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Transport

Fabrice Grandgirard (Mauffrey) : "Nous avons toujours été pionniers sur le sujet de la décarbonation"

Publié le 3 avril 2023

Par Mohamed Aredjal
7 min de lecture
Le groupe Mauffrey a pris possession, en janvier 2023, du premier Volvo FH Electric de l'Hexagone. Une acquisition symbolique pour le transporteur vosgien qui, en dépit d'un contexte réglementaire et énergétique indécis, entend mener à bien sa stratégie de décarbonation.
Fabrice Grandgirard évolue au sein du groupe Mauffrey depuis près de 25 ans.

Vous avez pris la présidence du groupe Mauffrey le 1er janvier dernier, succédant à Dominique Mauffrey. Quels chantiers vont vous mobiliser à court et moyen termes ?
Fabrice Grandgirard : Dans un premier temps, je voudrais rappeler que je travaille au sein du groupe Mauffrey depuis près de 25 ans. Je suis donc un pur produit de l'entreprise ! J'ai commencé en tant que chargé d'études dans le commerce, avant de devenir directeur de filiale pendant une quinzaine d'années. Par la suite, j'ai évolué progressivement vers une direction de région pendant trois ans. En 2020, j'ai pris la direction générale des opérations avant que Dominique Mauffrey me demande de prendre la présidence du groupe, en janvier dernier. En sachant que ce dernier devient président du conseil de surveillance du groupe.
Parmi les chantiers qui me mobiliseront, j'identifie aujourd'hui deux enjeux principaux. Il y a, tout d'abord, le volet recrutement et formation. Dans le transport routier, nous faisons face à une véritable pénurie depuis déjà quelques années et cette situation devrait s'aggraver puisque la dernière étude de l'IRU (l'Union Internationale des transports routiers, ndlr) nous a appris qu'il devrait manquer plus de deux millions de chauffeurs en Europe d'ici à 2026. C'est un chantier important, d'autant que la pyramide des âges dans ce secteur reste très défavorable. C'est ce qui nous a d'ailleurs conduit à mettre en place notre académie l'année dernière. L'objectif est de sourcer des chauffeurs dans toutes nos filiales, c'est-à-dire dans nos 50 sites, localisés principalement en France. Cette académie nous aidera à former des conducteurs mais aussi des mécaniciens poids lourds ainsi que des gestionnaires de transport.
Pour notre deuxième chantier, en tant que prestataire de services, nous voulons répondre à l'une des demandes majeures de nos clients qui attendent des solutions de décarbonation. Ce qui sous-entend de nouvelles motorisations. Nous y répondons notamment avec ce premier tracteur 44 t électrique. Mais nous travaillons aussi sur d'autres solutions, en particulier avec le transport multimodal qui a été engagé au sein du groupe depuis la création de notre première filiale dédiée MAFF (Mauffrey affrètement fluvial et ferroviaire) en 2017. Nous allons donc accompagner nos clients avec ces différentes technologies et services pour leur apporter les solutions les plus en adéquation avec leurs besoins.

Beaucoup de transporteurs ont connu une année 2022 très compliquée en raison du contexte inflationniste. Quel bilan d'activité avez-vous tiré de cet exercice de votre côté ?
Comme beaucoup de nos confrères transporteurs, nous avons été surpris par cet effet inflation avec des hausses de coûts exceptionnelles en très peu de temps. La profession a rarement été confrontée à une telle situation. Il y a d'abord eu l'augmentation des coûts de l'énergie, en particulier du carburant. Mais cette inflation a concerné l'ensemble des composantes du coût de revient du transport routier : les véhicules, les pneumatiques, l'AdBlue, les salaires, etc. Au vu de l'évolution des coûts, nous avons dû adapter nos prix de vente et demander à nos clients un accompagnement pour compenser cette tendance.

Pensez-vous que ces hausses vont se poursuivre dans les prochains mois ?
Pour le moment, nous ne sentons pas de coup de frein à cette inflation. Les matériels restent difficiles à obtenir et les délais d'attente demeurent très importants. Les salaires de conducteurs devraient continuer à augmenter et des discussions sur le sujet auront lieu en juillet prochain. Nous sommes toujours en alerte auprès de nos clients sur ce sujet, et nous les sollicitons pour qu'ils nous accompagnent pour continuer à mettre à leur disposition des capacités de transport.

Vos clients sont-ils réceptifs à ces demandes ?
Globalement, oui, ils comprennent bien notre situation puisqu'ils ont eux-mêmes subi ces augmentations, en particulier dans le domaine de l'énergie. En raison de la saisonnalité de début d'année, avec une activité souvent plus basse que sur le reste de l'exercice, il faut reconnaître que les discussions peuvent prendre un peu plus de temps.

Vous avez donc pris possession en janvier du premier FH Electric auprès de la marque Volvo Trucks. Était-ce important, symboliquement, de prendre possession du premier tracteur 44 t électrique de France ?
C'est symbolique, mais le groupe Mauffrey a toujours été pionnier sur le sujet de la décarbonation puisque nous étions le premier transporteur à acquérir en 2012 en France un tracteur gaz, en l'occurrence un Iveco de 330 ch. Aujourd'hui, nous en comptons plus de 250. Et nous poursuivons notre mix énergétique, en nous penchant sur toutes les solutions mises à notre disposition et adaptées à nos clients. Nous avons déployé le biodiesel avec de l'Oleo100 notamment. Sur l'électrique, nous avions fait l'acquisition dès 2021 du premier porteur 26 t avec des batteries de seconde génération, positionné chez Bouygues Construction qui l'exploite sur plusieurs de ses chantiers du Grand Paris.
Toujours en 2021, le groupe Mauffrey avait aussi réceptionné le premier tracteur électrique DAF CF Electric dans le Nord pour un autre client, McCain qui fait des navettes entre l'usine de production et notre plateforme logistique. Avec l'arrivée de ce tracteur 44 t Volvo Trucks, nous sommes dans la continuité de notre stratégie. Ce projet a été rendu possible grâce à l'accompagnement de la marque mais aussi de notre client Eqiom. Ce partenaire, fabricant de ciment, avait une forte volonté de décarboner son activité. Lorsque nous avons été en mesure de lui apporter une solution innovante, il n'a pas donc pas hésité à nous suivre avec ce véhicule qui effectuera un peu moins de 200 km par jour. Il est donc parfaitement adapté aux besoins d'Eqiom.

Dans le contexte réglementaire et énergétique très incertain que nous vivons aujourd'hui, comment pilotez-vous votre stratégie de décarbonation ?
Pour nous, le mix-énergétique est une nécessité puisque, il faut l'avouer, nous n'y voyons pas très clair aujourd'hui… Déjà à l'époque, lorsque nous avons débuté le gaz, le réseau de distribution était qua-si-inexistant, et les stations se sont mises en place progressivement. Si on parle de l'hydrogène, aucun véhicule n'est homologué aujourd'hui en France et il n'y a non plus d'avitaillement possible. Sur l'électrique, l'utilisation est désormais possible sur des applications en charges lourdes mais les autonomies restent réduites. Nous avançons donc dans ce brouillard technologique qui se double d'un flou réglementaire. Il est, par exemple, très difficile de comprendre ce que vont donner les ZFE…

Comment appréhendez-vous justement le déploiement de ces ZFE et de leurs critères d'exclusion sur l'ensemble des territoires concernés ?
Nous essayons, déjà, de nous tenir informés puisque j'ai le sentiment que les choses évoluent tous les mois, avec des annonces parfois divergentes. Nous essayons aussi de garder une proximité avec tous nos fournisseurs pour apporter des solutions adaptées à chaque ZFE. Mais ce n'est pas simple pour un transporteur… Avec les délais actuels de fourniture de matériels, nous devons nous projeter sur les achats de 2024. Or, le contexte réglementaire est tellement mouvant qu'il est difficile de se projeter. Sur le B100, nous avons vu passer, par exemple, plusieurs dépêches se contredisant sur l'éligibilité du biocarburant à la vignette Crit'Air 1. Nous suivons de près aussi l'actualité de la filière gaz. Si les prix du gaz sont retombés après l'envolée soudaine de l'an passé, la situation reste malgré tout très instable. Dans un tel contexte, nous repensons quasiment mois par mois notre stratégie en termes de véhicules.

A lire aussi : Volvo Trucks revendique 32 % de part de marché sur l'électrique

Un mot sur votre filiale MAFF : quelle place occupe le transport multimodal aujourd'hui dans votre stratégie ?
Le transport multimodal est un service que nous avons développé pour apporter à nos clients une solution qui associe du préacheminement et post-acheminement avec des véhicules Mauffrey – si possible vertueux sur le plan environnemental avec des motorisations gaz ou électriques – et un segment réalisé en transport fluvial ou ferroviaire. En sachant qu'au sein du groupe, le fluvial représente aujourd'hui une grosse partie de notre activité. Nous avons débuté ce travail sur le transport multimodal en 2017 avec la mise en place de la société MAFF. Depuis, nous basculons environ 3,5 millions de tonnes de marchandises annuellement de la route vers le fleuve. Nous agissons en tant que commissionnaire de transport fluvial avec MAFF et notre portefeuille compte quelque 350 bateaux disponibles sur l'ensemble des bassins européens. Nous nous développons tout particulièrement sur la Seine, la Moselle, le Rhin, le Rhône et les canaux du Nord. Depuis juillet dernier, nous sommes aussi devenus un transporteur fluvial avec une filiale dédiée, Solog Pulvé France. Nous transportons notamment du ciment sur la Seine et le Bassin parisien.

Ces dernières années, le groupe a mené une politique de croissance externe dynamique (Dynamic Gorlier, Chauvot, Pressac, etc.). Quels impératifs ont guidé ces différentes acquisitions ?
Nous étudions toutes les opérations de croissance externe dès lors qu'elles sont compatibles avec notre business plan. En particulier lorsqu'elles offrent une complémentarité géographique. À nos débuts, nous étions un transporteur présent dans l'Est dans la France mais aujourd'hui nous rayonnons sur l'ensemble du territoire national. Dès lors que nous pouvons apporter du service additionnel à nos clients implantés dans des secteurs dans lesquels nous ne sommes pas présents, ce sont des opérations qui peuvent nous intéresser.

Etant désormais présents aussi à l'international – au Luxembourg et en Pologne – nous nous penchons aussi sur les acquisitions possibles en Europe, en particulier dans les pays limitrophes de la France, mais uniquement dans les métiers du groupe.

Envisagez-vous d'élargir votre portefeuille d'activités en développant de nouveaux métiers ? 
Il y a toujours des niches dans les métiers du transport que nous ne connaissons pas. Si l'une d'entre elles peut nous intéresser, nous l'étudierons. Mais nous essayons de tenir notre stratégie et notre business plan en termes d'activités pour le moment.

Vous avez inauguré l'an dernier Mauffrey Academy. Pourquoi avoir choisi d'ouvrir votre propre centre de formation ?
Ce n'est pas nouveau au sein du groupe puisque nous avions lancé notre premier centre de formation dès la fin des années 90. Il faut rappeler qu'en 1997, le président de la République Jacques Chirac avait mis fin au service militaire, qui était un important pourvoyeur de conducteurs routiers pour la profession. Ce qui nous a donc conduit à la création de notre centre de formation, qui s'appelait alors Transformation. Depuis près de 30 ans, le groupe a toujours formé ses chauffeurs pour leur inculquer notamment les valeurs qui lui sont propres.

Avec Mauffrey Academy, nous formons aussi des gestionnaires de transport et mécaniciens tout en assurant la formation continue des conducteurs actuels mais aussi de nos autres collaborateurs pour leur développement de compétences. Autre chose importante : nous mettons un accent particulier sur la féminisation de la profession. Alors que la part de conductrices reste faible en France, autour de 3 %, notre dernière formation de chauffeurs a rassemblé 20 % de femmes. C'est parce que nous nous donnons les moyens d'attirer ce public féminin. Nous avons, par exemple, créé une crèche au sein de Mauffrey Academy. Mais ce n'est pas tout : nous bénéficions d'infrastructures très modernes dans ce centre de formation avec une salle de sport, des logements dédiés, un restaurant etc.

Outre la formation, quels sont les autres leviers privilégiés par le groupe pour faire face à la pénurie de chauffeurs ?
Nous travaillons sur plusieurs aspects. Il faut commencer par rappeler que le camion reste l'outil de travail de nos chauffeurs. C'est pourquoi nous veillons à renouveler régulièrement notre flotte. Ainsi, pour nos véhicules diesel, 100 % du parc est en Euro 6. Ce qui permet d'offrir à nos conducteurs des véhicules récents, aux dernières normes de sécurité et de confort. Nous nous occupons aussi d'eux à travers la gestion de leurs compétences et nous les accompagnons dans la formation continue. Un chauffeur peut débuter dans le TP et évoluer vers du tautliner, du fond mouvant, de la citerne… Plusieurs champs d'activité sont possibles. Y compris sur le plan géographique : nous avons des filiales partout en France qui peuvent faciliter la mobilité géographique de nos équipes. C'est une des spécificités qu'offre le groupe Mauffrey.

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