TRIBUNE - Le transport routier a un train de retard mais une autoroute d’opportunités pour sa transition écologique
Ce 14 février 2023, la Commission européenne a présenté son texte révisant les normes d’émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires lourds neufs. On peut se féliciter que l’Union européenne s’empare enfin du sujet du transport routier de marchandises et de sa transition. Cela était d’autant plus urgent que la Commission a elle-même reconnu que les véhicules utilitaires lourds sont responsables d'environ un quart des émissions de CO2 du transport routier dans l'UE et d'environ 6 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l'UE.
Trop longtemps éloigné de la préoccupation du grand public, le transport routier ne concerne pourtant pas uniquement les longues distances. En effet, le "dernier kilomètre de livraison" regroupe de nombreux véhicules intra et péri-urbains, qui à l’instar des voitures, se verront impactées par les nouvelles zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m).
Il est vrai que les acteurs du secteur sont perdus dans les fausses promesses des différentes technologies, notamment l’hydrogène, qui sera très difficilement compétitif au niveau du coût complet (technologie embarquée et approvisionnement en hydrogène vert). Les batteries, contrairement à un certain nombre de fake-news, ne présentent pas de risque d’approvisionnement en matériaux critiques et sont hautement recyclables.
Au-delà des règlements européens et des contraintes réglementaires, le vrai changement doit se faire dans l’approche des professionnels et des entreprises de transport. Il est temps d’accélérer car la transition écologique du transport routier fourmille d’opportunités. Il faut évoluer et penser "cas d’usage réel", c’est ainsi un champ des possibles qui s’ouvre.
Le rétrofit de véhicules de plus de 3,5 tonnes avec des batteries lithium bien dimensionnées, permet de gagner nettement en compétitivité économique et en poids carbone. Cette transformation rapide et accessible des flottes de véhicules permet d’atteindre un prix divisé par deux par rapport aux véhicules électriques neufs, avec un gain carbone jusqu’à 87%. Et la maintenance sera très nettement diminuée sur la vie du véhicule. Cette transition, c’est tout juste le début d’une mutation industrielle majeure avec de nouveaux acteurs, notamment en France.
Le transport routier de marchandises ou de personnes nécessite, comme tout un chacun, une sobriété dans ses besoins. Faire les bons choix, en termes d’autonomie et de capacité de batterie installée, permet de limiter très nettement le coût des infrastructures de recharge. L’exemple de la transformation en électrique des autocars scolaires s'avère criant : on peut y intégrer un chargeur équivalent à celui de la Renault Zoé pour un car qui pèse 19 tonnes, avec une différence de coût d’infrastructure divisé par quatre par point de charge au regard des solutions conventionnelles.
L’apport de nouvelles flottes de camions et de véhicules utilitaires doit permettre aux acteurs du secteur de se réapproprier leur énergie et de maîtriser leurs coûts. On parle souvent avec la recharge électrique d’une possible pénurie à venir en termes d’énergie liée au passage à grande échelle sur de nombreux véhicules. C’est tout le contraire. De même qu’aujourd’hui les transporteurs ont une station de carburant privative pour leur site, il est possible techniquement et économiquement compétitif, d’installer des solutions de recharge solaire sur site ou à proximité. C’est un gain majeur en termes d’autonomie énergétique, car cette transition permet de maîtriser une part de son approvisionnement électrique en local, avec un prix compétitif stable sur des décennies.
Cerise sur le gâteau, d’ici quelques années, il sera possible de valoriser financièrement ces multiples batteries qui représentent un énorme réservoir d’énergie mobilisable instantanément, et c’est là que les gestionnaires de flotte peuvent aussi devenir pour partie énergéticiens.
La maîtrise des émissions carbone dans le transport routier, au-delà de l’impact rapide et efficace sur les émissions globales de CO2, va aussi ouvrir des potentiels considérables dans le secteur énergétique. Transition carbone et compétitivité économique peuvent être combinées avec une stratégie adaptée.
Emmanuel Flahaut.
Président de Retrofleet et Mona automotive, porte-parole du think tank Retrofit Mobility Europe.