Lubrifiant : le parc poids lourds vieillissant soutient le marché
Après un retrait en volume de 2,5 % en 2022 selon les statistiques du CPL (Centre professionnel des lubrifiants), le marché intérieur des lubrifiants pour les "moteurs diesel utilitaires" a poursuivi sa contraction en 2023, sans réelle surprise. En effet, les 48 755 tonnes commercialisées l'an passé sur le marché intérieur symbolisent un recul très marqué de 9,1 % par rapport à 2022. Fort heureusement, cette régression se tasse quelque peu sur le premier semestre 2024, avec un recul estimé à 1,2 % (24 450 tonnes). Certes, le mauvais mois d'août (-12 %) porte le déclin à fin août à - 1,6 %. En tenant compte de l'année glissante, soit la période du 1er septembre 2023 au 31 août 2024, le marché affiche un retrait mesuré de 2,3 %.
Un marché "structurellement baissier"
Reste ce constat irréfutable : sur cette décennie, le marché des lubrifiants pour poids lourds aura tout de même perdu la bagatelle de quelque 21 000 tonnes, sachant qu'il se situait à plus de 70 000 tonnes en 2013. Pour François-Joseph Montagne, directeur stratégie marketing et assistance technique de la direction lubrifiants France de TotalEnergies, ce marché demeure fortement relié à l'activité économique. Selon lui, le secteur du transport se caractérise par un niveau d'activité historiquement bas depuis la crise sanitaire, comme le démontrent certains indicateurs, dont celui de la tonne-kilomètre équivalent au niveau de 2020, quand bien même sa légère progression de 2 à 3 % sur le premier semestre pourrait traduire un léger regain d'activité.
"Structurellement baissier, notamment du fait de l'érosion du kilométrage annuel [près de 75 000 km en moyenne pour un porteur, en fonction des distances parcourues, ndlr] mais aussi de la diminution des entrées atelier due à l'espacement des intervalles de vidange, le marché des lubrifiants PL est aussi impacté par le vieillissement du parc, explique-t-il. Dans un contexte économique morose pour le secteur des transports marqué par des investissements en baisse, le vieillissement du parc s'est accéléré ces trois dernières années, atteignant aujourd'hui une moyenne de 8 ans. Conséquence de ce vieillissement, l'augmentation des pannes et des problèmes mécaniques pousse les transporteurs à faire des arbitrages. Les données relatives aux opérations d'entretien courant montrent un recul des opérations de vidange en faveur des réparations mécaniques. Il faut dire que beaucoup considèrent encore le lubrifiant comme un consommable…"
Bien évidemment, qui dit vieillissement du parc dit également recul des immatriculations, en sachant que les statistiques du CPL prennent aussi en compte le premier plein réalisé sur les sites de production des VN. Or, à fin août 2024, on compte 33 766 immatriculations sur le segment des véhicules de plus de 5,1 tonnes, soit 4,5 % de moins qu'à la même époque l'an dernier (35 351). Dans le détail, les tracteurs accusent un recul de 9,7 %, tandis que les porteurs connaissent une progression de 2,2 %. Et sur le volume global, seuls 316 camions roulent à l'électrique, soit l'équivalent d'une part de 0,9 %. Autrement dit, les moteurs thermiques ont encore de belles années devant eux (90,3 % du total à fin août pour les moteurs diesel), d'autant que les biocarburants ont le vent en poupe (5,4 % des immatriculations pour le B100 exclusivement sur la même période, soit une part de marché presque doublée en un an).
La rationalisation des produits de rigueur
Reste que, au-delà de l'aspect marché et volumes, la principale tendance demeure celle, d'ailleurs similaire à celle du véhicule léger, de la multiplication des normes constructeurs. Un point que ne manque pas d'évoquer Éric Candelier, président de Yacco SAS. "Afin d'avoir l'assurance d'être en conformité avec les exigences des constructeurs, notamment pour les périodes de garantie, les transporteurs recherchent à la fois des produits de qualité et qui répondent aux homologations de ces constructeurs, rapporte-t-il. Nous leur proposons donc une étude de lubrification de leur parc en vue d'établir une certaine rationalisation. Il s'agit d'une sélection de quelques références, plutôt que de choisir un produit différent pour chaque marque."
De technologie Low SAPS, l'huile Yacco Transpro 65 M 5W-30 100 % synthétique répond aux spécifications Volvo, MAN, Scania, MB-Approval, Iveco, Ford, Renault Trucks, etc. Pour ce qui est de l'après-vente, les grades de viscosité 10W-30 et 5W-30 demeurent majoritaires, sachant aussi que le grade 0W (à froid) arrive à grands pas, avec en tête de liste le grade 0W-20, déjà plébiscité par Iveco notamment. Une voie qui, là encore, suit celle empruntée par le véhicule léger.
Éric Lhomer, directeur général de Lubexcel, qui distribue les marques Shell, Texaco (gamme Delo), Wolf ainsi que sa MDD, confirme cette évolution du marché. "À l'instar de l'automobile, nous constatons l'arrivée de produits de synthèse de plus en plus fluides qui déterminent des économies de carburant et des intervalles de vidange très espacés, rapporte-t-il. En ce qui nous concerne, notre produit phare couvre la plupart des homologations, à savoir l'huile Shell Rimula Ultra 5W-30." Revers de la médaille, l'arrivée de ces produits plus fluides à plus forte valeur ajoutée se traduit par une hausse tarifaire de l'ordre de 20 à 30 % par rapport à un produit de grade 10W-40, par exemple.
Toutefois, il convient de le rappeler, l'impact du lubrifiant en lui-même reste minime sur le TCO (coût de détention d'un véhicule) des transporteurs, notamment comparé au carburant (20 % du TCO en moyenne) ou à la maintenance. En revanche, le lubrifiant va avoir un impact non négligeable sur la surconsommation, qui peut aller jusqu'à 3 % en moyenne.
Autre point à noter : l'espacement des intervalles de vidange, lié à la modernisation des flottes, constitue aussi l'un des facteurs principaux de la baisse du marché en volume. Éric Lhomer le confirme, chiffres à l'appui : "Aujourd'hui, le secteur du transport est nettement moins consommateur en lubrifiants que ne peut l'être le TP ou l'agriculture, indique-t-il. À titre d'exemple, un transporteur qui dispose d'un parc de 1 000 moteurs et de 2 000 cartes grises va représenter quelque 30 tonnes à l'année, un volume relativement restreint par rapport à une certaine époque. Pour ma part, j'ai connu la vidange à 25 000 ou 30 000 km. Avec l'évolution des produits, la moyenne est aujourd'hui d'environ 100 000 km, sachant que le cap des 150 000 ou 175 000 km peut être atteint avec des camions très récents. Bien sûr, tout dépend du type de trajet : messagerie, grande route, etc."
Une marge de progression du côté de la collecte
Bien sûr, qui dit vidange dit aussi collecte des huiles usagées, et c'est bien à ce niveau que réside également l'actualité. Pour Cyclevia, l'éco-organisme de la filière des huiles usagées agréé par l'État, la filière des transports routiers représente un centre d'intérêt non négligeable. Deux solutions s'offrent aux transporteurs routiers pour l'entretien de leurs poids lourds : faire appel à leur concessionnaire et dans ce cas de figure, la collecte est plutôt bien organisée et efficiente. Ou alors le faire eux-mêmes, au sein de leur “atelier intégré” et, dans ce cas, l'entretien ne suit plus les mêmes standards et souvent, des améliorations peuvent être apportées dans la gestion des huiles usagées.
En 2023, cette typologie de détenteurs correspondait à 4 % du gisement national d'huiles usagées, soit environ 10 000 tonnes. "Comme d'autres secteurs, les transporteurs doivent de plus en plus adopter une démarche RSE et doivent justifier de progrès dans ce domaine-là, d'autant que leurs clients le demandent également, explique André Zaffiro, directeur général de Cyclevia. En ce sens, nous savons que ces détenteurs ont une marge de progression. De ce fait, nous allons renforcer nos liens avec la filière et lui apporter la pédagogie et les outils nécessaires à une gestion plus responsable de leurs déchets."
Une chose est certaine, dans les deux cas, l'arrivée de Cyclevia en 2022 a permis de répondre à un premier enjeu financier : offrir à ces garages, intégrés ou non, la gratuité de la collecte de leurs huiles usagées, à la seule condition qu'ils fassent appel à un collecteur-regroupeur enregistré chez l'éco-organisme (liste disponible sur cyclevia.com).
L'autre enjeu se situe au niveau du stockage de ces déchets. Si l'installation doit être placée à l'intérieur, à l'abri des intempéries pour écarter toute contamination par l'eau, le contenant, fût ou cuve, doit être étanche et disposer d'un bac de rétention pour éviter tout risque de pollution des sols, et notamment des nappes phréatiques.
"En respectant les bonnes pratiques et en choisissant de faire collecter leurs huiles usagées par des opérateurs enregistrés chez Cyclevia, les transporteurs décident ainsi de s'engager dans la voie de l'économie circulaire, souligne Guirec Poënces, responsable de la communication de Cyclevia. Ils participeront aussi à l'essor des huiles régénérées en France, des produits de haute qualité qui répondent aux exigences des constructeurs." Une voie déjà empruntée très récemment en VL, et qui a fait l'objet d'un appel à projets visant à implanter une unité de régénération sur le territoire.
Par Marc David