Chronotachygraphe : des nouvelles règles pour un transport international plus équitable

Souvent comparé à une boîte noire du camion, le chronotachygraphe est le garant de la bonne application de la réglementation européenne en matière de temps de travail des conducteurs. Ainsi, à chaque révision de cette réglementation, l'appareil évolue et se dote de nouvelles fonctionnalités visant à renforcer et simplifier les contrôles sur route.
Depuis l'apparition du chronotachygraphe numérique en 2006, plusieurs évolutions ont vu le jour, dont le modèle 1C en 2019, dit "intelligent", puis le 1Cv2, sa version améliorée, lancé en août 2023. C'est ce chronotachygraphe, directement issu du paquet Mobilité adopté le 9 juillet 2020 introduisant de nouvelles règles concernant les conducteurs étrangers et le cabotage, qui équipe aujourd'hui les véhicules nouvellement immatriculés.
Si l'appareil progresse technologiquement, la principale nouveauté concerne l'identification automatique par géolocalisation du franchissement des frontières. Elle intéresse principalement les entreprises de transport international, facilitant le contrôle du respect des règles de cabotage et des opérations effectuées hors du pays d'origine du véhicule.
Une réglementation plus équitable
Afin d'établir une forme d'équité entre les entreprises de transport international, le paquet Mobilité a introduit en 2020 de nouvelles règles concernant les conducteurs étrangers et le cabotage. Désormais, tout conducteur qui opère hors des frontières du pays d'origine de son entreprise doit revenir à son domicile ou à sa base opérationnelle toutes les trois à quatre semaines. Les transporteurs sont autorisés à réaliser trois opérations sur une période de 7 jours dans un pays étranger. À l'issue de ces 7 jours, ils doivent sortir du pays pendant au minimum 4 jours avant de pouvoir renouveler de telles opérations.
Parmi les autres nouvelles règles figurent l'interdiction du repos hebdomadaire en cabine, l'autorisation des chauffeurs à prendre une période de repos hebdomadaire sur un train ou ferry ou, dans le cas de double équipage, l'autorisation pour un conducteur de passer sa pause de 45 minutes dans un véhicule conduit par un autre conducteur. Ces évolutions du règlement européen apportent plus de flexibilité, avec la possibilité de deux périodes de repos hebdomadaires réduites pour les véhicules effectuant du transport international. Une plus grande souplesse est également accordée sur le dépassement des temps de conduite quotidiens et hebdomadaires. Une heure supplémentaire est autorisée pour rejoindre le centre opérationnel ou le domicile du conducteur avant un repos hebdomadaire. Ce dépassement peut aller jusqu'à 2 heures si le conducteur prend une pause de 30 minutes.
Le chronotachygraphe 1Cv2 introduit le contrôle à distance et ciblé par les forces de l'ordre. ©Adobestock
En revanche, le paquet Mobilité implique une nouvelle procédure digitalisée pour les entreprises : soumettre un formulaire de détachement standard multilingue via l'interface publique connectée au "système d'information du marché intérieur" (IMI). Mis en place par l'UE, ce portail numérique de déclaration unique des travailleurs détachés est censé alléger la charge administrative des entreprises "grâce à une procédure d'enregistrement sans aucune difficulté et la possibilité pour les entreprises de réutiliser les données des déclarations de détachement précédemment transmises", mentionne la Commission européenne.
Pour mieux contrôler le respect de ces règles, cette dernière a jugé que le chronotachygraphe embarqué dans les camions devait évoluer pour permettre d'identifier automatiquement les franchissements de frontières par les véhicules. Les règlements européens 165/2014 et 561/2006 qui régissent le cadre d'utilisation de l'appareil ont été modifiés de façon à ajouter de nouvelles fonctionnalités.
Un chronotachygraphe avec GPS
Afin de permettre l'identification des franchissements de frontière et des opérations de (dé)chargement, le chronotachygraphe 1C embarque son propre système GNSS de localisation utilisant le réseau satellitaire européen Galileo ainsi qu'une cartographie interne. Automatiquement et sans intervention du conducteur, l'appareil enregistre et horodate les positions des camions lorsqu'ils passent une frontière. Un même enregistrement dans la mémoire du tachygraphe est effectué lorsque le conducteur s'arrête pour (dé)charger son camion et qu'il indique l'opération via une nouvelle icône "chargement" dans le menu de l'appareil.
Les conducteurs, gestionnaires de flotte et exploitants opérant à l'international doivent se familiariser avec cette nouvelle procédure. À ce titre, les fédérations de transporteurs, organismes de formation ou l'association syndicale des activités de contrôle (ASAC) ont bénéficié dès 2023 d'un accompagnement par les fabricants de tachygraphes afin d'informer les transporteurs de ces modifications. À l'aide de ces enregistrements automatiques et horodatés, les forces de l'ordre peuvent contrôler le respect des trois opérations de cabotage autorisées et le temps global passé à l'étranger.
Les clés et outils de déchargement à distance des données sociales ont été mis à jour pour traiter les nouveaux formats des fichiers. ©VDO
Et pour mieux cibler les contrôles en n'arrêtant que les véhicules suspectés d'infraction, les forces de l'ordre disposent de tablettes et de radars DSRC placés en bord de route capables de se connecter à distance au tachygraphe et de contrôler les manipulations, déconnexions ou incohérences des informations stockées dans l'appareil. Les forces de l'ordre sont encore en phase d'équipement mais à terme, ces outils permettront de cibler les contrôles et de limiter les arrêts inutiles, évitant des pertes de temps aux conducteurs qui respectent strictement la réglementation sociale.
Mémoire étendue et nouvelles cartes
Autre nouveauté de la version 1C du chronotachygraphe, consécutive à l'enregistrement des données de position et des chargements effectués à l'étranger : la capacité de mémoire interne du dispositif est étendue. Il stocke désormais les données sociales (temps de conduite, de repos, de chargement et déchargement) sur une période de 56 jours et non plus de 28 comme avec la version 1B de l'appareil.
Rappelons que depuis août 2023, de nouvelles cartes (conducteur, entreprise, atelier et contrôle) sont fournies par IN Groupe (Chronoservices). Les cartes d'ancienne génération restent compatibles avec le chronotachygraphe 1C. Les transporteurs, et les centres agréés qui assurent l'étalonnage puis les inspections périodiques du tachygraphe, ont donc la possibilité d'attendre la fin de leur période de validité pour procéder au renouvellement.
Des logiciels et matériels à mettre à jour
Avec le chronotachygraphe 1Cv2, l'introduction de nouvelles cartes et l'ajout des positions GNSS, les formats des fichiers informatiques des appareils (C1B et V1B) ont changé. En conséquence, les logiciels et équipements, qu'ils concernent l'archivage, le traitement des données ou la collecte à distance, nécessitent une mise à jour. Tous les transporteurs, qu'ils opèrent à l'international ou non, sont donc impactés par cette nécessaire mise à jour.
Dès 2023, les fabricants de tachygraphes Continental VDO, Stoneridge ou ZF ont proposé des versions actualisées de leurs différents outils de gestion des données sociales et ont été suivis par les éditeurs spécialisés, télématiciens et autres prestataires de services de gestion des données sociales ou de la paie. Notons par ailleurs que l'interface ITS Bluetooth obligatoire (système de transport intelligent) intégrée à la nouvelle génération de tachygraphe, associée au positionnement GNSS et à l'interface de communication DSRC, ouvre la voie à de nouveaux usages de l'appareil dont les fonctionnalités se rapprochent de celle d'un boîtier télématique.
Selon Continental, ces technologies permettent de connecter le tachygraphe à une application mobile, par exemple pour enrichir automatiquement une lettre de voiture électronique lors des opérations de (dé)chargement. Un autre usage consistera, à terme, à transformer l'appareil en boîtier de télépéage. De son côté, Inodis/Stoneridge propose via sa solution Ubbeo Fleet un boîtier relié au bus CAN et connecté au tachygraphe qui remonte la géolocalisation et les fichiers légaux vers une application afin d'automatiser l'analyse des données sociales ou de générer des alertes en cas d'infraction.
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Un calendrier de déploiement progressif
Le déploiement du chronotachygraphe 1Cv2 à bord des camions de transport international est progressif et répond à un calendrier établi par la Commission européenne. Tous les véhicules immatriculés à partir du 21 août 2023 doivent en être équipés. La seconde échéance, initialement prévue pour fin 2024, a été repoussée de deux mois en raison d'un délai de grâce. Elle concernait le rétrofit obligatoire des appareils analogiques (les plus anciens installés à bord des camions avant 2006) et ceux de génération 1B (tachygraphe numérique mis en circulation entre 2006 et 2019). La prochaine échéance du calendrier de déploiement du tachygraphe 1Cv2 arrivera à l'été 2025 avec le rétrofit obligatoire des versions 1Cv1 au plus tard le 21 août 2025. Enfin, à compter du 1er juillet 2026, ce sont les véhicules à partir de 2,5 tonnes qui devront être équipés de l'appareil.
Par Renaud Chasle