L'intelligence artificielle prête à révolutionner le transport

On ne parle que d'elle ! L'intelligence artificielle (IA) s'invite dans tous les systèmes informatiques, aussi bien dans le grand public que dans les milieux professionnels, y compris le transport et la logistique. Présentée comme la grande révolution technologique du XXIe siècle, l'IA promet de transformer en profondeur les outils de gestion et les façons de travailler, et d'améliorer les performances des entreprises à presque tous les niveaux. On la retrouve, par exemple, dans les logiciels TMS pour automatiser des processus ou traiter les documents de transport.
L'IA intègre progressivement les logiciels de gestion de flotte qui se dotent d'assistants virtuels intelligents auxquels l'exploitant pose des questions en langage naturel. Elle est aussi présente dans les véhicules pour leur télédiagnostic, dans les dashcams de surveillance de la route et/ou du conducteur, ou demain dans les camions autonomes. Mais elle suscite aussi des craintes : que l'humain soit remplacé, que des erreurs soient commises ou que la cybercriminalité soit exacerbée à cause d'elle. Elle est donc de plus en plus intégrée par tous les éditeurs de logiciels dédiés au transport et à la logistique, mais reste encore peu adoptée et maîtrisée par les entreprises du secteur.
IA, à quoi sers-tu ?
D'abord analytique, puis prédictive et désormais générative depuis l'arrivée de ChatGPT et autres modèles, l'IA ne cesse d'évoluer. Pour éviter toute polémique quant au risque de voir l'IA remplacer l'être humain, les éditeurs la présentent comme un outil complémentaire capable d'automatiser un certain nombre de tâches et d'aider les gestionnaires à gagner du temps au quotidien.
En clair, elle offre la possibilité d'analyser toutes les données de l'entreprise, d'en extraire les plus pertinentes en réponse à un besoin précis, puis de les restituer sous diverses formes ou de les fournir aux logiciels de gestion dont une partie des fonctionnalités deviennent automatisées. La technologie réalise seule et très rapidement des tâches qui nécessiteraient des jours de travail pour un être humain. L'IA sous forme d'algorithmes de calcul et de simulation est depuis longtemps utilisée, notamment dans les logiciels de planification de tournées.
Dans les logiciels d'optimisation de tournées, l'IA traite de multiples sources de données et recalcule les itinéraires en temps réel. ©Geotab
La dernière génération, dite générative ou Gen AI, vient modifier en profondeur l'interaction des salariés avec leurs logiciels. Cette IA générative permet aux systèmes d'information de produire du contenu inédit et d'exécuter des tâches de manière autonome, au-delà des simples règles préétablies. Mais elle peut aussi "comprendre" des demandes ou des ordres formulés en langage naturel. L'IA devient alors un assistant virtuel du transporteur : elle cherche et trouve les informations à sa place, effectue des simulations et propose des scénarios. Elle se répand aujourd'hui dans la plupart des logiciels de gestion du transport comme dans les camions.
L'IA optimise les tournées
Depuis bien longtemps, des algorithmes d'intelligence artificielle sont utilisés dans les logiciels de planification et d'optimisation des tournées développés par PTV, Woop (Mapotempo), Kardinal, Descartes ou Axiodis, par exemple. Les progrès de l'IA permettent à ces outils de traiter des millions de données, y compris de trafic, de météo, de topographie des routes, de péage pour calculer des itinéraires les plus pertinents selon les critères de préférence des transporteurs (le plus rapide, le moins cher, le moins polluant…).
L'IA simule des scénarios, prend en compte le type d'énergie des véhicules, anticipe les embouteillages, puis suggère les meilleurs itinéraires, points de ravitaillement et de stationnement. La technologie est capable de modéliser et simuler le remplissage optimal d'une remorque, à l'image d'un Tetris permettant de supprimer un maximum d'espace vide, dans les camions de distribution notamment. L'IA est également de plus en plus présente dans les applications d'aide à la navigation et permet de mieux recalculer les itinéraires à chaque aléa sur la route.
Le TMS autonome et intelligent
Après l'optimisation des tournées, c'est dans les TMS transporteurs que l'IA poursuit sa montée en puissance, notamment pour automatiser la facturation et le traitement documentaire. Lorsqu'un fichier (bon de commande, lettre de voiture…) est importé, l'intelligence artificielle analyse automatiquement les informations essentielles : adresses de livraison, dates, références ou donneurs d'ordre.
"Son usage concerne l'analyse automatique de documents pour en extraire de l'information et la réinjecter dans un programme (saisie instantanée), par exemple de contrôle de facturation. L'IA peut détecter d'éventuels écarts entre une facture et les coûts réels d'une opération. Un second usage concerne l'analyse des données dans le TMS, puis leur restitution sous forme de réponse à des questions en langage naturel : «Quel est mon CA moyen sur tel véhicule le mois dernier ?»", illustre Benoit Joncquez, président de Dashdoc.
Autre exemple, l'IA peut aider l'exploitant à élaborer le “bon prix” d'un transport en comparant les données d'historique des tarifs à des données d'indicateurs du marché. Elle joue le rôle d'un “exploitant bis” qui se charge automatiquement des tâches chronophages d'analyse et de restitution des données. L'humain peut alors mieux se concentrer sur des arbitrages et des opérations clés.
La télématique dopée à l'IA
L'intelligence artificielle arrive aussi progressivement dans les logiciels de gestion de flotte. Là encore, elle joue le rôle d'un assistant digital qui traite les données remontées par l'informatique embarquée, et les restitue sous forme de tableaux d'indicateurs clés. Le gestionnaire n'a plus à "aller chercher" dans les différents menus de son logiciel les informations, elles sont poussées automatiquement à l'écran. Mieux, le gestionnaire peut poser des questions à son logiciel : où se trouve tel camion, quelle est sa consommation journalière, quelle est la note de conduite du chauffeur ? L'IA répond instantanément.
On retrouve ce type d'assistants d'IA adaptés au transport chez Geotab (voir plus bas), Trimble ou Webfleet notamment. Dans le camion, l'intelligence artificielle est en outre couplée aux dashcams de surveillance de la route et/ou du conducteur. La technologie associe les données télématiques de comportement de conduite et les images de la route ou en cabine pour identifier des risques, par exemple de somnolence du conducteur ou de vitesse excessive et déclencher des alertes.
Bourses de fret suggestives
Du côté des bourses de fret, l'IA commence à être intégrée pour suggérer des opportunités aux transporteurs. Teleroute a ainsi lancé SuggestionsTeleroute en 2022, un outil basé sur l'intelligence artificielle de l'éditeur ML6 qui fournit un flux continu des nouveaux itinéraires et chargements disponibles, "sélectionnés en fonction de leur pertinence en termes d'efficacité et de profit", indique la filiale d'Alpega. Pour y parvenir, le moteur d'IA analyse les données et l'historique des flux provenant de plus de 80 000 transporteurs et de 10,5 millions de frets et de véhicules par mois. On trouve aussi des algorithmes d'IA sur la bourse Trans.eu, qui les utilise afin de déterminer des propositions de prix des transports.
De son côté, Timocom exploite l'intelligence artificielle pour automatiser la saisie d'offres de fret sur la bourse. Celle-ci peut extraire les données d'un e-mail, d'un PDF ou d'une capture d'écran et remplir automatiquement les champs de l'interface de publication des offres.
Adas et camions autonomes
Chez les constructeurs de poids lourds, l'IA sert au télédiagnostic des camions, au renforcement des systèmes Adas ou dans les véhicules autonomes. Sur la base du transfert par les camions connectés de leur code défaut et des données techniques, des algorithmes sont capables de prédire les risques de défaillance voire de panne des composants.
L'IA recommande alors aux transporteurs ou aux ateliers d'entretien d'effectuer des opérations de maintenance préventive afin d'éviter les immobilisations imprévues des camions. On voit arriver des solutions identiques de maintenance prédictive des groupes frigorifiques ou des pneumatiques via des capteurs et des algorithmes qui mesurent l'usure des pneus et anticipent leur fin de vie.
Les algorithmes d'IA modélisent le chargement pour un remplissage optimal des véhicules. ©AdobeStock
En parallèle, des équipementiers tels que Bosch ou ZF utilisent cette technologie pour renforcer la capacité d'analyse et de prédiction des systèmes Adas des véhicules. Grâce à des modèles statistiques couplés à l'IA générative, les systèmes d'aide à la conduite doivent ainsi mieux comprendre l'environnement routier et prendre des décisions plus rapidement pour influencer le comportement du véhicule, à l'approche d'un obstacle par exemple.
Le perfectionnement par l'IA de "l'intelligence" des véhicules est en outre au centre des systèmes de conduite autonome. Les futurs camions sans conducteur (niveau 5) devront nécessairement exploiter l'intelligence artificielle pour traiter des millions de données simultanément et conduire sans risque.
L'IA pas encore adoptée par les transporteurs
Face au discours des éditeurs de logiciels de gestion du transport qui affirment révolutionner leurs outils grâce à l'IA, cette dernière reste encore peu utilisée dans les entreprises et se heurte à des barrières. Selon une enquête de Gartner réalisée en 2024, seules 14 % des entreprises du transport et de la logistique ont intégré l'IA à leurs systèmes d'information. On observe une forme de réticence de la part des utilisateurs à confier à ces systèmes intelligents des tâches qu'ils estiment maîtriser, et de voir leur valeur ajoutée remise en question.
Les entreprises s'inquiètent de la sécurité et de la confidentialité de leurs données si l'IA peut les manipuler à sa guise. Le coût est également un frein car, idéalement, pour que son utilisation soit restreinte au seul périmètre de l'entreprise, il faudrait développer une IA propriétaire en vase clos, ce qui implique des coûts de développement, de test et d'intégration potentiellement répercutés par les éditeurs. De plus, une IA performante nécessite un système d'information doté d'une grande puissance de calcul et doit s'appuyer sur des systèmes logiciels interconnectés. Il est donc préférable d'utiliser des outils digitaux récents, hébergés sur le cloud, interfacé par API à d'autres systèmes, mais dont toutes les entreprises ne sont pas nécessairement équipées.
Concernant l'IA générative type Chat GPT, les résultats proposés dépendent de la rédaction de "prompts" ou de questions en langage naturel, et peuvent varier selon leur formulation. Il est donc nécessaire de former les utilisateurs, ce qui ajoute des freins au déploiement rapide de la technologie.
Si son adoption ne se fera pas sans une transformation profonde des pratiques et des mentalités, l'intelligence artificielle est en passe de redéfinir les contours du transport routier, apportant des gains d'efficacité, de sécurité et de rentabilité. Plus qu'un simple outil, l'IA doit être perçue comme un levier stratégique pour accompagner les entreprises vers une logistique plus agile et prédictive. Reste à savoir qui saura tirer parti de cette révolution technologique pour prendre une longueur d'avance… Et qui restera sur le bas-côté.
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Les trois grandes familles d'IA
Si d'un point de vue purement informatique, il existe de nombreuses formes d'intelligence artificielle, il est plus simple de l'identifier à travers trois grandes catégories : l'IA basée sur des règles, l'IA prédictive auto-apprenante et l'IA générative en langage naturel.
La première catégorie, la plus simple, repose sur des règles, des instructions et des algorithmes préétablis pour résoudre des problèmes spécifiques. Dans les entreprises, cette forme d'IA est souvent utilisée pour automatiser des processus simples et répétitifs : citons les chatbots qui répondent aux questions fréquemment posées par les clients, ou les systèmes de gestion des ressources humaines qui traitent les demandes de congés en fonction de règles prédéfinies.
L'IA traite les données techniques de télédiagnostic des camions pour prédire les risques de panne. ©AdobeStock
En second lieu, l'IA prédictive avec apprentissage automatique (machine learning) implique des modèles qui entraînent la capacité des machines à comparer, analyser d'énormes quantités de données statistiques pour "prendre des décisions" sans intervention humaine, et même anticiper les comportements et prévoir les événements à venir. Elle permet, par exemple, de présager les flux et les commandes, d'optimiser les itinéraires en fonction des aléas et de maximiser le chargement des camions.
Enfin, l'IA générative, lancée par OpenAI avec ChatGPT en 2022, reprend les capacités d'analyse et de prédiction, mais y ajoute la compréhension du langage naturel. À partir de données existantes, elle peut créer de nouveaux contenus tels que des documents, rapports, tableaux de bord de l'activité d'un transporteur, le tout en posant de simples questions à l'ordinateur. Selon BPI France, cette IA générative vise à produire de nouvelles données qui ressemblent à celles créées par des êtres humains.
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Trois questions à… François Denis, directeur général France de Geotab
Comment Geotab intègre-t-il l'IA à sa solution de gestion de flotte ?
Depuis un an, nous mettons à disposition des utilisateurs de la plateforme Geotab une intelligence artificielle générative et conversationnelle baptisée Ace. C'est le ChatGPT de Geotab, basé sur l'outil OpenAI de Microsoft. Le transporteur peut poser des questions : "Quelle est la consommation moyenne de mes véhicules sur un mois ?" ou "Si je passe ma flotte à l'électrique, où dois-je positionner mes bornes ?" Ace va comprendre ces requêtes et formuler des réponses en se fondant uniquement sur les données de l'entreprise.
Cependant, la capacité d'Ace à comparer ces données à celles des 4,7 millions de véhicules connectés à la plateforme permet de générer des analyses prédictives. Un transporteur peut par exemple demander à l'IA d'évaluer le risque d'accident d'un conducteur, en comparant ses données de comportement de conduite à celles d'autres chauffeurs et ainsi extrapoler un indicateur de risque.
En quoi l'IA aide-t-elle les transporteurs au quotidien ?
L'intelligence artificielle conversationnelle doit être vue comme un assistant du gestionnaire, comme un ingénieur de la data à disposition 24/24 h auquel on pose des questions comme on le ferait avec un collaborateur humain. Ace "augmente" le gestionnaire, le rend plus performant en traitant pour lui des millions d'informations et en restituant des éléments concrets sous forme de réponse "texte", de chiffres, de tableaux de bord ou de graphiques, etc.
L'IA lui fait ainsi économiser des heures de travail. De plus, Ace est paramétrable pour fournir des informations différentes à un dirigeant, à un exploitant ou à un gestionnaire de parc. C'est un élément de sécurité qui répond à la crainte des transporteurs de laisser une IA livrer des données stratégiques à tous les collaborateurs de l'entreprise sans distinction du niveau hiérarchique.
Pourquoi l'IA a-t-elle intérêt à se propager ?
À terme, plus l'IA sera répandue, plus elle disposera de données lui permettant d'affiner ses réponses. Par exemple en matière d'électrification des flottes, si tous les clients de Geotab étoffent à l'avenir leur parc de VE, Ace sera de plus en plus pertinent pour analyser les consommations énergétiques, les coûts, les stratégies de déploiement de bornes de recharge… Plus nos clients utiliseront Ace, plus ils entraîneront l'IA qui deviendra en conséquence plus performante. Elle contribuera aussi à équilibrer les capacités de traitement des données entre toutes les entreprises de transport.
Par Renaud Chasle