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Pneumatiques : une année de défis

Publié le 15 décembre 2023

Par La rédaction
7 min de lecture
Pénalisé par un contexte inflationniste, le marché du pneumatique poids lourd, à l'image du secteur du transport, peine à se redresser. Pour les marques premium, l'enjeu reste de valoriser le produit multivie ainsi que leur gamme de services.
Dans un contexte inflationniste, une partie des flottes privilégie les services optimisant les coûts du poste pneumatique et maximisant leur productivité. ©AdobeStock

"Calamiteux". C'est le qualificatif choisi par le Syndicat du pneu pour dresser un bilan des ventes de pneumatiques poids lourds sur le marché du remplacement, au premier semestre 2023. Les pneus neufs accusent une baisse inquiétante en sell in (-28,1 %) comme en sell out (-10,2 %). Les résultats sont encore plus catastrophiques pour les montes rechapées, qui sombrent à nouveau (-23,3 %). Ce marasme ne se limite pas au marché tricolore puisque les données de l'ETRMA – l'association européenne des manufacturiers – fait état d'un repli de 23 % pour le segment du véhicule industriel.

Pour beaucoup d'observateurs, ce revirement est essentiellement dû à l'inflation. Sur le terrain, la hausse des prix a effectivement été sensible depuis le début de l'année. Les tarifs affichent un niveau inédit, selon Régis Audugé, directeur général du Syndicat du pneu. Il note un coût moyen des enveloppes à 637 euros pièce, contre 576 euros un an plutôt. Le pneumatique toutes-positions flirte désormais avec les 737 euros (HT) contre 639 euros pour un essieu moteur. L'envolée tarifaire semble toutefois ralentir sur le premier semestre de l'année, avec une progression limitée à 5 %.

Un mauvais alignement de planètes

Selon Adam McCarthy, secrétaire général de l'ETRMA, outre une hausse des coûts tout au long de la chaîne de valeur, ce ralentissement du marché est aussi dû aux inquiétudes plus globales liées à la situation économique mondiale. Au sortir d'une année 2022 "exceptionnelle", marquée par 1,2 million d'unités neuves écoulées, ce contrecoup conjoncturel affiche en effet des origines multiples. "Nous avons assisté à un phénomène de stockage important des négociants-spécialistes comme des transporteurs l'an dernier", analyse Jean-Michel Fauron, directeur marketing BtoB France-Benelux de Michelin.

Les revalorisations successives des barèmes des manufacturiers, conjointement à la hausse des cours des matières premières et de l'énergie, ont favorisé des achats par anticipation. Les transporteurs sont confrontés dans le même temps au remboursement des PGE (prêts garantis par l’État) accordés lors de la crise sanitaire, complète le responsable. La pénurie de conducteurs est aussi une réalité : 20 % des véhicules seraient inutilisés faute de chauffeur ! Quelles que soient les applications, régionales, longue distance ou approche chantier, le marché du pneumatique neuf poids lourd retient son souffle en attendant des jours meilleurs.

Dans les réseaux, la contraction des ventes est une réalité, abonde François Chanudet, directeur de l'activité produits industriels du groupe Simon-Chouteau, adhérent Profil+. "Nous avons assisté à un effet de déstockage au cours du premier semestre après les opportunités d'achat des deux dernières années". Si le redressement du marché était attendu cet été, l'optimisme est désormais pondéré. Le retournement du segment ne sera peut-être pas aussi probant qu'espéré.

"L'atterrissage prévu en fin d'année à -3 % risque d'être plus proche des -10 %", prévoit le responsable, se voulant réaliste. À présent, la déprime du marché reflète la baisse d'activité chez les transporteurs. L'inflation et la consommation des ménages en berne impactent directement le TRM, remarque Mathilde Nouzille, cheffe de produit du marché VI d'Euromaster. "Les ensembles roulants circulent moins, par conséquent ils usent moins les enveloppes."

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Au cours du premier semestre, l'inflation a provoqué une baisse des ventes (-13,9 %) de même intensité que le premier confinement, note le Syndicat du pneu. ©AdobeStock

Quelles conséquences pour les marques premium ?

Alimenté par les manufacturiers européens (pool) membres de l'ETRMA, et l'import (non-pool), le marché des pneus neufs destinés aux véhicules industriels se caractérise désormais par "ses fortes fluctuations". "Nous essayons d'avoir une vision claire, mais l'analyse est devenue complexe au regard des acteurs qui entrent sur le territoire", observe Jean-Michel Fauron.

La législation antidumping a tenté de réguler ces importations en provenance notamment d'Asie. La mesure en vigueur jusqu'en mai 2022 avait été suspendue quelques mois, avant de faire son retour en avril dernier. Si la hausse des coûts de transports par conteneurs maritimes avait limité l'arrivée massive des marques d'imports, ces dernières sont revenues sur le marché, note le responsable. Le phénomène n'a toutefois pas fait bouger les lignes d'un segment premium dominé par le modèle multivie (neuf, recreusé, rechapé et recreusé).

"Même si les transporteurs sont en quête de trésorerie, ils ne basculent pas vers les gammes de tiers 2 ou 3, estime encore le responsable de Michelin. En période de crise, les marques apparaissent comme une valeur refuge." Directeur commercial de Profil+, Jérôme Lhermusier ne constate pas non plus de poussée des secondes lignes, sauf à pallier un manque d'approvisionnement des marques premiums.

Seul le positionnement de la marque Hankook, considérée comme une première ligne par certains distributeurs, ou une seconde par d'autres, influe sur l'évolution des tiers sur le marché. "Néanmoins, au sein même du segment premium, les transporteurs peuvent opérer des arbitrages entre les propositions des majors", observe Mathilde Nouzille.

La poussée des marques asiatiques n'est pas non plus sans inquiéter les manufacturiers historiques. Dans un contexte incertain marqué par une succession de secousses sanitaires, géopolitiques et économiques, les ventes des gammes de première ligne tendraient à fléchir au profit des tiers 2, et dans une moindre mesure des marques budget dans le cas des véhicules destinés au marché de l'occasion. L'incidence du niveau des importations de pneus monovie est notamment particulièrement forte sur l'activité du rechapage. Les volumes de pneus rechapés se sont ainsi effondrés au premier semestre et ne représentent plus que 25 % des ventes.

"Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir les moyens de s'attaquer aux causes réelles et d'agir pour limiter les importations. Ils misent sur la bonne volonté des manufacturiers, des industriels du rechapage, des distributeurs et de leurs clients transporteurs pour inverser la tendance", regrette Régis Audugé.

Face aux hausses de coûts, les manufacturiers mettent en avant le TCO de leurs produits. ©Bridgestone

Face aux hausses de coûts, les manufacturiers mettent en avant le TCO de leurs produits. ©Bridgestone

Du coût au kilomètre, au TCO

Malgré cet environnement, Xavier Antressangle, directeur commercial poids lourd de Hankook France & Maghreb, demeure "convaincu" de l'orientation premium du marché français, "mais avec de nouvelles exigences liées aux coûts globaux de possession". "De nombreuses flottes cherchent des moyens pour les optimiser", note-t-il. La démarche englobe forcément la gestion des pneumatiques. Elle favorise le rendement kilométrique, la sécurité et le prix. À l'usage, si les transporteurs ne bouleversent pas leurs comportements d'achat, ils challengent les réseaux spécialisés sur les performances attendues.

"Les clients nous attendent sur un respect de qualité des prestations et des ratios techniques", souligne François Chanudet. À partir du 3 juillet 2024, l'obligation d'équiper les remorques neuves d'un TPMS (système de contrôle automatisé de la pression des pneus) devrait contribuer à structurer encore davantage la gestion de ces dépenses. À l'heure de la réduction de l'empreinte carbone et de la transition écologique, le choix du profil adapté à l'usage devient aussi capital pour réduire les consommations en carburant.

Un plein sur trois est lié à la résistance au roulement, rappelle Jean-Michel Fauron. Pour les professionnels de la route, la tendance conduit à passer du coût au kilomètre, au TCO (total cost of ownership). Le poste pneumatique représente 2 à 3 % des frais de fonctionnement d'un transporteur. Mais il impacte directement les consommations en carburant qui totalisent jusqu'à 30 % des dépenses. Le constat favorise une stratégie de gestion globale, au-delà des seules opportunités d'achats. Elle s'appuie sur un pilotage et un suivi des enveloppes à travers des services et une approche opérationnelle toujours plus fine. L'enjeu est de répondre aux attentes des transporteurs : prolonger la durée de vie des enveloppes et éviter les crevaisons.

Quand le pneu est replacé au cœur des enjeux

La démarche tend à favoriser la délégation de service à travers une gestion au kilomètre ou à la carte grise assurée par les enseignes pneumatiques et les manufacturiers. L'inspection préventive n'est plus une option. La digitalisation des relevés de parc, les analyses et les préconisations (retournement, recreusage, rechapage…) sont accessibles désormais depuis des interfaces en ligne. Elles visent à éclairer les gestionnaires de parc. La démarche apporte de la visibilité, des économies de carburant, du rendement kilométrique et réduit les dépannages à la suite d'une crevaison, avance Mathilde Nouzille.

rechapage

Les volumes de pneus rechapés se sont ainsi effondrés au premier semestre et ne représentent plus que 25 % des ventes.

Les arguments séduisent la nouvelle génération de transporteurs davantage attachée à l'optimisation des coûts qu'au produit. En ce sens, les responsables soulignent "une réelle poussée" des demandes d'informations émanant des transporteurs. "L'attention porte sur la manière dont les prestataires interviennent et la transparence des données", indique François Chanudet. En quête du juste prix, les gestionnaires de parc remettent à niveau leurs connaissances du sujet. La tendance caractérise l'année, pour Jérôme Lhermusier.

Les transporteurs témoignent un intérêt particulier pour comprendre le coût du poste pneumatique, avance-t-il. En période de tensions économiques, les clients reviennent aux fondamentaux dans la gestion de leurs véhicules. Les prix pratiqués en sell out ces derniers mois conduisent forcément à scruter et à étudier les tendances. "À 40 euros le millimètre de gomme, les transporteurs souhaitent savoir où passe leur investissement", remarque François Chanudet.

Aujourd'hui, les flottes demandent aux manufacturiers de jouer un rôle plus actif dans l'optimisation de leurs coûts d'exploitation, confirme Xavier Antressangle. "Nos équipes commerciales se comportent davantage comme des partenaires. Leur rôle principal est de trouver des moyens pour optimiser le nombre de pneumatiques dont les flottes ont besoin, de réduire la consommation de carburant et les coûts associés aux pannes des véhicules."

Des perspectives favorables

Intimement lié au contexte économique général, le marché BtoB du pneu poids lourd reste dominé par la distribution régionale, à savoir les livraisons effectuées dans un périmètre de 150 km. La polyvalence des enveloppes demeure aussi la règle sur un marché concentré sur la dimension 385/65 R22'5. Elle s'impose comme la référence la plus vendue, quel que soit l'essieu : directeur, moteur ou porteur. Si le contexte exogène et conjoncturel actuel pèse sur les dernières tendances commerciales, sur le long terme l'orientation plaide en faveur du transport routier de marchandises, selon Régis Audugé.

Les perspectives invitent à une certaine confiance sur un marché saisonnier marqué par des achats de pneus neufs à l'automne, et des prestations de creusage au printemps. À partir du moment où une économie progresse, le nombre de camions sur les routes va augmenter et soutenir le marché du pneumatique, prévoit le directeur du Syndicat du pneu. La mise en place de hubs en périphérie des villes destinés à la livraison du dernier kilomètre, et les nouvelles énergies électriques ou à hydrogène des tracteurs routiers comme des porteurs ne changeront pas la donne.

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