, Trans Proxim Froid a même divisé par 6 ses sinistres en un an, passant de 35 cas en 2022 à 6 en 2023.

La gestion des données

Évidemment, la télématique a bien d'autres avantages pour le transport à température dirigée. "La seule donnée qu'on ne remonte pas encore, c'est la consommation du groupe frigorifique, clame le dirigeant. Nous pouvons géolocaliser chacun des véhicules, connaître leur consommation quasiment en temps réel pour la plupart des constructeurs, pareil pour la température dans les caisses frigorifiques. Le conducteur peut être alerté si elle est trop élevée." Le client peut aussi bénéficier de rapports clairs sur l'historique des températures pendant toute la durée du transport.

Le transport sous température dirigée connaît plus de contraintes que le TRM traditionnel, car la consommation du groupe frigorifique doit aussi être prise en compte. ©ACAClandoeil.fr

Le transport sous température dirigée connaît plus de contraintes que le TRM traditionnel, car la consommation du groupe frigorifique doit aussi être prise en compte. ©ACAClandoeil.fr

Autre télématicien, mêmes objectifs : Geotab a développé la solution Cold Chain, qui permet notamment de changer à distance la température du groupe froid ou déceler une rupture de la chaîne du froid. Des détecteurs de portes évitent les mauvaises fermetures. L'extension Cold Chain Add-In récupère les données pour créer un historique des températures.

"L'agrégation des données est un enjeu fort, notamment quand une entreprise travaille avec des partenaires sous-traitants, ajoute Sébastien Dortignac, qui travaille avec Koovea pour la traçabilité de la température. Demain, il y aura d'autres enjeux, sur la partie technique en particulier. La télématique nous permettra d'adapter nos plans de maintenance en fonction de ce que le véhicule, le hayon ou le groupe frigorifique nous diront."

L'IA comme aide

L'intelligence artificielle fait aussi son entrée dans le quotidien des transporteurs du froid. Le spécialiste Sofrilog a voulu dynamiser la planification de ses flux de transport en faisant appel à DCbrain. La start-up dispose d'une IA spécifique qui analyse des milliards de possibilités afin de recommander les meilleures décisions à prendre.

Cet outil permet à Sofrilog de repenser ses process et de faciliter le quotidien de ses planificateurs : optimisation des tournées, pour parcourir moins de kilomètres et donc émettre moins de CO2, mais aussi des taux de remplissage des véhicules. Ce dernier élément apparaît particulièrement important pour les transports. "Il y a de plus en plus de contrôles sur le bord des routes concernant la charge des véhicules", constate Julien Normand. Et avec le poids des batteries, le sujet pourrait revenir à la charge dans les années à venir.

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