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L'éco-conduite, si indispensable

Publié le 25 mars 2023

Par Florent Le Marquis
7 min de lecture
La hausse du coût du carburant donne un caractère encore plus essentiel à l'éco-conduite. Les formations dédiées prolifèrent, et y associer des outils télématiques semble indispensable pour maîtriser au mieux sa consommation.
En adoptant une éco-conduite, les économies de carburant vont être rapides. Mais les bénéfices vont plus loin : moins d'usure du véhicule, moins de fatigue du conducteur… ©Volvo Trucks

volvoPlus 40, +50, +60 %… Selon les dates à prendre en point de comparaison, le prix du gazole ne cesse d'augmenter depuis bientôt trois ans. 2022 n'a évidemment pas dérogé à la règle, compte tenu du contexte géopolitique et énergétique. "Le carburant est devenu le premier poste de dépense dans le TCO (total cost of ownership, soit 'coût total de détention', ndlr) d'un camion, devant les salaires", lance Gaëtan Pierson, responsable des ventes services digitaux Rio chez MAN Truck & Bus. De fait, un exploitant voulant réduire ses dépenses a de plus en plus intérêt à sensibiliser ses chauffeurs à ce sujet. Si les principes d'éco-conduite ne sont pas nouveaux, ils prennent encore plus de sens aujourd'hui.

"Entre le chauffeur le plus économe et celui qui consomme le plus, il y a 35 % de différence de consommation de carburant", estime François Denis, directeur France de Geotab, qui équipe plus de 3,2 millions de véhicules dans le monde (PL, VU et VL confondus) en solution télématique. Dans les faits, la consommation d'un conducteur est liée à de nombreux facteurs : le véhicule, le poids transporté, la typologie des routes empruntées…

Pour acquérir les bonnes pratiques, la formation apparaît essentielle. Nouvelle Route en dispense tant pour les véhicules légers que lourds. L'organisme né en 2007 forme directement les conducteurs (sur une demi-journée généralement), mais aussi les formateurs internes et référents des sociétés de transports (sur deux à quatre jours), des postes de plus en plus habituels dans le secteur. "Nous travaillons sur deux points principaux : l'identification des axes d'amélioration de la conduite et la pédagogie. Il faut que le conducteur ait envie de suivre les conseils et d'en faire son habitude", détaille Olivier Duvert, président de Nouvelle Route.

De bonnes habitudes à prendre

Les constructeurs proposent généralement leur propre programme de formation : ProfiDrive chez MAN Truck & Bus, ou Driver Development chez Volvo Trucks, par exemple. Le but est alors de former les chauffeurs sur les camions qu'ils vont conduire, pour en connaître le mieux possible les fonctionnalités. "Le régulateur de vitesse, par exemple, s'est complexifié au fil des ans. Le chauffeur doit être accompagné pour s'en servir du mieux possible", illustre Gaëtan Pierson.

Mais les habitudes à prendre vont plus loin. "Accélération, anticipation et gestion de l'inertie sont les trois points permettant un bon contrôle du véhicule ", résume Joël Demoule, responsable Demo Driver de Volvo Trucks. Les économies se font aussi quand le véhicule est immobilisé. "Les arrêts moteur tournant sont généralement trop fréquents. Laisser le moteur allumé pour un arrêt de cinq minutes brûle inutilement du carburant, déplore François Denis. Autre élément simple : la majorité des véhicules ont besoin d'un ajustement de la pression des pneus, et sont de fait en surconsommation."

Avec des outils télématiques comme celui de Geotab, il est possible d'analyser à distance la consommation du véhicule et le comportement du conducteur. ©Geotab

Avec des outils télématiques comme celui de Geotab, il est possible d'analyser à distance la consommation du véhicule et le comportement du conducteur. ©Geotab

Forcément, se former a un coût. Pour un formateur interne initié par Nouvelle Route, il avoisine les 7 à 8 000 € pour quatre jours. "C'est un budget, certes, mais les économies générées sont grandes, affirme Olivier Duvert. Avec un gain de consommation de 5 à 8 %, rapporté à un camion roulant 100 000 kilomètres à l'année… Le retour sur investissement se fait en moins d'un an."

Chez MAN Truck & Bus, Gaëtan Pierson abonde : "Le coût du service n'est pas un frein pour nos clients, il faut y associer du temps. Nous observons généralement un gain de consommation de l'ordre de 2 litres aux 100 kilomètres dès deux mois." Pour aller plus loin, Volvo Trucks propose Driver&Coach, pour qu'un formateur suive les données de conduite du chauffeur pendant deux mois, analysant avec lui chaque semaine les points à améliorer. Un gage de durabilité de l'assimilation des principes d'éco-conduite. Le constructeur peut également intervenir "à la carte" chez ses clients, pour des remises à niveau notamment.

Plus loin que le carburant

S'il en est le point de départ, le carburant n'a pas le monopole de l'éco-conduite. D'ailleurs, ceux qui forment les conducteurs à sa pratique l'excluent de la définition qu'ils en font. "C'est adopter une conduite respectueuse de l'environnement et économe pour l'entreprise", pour Olivier Duvert. "C'est optimiser l'utilisation de nos matériels et les rendre les plus efficients possible", met en avant Joël Demoule. Les bénéfices de l'éco-conduite sont en effet multiples. Déjà, moins consommer, c'est réduire ses émissions polluantes. Ensuite, la pratique favorise la longévité du véhicule. "Adopter une conduite plus prévenante use moins les composants du camion, affirme Gaëtan Pierson. Conduire avec plus de souplesse et d'anticipation sollicite moins les freins, par exemple. Ce ne sont pas des économies chiffrables, mais les gains sont réels."

Ce calme préconisé au volant impacte par ailleurs l'aspect sécuritaire, et les conducteurs se trouvent moins sujets aux accidents. "Un de nos clients, transporteur de marchandise lourde, voulait réduire ses risques d'accident, se souvient François Denis. Un an après avoir installé les boîtiers Geotab, il n'avait pas eu le moindre accident, en plus d'avoir réduit sa consommation de carburant." Un élément qui peut engendrer d'autres économies pour les entreprises : moins de réparations, donc, moins de palettes cassées, mais aussi moins d'arrêts de travail et de remplacements. "Si la sinistralité baisse, il y a une possibilité de révision des primes d'assurances, ajoute le directeur France de Geotab. Certains assureurs vont même d'emblée accepter de réduire la prime dès l'installation de matériel télématique."

L'indispensable télématique

Pour atteindre ce niveau de rentabilité, est-il vraiment nécessaire d'associer formation à l'éco-conduite et outil télématique ? "C'est essentiel, s'exclame Joël Demoule. Si le conducteur est laissé seul après sa formation, dans les 6 à 12 mois qui suivent, les mauvaises habitudes reviennent et les paliers de consommation repartent généralement à la hausse." En termes de suivi, Volvo Trucks propose Volvo Connect. "Cet outil permet d'analyser les raisons d'un changement de comportement sur la route, pour aider les conducteurs à progresser sur les postes où ils peuvent être en difficulté : l'utilisation du régulateur, un freinage trop appuyé ou trop multiplié, l'utilisation de l'inertie du véhicule, etc.", illustre le responsable Demo Driver du constructeur. Surtout, quand on parle d'éco-conduite pour économiser du carburant, pouvoir mettre des chiffres sur la consommation apparaît logique.

Les acteurs sont tous formels : il faut pleinement intégrer le conducteur dans l'analyse des données récoltées par la télématique, pour ne pas créer de sentiment de "flicage". ©Geotab

Les acteurs sont tous formels : il faut pleinement intégrer le conducteur dans l'analyse des données récoltées par la télématique, pour ne pas créer de sentiment de "flicage". ©Geotab

MAN Truck & Bus dispose de sa solution télématique, Rio, installée dans tous les camions sortant de ses usines depuis 2018. "Cela aide l'exploitant à voir comment le carburant est utilisé, notamment sur les temps de fonctionnement moteur, illustre Gaëtan Pierson. Pour piloter un tel poste de dépense, les chiffres doivent s'ajouter au conseil. Consommation, anticipation, utilisation des programmes de boîtes de vitesses… Les exploitants ne sont pas dans le camion avec leurs conducteurs, et doivent donc pouvoir mesurer à distance." Ces nombreuses données précises, tant sur le camion que sur la conduite, font gagner à l'exploitant un temps précieux. "Il peut forcer le chauffeur à regonfler ses pneus une fois par semaine, mais l'outil télématique remonte des alertes en temps réel et favorise la mise en place d'actions efficaces", confirme François Denis.

Un problème s'oppose cependant aux formateurs et télématiciens, et par extension aux transporteurs : la crainte du "flicage". Une pensée qui, selon les acteurs, est tout de même de moins en moins présente au sein des effectifs. D'abord parce que les conducteurs comprennent qu'adopter une éco-conduite est dans leur intérêt. "Leurs journées de travail sont mieux lissées, car ils apprennent à mieux les anticiper. Le stress et la fatigue sont donc moins présents, car ils subissent moins d'impondérables", justifie Joël Demoule. Ensuite, les chauffeurs ne sont pas "fliqués", mais "pleinement intégrés au process", comme le précise Gaëtan Pierson. Il poursuit : "Les trois parties – fournisseur d'outil, exploitant et conducteur – doivent travailler ensemble. Chez MAN, avec la Driver App, le conducteur peut suivre en temps réel ses performances, sa consommation, et bénéficier de conseils pour s'améliorer."

Pour certains, l'accès à leurs propres données de conduite peut même apporter un aspect ludique à leur activité. "L'éco-conduite devient parfois un jeu, remarque Olivier Duvert. Les conducteurs se fixent eux-mêmes des objectifs, essayent de consommer toujours moins que la fois d'avant sur un trajet récurrent." Cet esprit de compétition peut être matérialisé par un système de récompenses dans les entreprises, comme des primes liées aux performances en éco-conduite de leurs conducteurs. "Quand vous économisez 3 litres aux 100 sur un véhicule qui fait 2 000 kilomètres par semaine, cela finance ce type de primes, informe Gaëtan Pierson. Tout le monde est alors gagnant : l'entreprise réduit son empreinte carbone et l'impact du poste carburant sur sa trésorerie, et le conducteur gagne en confort de conduite et potentiellement en rémunération."

En évolution constante

D'actualité comme jamais, l'éco-conduite continue d'évoluer. "Les techniques d'il y a 20 ans ne sont plus adaptées aujourd'hui", justifie Joël Demoule. Le développement des outils se fait en conséquence. En deux ans, le nombre de paramètres analysés par Volvo Connect a doublé, atteignant les 300. "Au départ, sur le freinage, nous n'analysions que le nombre de coups de pédales et d'arrêts, poursuit le responsable. Désormais, nous disposons du nombre d'arrêts au ralenti, d'arrêts en roulant, des touchers de pédales, des utilisations du système de freinage par la machine, etc." Pour son outil Rio, MAN Truck & Bus travaille de son côté sur l'analyse des systèmes de freinage d'urgence.

Parmi ses récentes évolutions, on compte l'intégration de différents modes de boîtes de vitesses. "Cela permet d'adapter la puissance disponible au parcours et à la charge du camion pour réduire sa consommation", résume Gaëtan Pierson. Nouvelle Route travaille avec le télématicien SoFleet pour dénicher de nouvelles données comme les temps sans consommation, le temps passé sur chaque rapport de boîte ou encore la gestion des tours minute. Enfin, pour encore plus réduire les appréhensions des conducteurs, Geotab a créé le mode "restreint". "Il répond aux exigences de la CNIL sur la vie privée : quand le conducteur rentre chez lui, les données ne sont pas transmises au transporteur", détaille François Denis. De toute façon, si le conducteur a pris les bonnes habitudes, l'éco-conduite ne s'arrêtera pas à la fin de sa journée de travail…

 

Aussi valable sur l'électrique ?

Les économies de carburant sont le point de départ de l'éco-conduite. Moins de dépenses en diesel, moins d'émissions de CO2… Pour autant, les poids lourds électriques arrivant sur le marché, le principe de l'éco-conduite ne va pas disparaître pour autant. "Il faut rendre toutes les machines les plus efficientes possibles pour réduire les coûts d'exploitation, peu importe l'énergie qu'elles consomment", martèle Joël Demoule, dont l'outil fonctionne avec toutes les énergies. Tout conducteur ayant conduit un camion électrique le confirmera : la conduite diffère.

Pour autant, en termes d'éco-conduite, "la technique est la même", selon Olivier Duvert. Le président de Nouvelle Route affirme déjà recevoir de nombreuses demandes de formation sur les poids lourds électriques. "Etonnamment, les gains sont encore plus importants que sur du thermique, avance ce dernier. Un conducteur bien formé peut gagner entre 20 et 25 % d'autonomie, ce qui n'est pas négligeable, car c'est souvent cet aspect de l'électrique qui génère des craintes." Avec la crise énergétique actuelle qui fait s'envoler les coûts, nul doute que les transporteurs ayant fait le choix de l'électrique ne sont pas contre économiser des watts.

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