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David Sagnard (Flo) : "Développer notre force d'achat collective"

Publié le 3 juillet 2023

Par Mohamed Aredjal
7 min de lecture
PDG des Transports Carpentier, David Sagnard a pris les rênes du groupement Flo depuis 2020. Pour son premier mandat, le dirigeant a dû surmonter la crise de la Covid-19 tout en faisant face aux nombreux défis de la profession. Un environnement complexe qui a toutefois mis en lumière les forces collectives de l'organisation.
Au sein du groupement, David Sagnard veut développer un modèle vertueux dans lequel chaque partie partage des initiatives, des bonnes pratiques, des compétences, etc. ©Groupement Flo

Le Journal du Poids lourd : Le 24 mai dernier, le gouvernement a présenté la proposition de feuille de route sur la décarbonation des transports. Quelle est la position du groupement vis-à-vis de ces orientations sur la transition énergétique du parc roulant ?
David Sagnard :
Nous ne pouvons pas nager à contre-courant sur ce sujet. Le groupement Flo s'est déjà inscrit dans cette transition depuis quelques années en faisant notamment l'acquisition de nombreux véhicules roulant au gaz. Nous comptons, il me semble, un peu plus de 200 camions équipés de ce type de motorisation. Aujourd'hui, nous nous orientons de plus en plus vers des véhicules roulant au B100, en raison notamment de la forte progression de l'offre chez les constructeurs. Nous avons d'ailleurs enregistré une augmentation des véhicules vendus par Renault Trucks au sein du groupement cette année. Il faut dire que nous avons tous « surfé » sur la technologie B100 exclusive pour bénéficier de la vignette Crit'Air 1.

L'électromobilité est un sujet plus récent, et nous comptons quelques transporteurs qui testent actuellement cette nouvelle solution. C'est une technologie qui semble adaptée aujourd'hui aux véhicules faisant de la distribution. Pour la longue distance en revanche, nous manquons de recul et d'autonomie. Mais c'est un sujet qui nous mobilise de plus en plus. D'ailleurs, des appels à projets sur le déploiement de la mobilité électrique sont en cours auprès de l'Ademe et nous devons nous positionner pour basculer, peut-être, une partie de notre flotte vers ce type de motorisations.

 

JPL : Comment le groupement accompagne-t-il ses adhérents dans cette transition énergétique ?
D.S. : Il faut rappeler que, dans le groupement Flo, chaque entreprise reste indépendante dans la gestion de son activité et de sa stratégie de renouvellement de matériels. Nous veillons globalement à ce que l'ensemble des adhérents soient labellisés pour leurs engagements de réduction des émissions de CO2. Aujourd'hui, un peu plus de 80 % de nos adhérents ont adopté cette charte. Outre ces actions, il faut aussi évoquer les actions engagées par Flo Palettes, notre système de messagerie qui compte une soixantaine de transporteurs adhérents au groupement. Depuis plus de dix ans, nous menons des opérations de reboisement en France pour créer des puits de carbone forestiers. L'objectif est de se montrer plus vertueux dans ce domaine et d'apporter notre contribution pour compenser les émissions générées par nos véhicules et la distribution de nos palettes. Nous en sommes aujourd'hui à plus de 300 000 arbres plantés, ce qui représente un bilan très encourageant.

 

JPL : N'avez-vous pas le sentiment qu'il est difficile pour les transporteurs aujourd'hui de concilier les impératifs de décarbonation et les conditions de marché ?
D.S. : On parle d'écologie, ce qui est important, mais il faut effectivement tenir compte de la réalité économique. Nous n'allons pas prendre le risque d'une distorsion de concurrence sous prétexte de verdir nos flottes. Aujourd'hui, un tracteur gaz représente un investissement de 300 000 euros, contre 120 000 euros pour un diesel. Qui prend en charge cette différence ? C'est évidemment le transporteur. Et avec la pression des chargeurs, nous sommes pris entre le marteau et l'enclume. Nous souhaitons tous aller vers des technologies plus propres, mais nous ne pouvons pas nous mettre en porte-à-faux par rapport aux conditions de marché. Nos clients demandent plus de réductions des émissions de CO2, mais ils ne sont pas toujours prêts à en supporter le coût…

 

JPL : Quelles solutions avez-vous choisies au sein de votre entreprise pour verdir votre flotte ?
D.S. : Nous avons adopté la solution gaz il y a quelques années. Malheureusement, avec la crise ukrainienne, la flambée des prix de cette énergie a mis à mal ce développement. Nous avons même dû arrêter une partie de notre flotte en attendant que les prix redescendent… Aujourd'hui, nous nous sommes orientés vers le B100, qui représente 15 % de notre flotte. Nous menons aussi des réflexions sur la distribution locale et le dernier kilomètre autour de l'électromobilité. Même si ce sont des solutions plutôt destinées aux grandes zones urbaines, nous envisageons également la mise en place d'une distribution avec des vélos cargos dans le territoire du Calaisis.

 

JPL : Vous avez accédé à la présidence du groupement en juin 2020, dans le contexte très particulier de la Covid-19. Comment avez-vous vécu ces trois dernières années ?
D.S. : Nous avons dû nous adapter. C'est d'ailleurs la force des PME du groupement. Outre les mesures prises pour protéger nos collaborateurs, nous avons tout mis en œuvre pour continuer de répondre à la demande et poursuivre l'activité. Ce qui nous a permis de faire face à cette période particulière et surmonter les problématiques auxquelles nous avons été confrontés. Aujourd'hui, nous avons mis en place un plan stratégique sur trois à cinq ans pour faire évoluer le groupement et pérenniser son activité.

Les exercices 2021 et 2022 ont été très positifs en termes d'activité. Depuis le début de l'année 2023, nous avons enregistré un trou d'air lié aux coûts énergétiques. Certains de nos clients ont réduit leur production, voire fermé leurs usines. Moins de production, cela signifie moins de transport, aussi bien en amont qu'en aval. Ce qui s'est répercuté sur notre activité. Aujourd'hui, les volumes repartent à la hausse, même si nous n'avons pas renoué avec les niveaux que nous connaissions en 2022, à la sortie de l'été.

 

JPL : Aujourd'hui, comment se porte le groupement Flo ?
D.S. : Nous comptons 102 adhérents répartis sur l'ensemble du territoire français avec une exception pour une entreprise espagnole. Depuis trois à quatre ans, nous constatons de plus en plus de rachats, ce qui favorise un regroupement des entreprises. Il y a une génération de dirigeants en fin de carrière qui souhaitent logiquement tirer la quintessence de leur vie de travail et passer à autre chose. Ces opérations de croissance externe sont réalisées soit en interne, au sein du groupement, soit par des entreprises qui n'en font pas partie. Ce qui explique que nous perdons parfois quelques adhérents. C'est pourquoi notre objectif est de garder un nombre d'entreprises suffisant pour peser sur nos achats et sur la vie économique du secteur.

 

JPL : Ce mouvement de concentration répond-il à un enjeu de taille critique ?
D.S. : Non, je ne pense pas. Il y a de la place pour tout le monde sur ce marché, aussi bien pour l'artisan transporteur que les TPE/PME et les grands groupes. Ces opérations de croissance externe sont parfois une réponse aux difficultés de recrutement et d'accession à de nouveaux matériels. Un rachat permet alors de franchir un cap et de démarrer une activité dans une nouvelle zone géographique.

 

JPL : Au-delà de la décarbonation du secteur, quels sont les autres défis qui guideront vos actions au sein du groupement ?
D.S. : Nous parlons beaucoup de l'humain ! Aujourd'hui, il faut encore des chauffeurs pour conduire nos camions. Le bien-être au travail est important, et cet aspect sociétal fait partie des sujets que nous devons continuer d'améliorer. C'est pour cette raison que nous partageons les bonnes pratiques des uns et des autres. Dans nos différentes entreprises, nous mettons tout en œuvre pour garder nos effectifs et rester attractifs.

Sur les aspects économique et commercial, nous avons aussi décidé de réduire le nombre de métiers. Autrefois, nous en comptions une dizaine au sein du groupement, du vrac solide au transport frigorifique, jusqu'au plateau et spécifique. Nous avons revu à la baisse cette palette pour nous concentrer sur sept métiers et être ainsi plus pertinents sur ces marchés. Dans le cadre d'un groupement, la politique d'achats est évidemment un sujet important. En 2022, Flo a représenté près de 1 000 camions à l'achat. Ce qui représente un volume non négligeable, même si nous n'avons pas retrouvé nos niveaux d'avant-Covid. À l'époque, nous achetions plus de 1 000 véhicules. Tous postes confondus (pneumatiques, pièces détachées, etc.), les achats réalisés au sein du groupement ont représenté plus de 3,8 millions d'euros en 2022. Nous devons continuer de développer cette force d'achat collective pour que chaque adhérent en tire les bénéfices attendus.

 

JPL : Les transporteurs font toujours face à d'importantes difficultés de recrutement. Comment les aidez-vous à résoudre cette problématique ? Quel rôle peut jouer la Flo Académie ?
D.S. : La Flo Académie peut aider et accompagner les conducteurs sur leur formation et le partage des bonnes pratiques. C'est aussi un outil qui permet de répondre aux contraintes réglementaires de formation de nos collaborateurs. En revanche, elle ne sera pas d'une grande aide sur le recrutement. Le groupement peut être utile dans le cadre de souhaits de mobilité de certains chauffeurs. Nous pouvons alors les aider à trouver un nouvel employeur dans leur futur lieu de résidence.

 

JPL : En 2016, le groupement Flo a créé une commission, NextGen, pour faciliter l'intégration des nouvelles générations et les accompagner sur les questions de gouvernance. La transmission est-elle devenue une problématique centrale dans les entreprises de transport aujourd'hui ?
D.S. : Pour transmettre son entreprise à ses enfants, ces derniers doivent prendre leur place au sein du groupement. C'est indispensable pour aider cette nouvelle génération à s'investir pleinement au sein de notre communauté. C'est l'un des intérêts de cette commission NextGen. Il faut aussi accompagner ces jeunes entrepreneurs dans leur accession à la direction de leur entreprise. Nous leur permettons d'échanger avec des dirigeants qui sont passés par là et qui peuvent leur fournir de précieux conseils. Cette nouvelle génération peut, en outre, apporter des idées nouvelles et un regard neuf sur certaines technologies. Cet échange est positif et bénéfique pour tous.

 

JPL : Comment se positionne le groupement sur les nouvelles technologies et la digitalisation ?
D.S. : Là encore, nous ne pouvons nager à contre-courant : c'est une dynamique que nous avons initiée depuis quelques années déjà, car nos clients exigent de nous plus d'informations, de remontées, de traçabilité, etc. Nous devons donc nous faciliter la tâche avec des outils adaptés. Ce qui implique des nouvelles organisations au sein de nos entreprises, et des nouveaux métiers orientés vers la digitalisation.

 

JPL : Un mot sur Flo Palettes, votre réseau de messagerie : comment se porte-t-il ?
D.S. : Très bien ! Il continue de se développer sous la responsabilité du président de son comité directeur, Alexandre Petit. Flo Palettes enregistre une forte dynamique de croissance et devrait s'étoffer de nouveaux hubs régionaux. Un hub verra notamment le jour dès juin dans la région de Nancy, pour faciliter la mise en place de relations directes sans passer par la plateforme d'Orléans. L'objectif est de limiter les coûts et de fluidifier la distribution des palettes. Ce hub nous permettra aussi de réduire notre empreinte environnementale.

 

JPL : Quels prochains événements attendent le groupement ?
D.S. : Nous allons bientôt fêter nos 30 ans ! Ce sera l'occasion de réunir toute la famille Flo, de remercier tous nos adhérents et de présenter la nouvelle dynamique qui nous guidera ces prochaines années. Pour cet anniversaire, nous avons également prévu de retracer les 30 ans du groupement dans un livre. Nous y reviendrons sur l'origine de Flo et sur les raisons de sa création. C'est important de garder la mémoire.

 

JPL : De leur côté, Les Transports Carpentier fêteront leur 100e anniversaire dans cinq ans. Quel regard portez-vous sur l'évolution de la société ?
D.S. : Déjà, j'ai un sentiment de reconnaissance pour mes prédécesseurs qui ont construit le groupe Transports Carpentier. À mon niveau, depuis trente ans, j'ai vécu de profondes évolutions au sein de ce secteur. Lorsque je suis arrivé dans ce marché, on ne travaillait pas comme aujourd'hui, et on n'avait pas les mêmes exigences vis-à-vis des clients. Nos matériels n'étaient évidemment pas aussi sophistiqués. Aujourd'hui, nous avons à notre disposition un grand nombre de données qui nous permettent de mieux piloter notre activité. Au niveau environnemental, les camions de l'époque consommaient près de 40 litres au 100… On a fait un grand bond en avant depuis. Il faut continuer de s'adapter au marché et répondre à la demande. C'est indispensable pour garder la tête hors de l'eau et continuer à rester rentables afin de réinvestir ces profits dans de nouveaux matériels ou de nouvelles technologies.

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