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Constructeurs

Christian Digoin, F-Trucks France : "Nous allons nous ouvrir à de nouvelles opportunités de marché"

Publié le 18 novembre 2024

Par Mohamed Aredjal
8 min de lecture
Christian Digoin, président de F-Trucks France, revient sur un premier semestre 2024 marqué par un marché en ralentissement et une baisse des commandes. Malgré ce contexte, l'importateur de Ford Trucks poursuit ses ambitions avec le lancement de la gamme F-Line et maintient son objectif de 5 % de part de marché d'ici 2025.
Christian Digoin est entré chez Ford France comme conseiller de gestion financière en 1983. ©Ford Trucks

Quel bilan d'activité avez-vous tiré sur ce premier semestre 2024 ?

Christian Digoin : Nous sommes, depuis l'automne dernier, dans un marché de prises de commandes en retrait chez l'ensemble des acteurs du secteur. Ce ralentissement ne s'est pour l'instant pas reflété dans les immatriculations, dont le niveau est encore tenu par la livraison différée des forts carnets de commandes accumulés dans la période 2021 - 1er semestre 2023. Mais on a clairement senti, dans le BTP d'abord puis chez les transporteurs, une incertitude croissante au cours de l'année 2023 face au niveau important et persistant des taux d'intérêt qui, couplé à des baisses de volume d'activité dans la grande distribution, dans la vente de produits blancs et bruns, etc. ont manifestement induit un ralentissement, voire un report des investissements. Cette incertitude sur l'économie nationale est sans doute renforcée par l'instabilité politique que nous connaissons ces derniers mois, ce qui a favorisé une forme d'attentisme chez nos clients. Si nous avons connu ces derniers mois, pour des raisons différentes, une situation proche de celle de 2008, il semble toutefois que les fondements de l'économie française sont meilleurs et que les besoins d'investissements restent importants, ce qui peut laisser entrevoir des possibilités de rebond dans les mois à venir.

Comment ce ralentissement de marché s'est-il répercuté sur vos ventes ?

Si nous sommes clairement en deçà de nos objectifs sur le premier semestre, nous maintenons néanmoins nos ambitions en termes de part de marché pour les mois à venir, dans un marché probablement baissier. Nous serons aidés dans ce but par le lancement de notre nouvelle gamme F-Line, pour les applications tracteurs régionaux et porteurs, aussi bien distribution que construction. Jusqu'ici, nous étions présents sur moins de 50 % du marché en étant quasiment mono-produit avec notre tracteur F-Max. Nous allons nous ouvrir de nouvelles opportunités de marché. Le lancement de notre gamme F-Line débute en ce mois de septembre, mais cela va demander du temps avant de se traduire en immatriculations, car les porteurs nécessiteront des temps de carrossage avant leur livraison.

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Avez-vous débuté les livraisons pour cette nouvelle gamme, et quel accueil a été réservé par vos clients à ces véhicules ?

Oui, nous avons tout juste débuté, avec notre réseau et les clients grands comptes, la commercialisation du F-Line courant juin avec l'arrivée et les essais des premiers véhicules de démonstration en version tracteurs, les porteurs suivront. Du côté de nos clients, il y avait de l'attente, ainsi que de notre réseau qui espérait compléter son offre. Pour le moment, l'accueil a été très positif, même si nous n'avons pas pu présenter l'ensemble des modèles. Nous attendons encore plusieurs véhicules de démonstration en cours de carrossage. Nous allons pouvoir réellement déployer notre offre sur le dernier quadrimestre. La première étape est de faire essayer cette nouvelle gamme, en particulier vis-à-vis des prospects que nous n'adressions pas jusqu'ici avec le F-Max.

Des partenariats sont-ils à l'ordre du jour avec des carrossiers pour votre gamme de porteurs ?

Nous avons privilégié les partenariats déjà existants de nos distributeurs avec leurs carrossiers locaux. Ce sont des acteurs régionaux, reconnus pour leur expertise, et nous capitaliserons donc sur ces accords.

L'objectif d'atteindre les 5 % de part de marché en 2025 est-il toujours d'actualité ?

Oui, nous maintenons cet objectif qui est essentiel afin d'assurer la pérennité de la marque sur le marché français. Cette part de marché est parfaitement réalisable en 2025 avec nos gammes F-Max et F-Line et permettra à notre réseau de continuer à se développer. D'ici fin décembre, tout juste trois ans après le lancement de la marque en France, notre couverture commerciale sera complète. Pour notre activité de services, notre maillage du territoire se renforce régulièrement avec de nouveaux agents, et ces perspectives de volumes supplémentaires vont nous permettre d'accroître sensiblement le parc roulant pour générer de l'activité dans nos ateliers.

Comment la marque Ford Trucks progresse-t-elle sur les autres marchés européens ?

Dans les marchés d'Europe du Sud, où la marque a commencé son implantation à partir de 2019, les objectifs de part de marché sont déjà dépassés. Il faut préciser que l'Espagne et le Portugal ont déployé la marque début 2019, tandis que l'Italie a deux ans d'avance sur la France. Au Portugal, le pays qui performe probablement le mieux, Ford Trucks est aujourd'hui le numéro deux du marché sur le segment des tracteurs. Ces performances chez nos voisins européens nous confortent donc dans nos objectifs.

Ford Trucks a été lancée en France dans un marché très concurrentiel, avec des marques très historiquement établies dans le secteur. Quelle est votre stratégie pour attirer de nouveaux clients ?

Entrer sur un marché aussi concurrentiel que le marché français était en effet une gageure. Pour y parvenir, nous nous sommes concentrés dans un premier temps sur les bases du métier et sur les valeurs fortes de notre produit, en multipliant les opportunités de faire essayer nos véhicules. Il  fallait d'entrée de jeu démontrer notre compétitivité au plan des capacités routières, de chargement et au plan économique bien entendu mais, avec la pénurie de chauffeurs, il était aussi essentiel de faire valider le choix de nos modèles par leurs principaux utilisateurs. De ce point de vue, nous avons réellement fait le job, car le F-Max plaît beaucoup. Nous avons multiplié les essais du véhicule pour que nos clients puissent le prendre en main et mesurer ses performances, notamment en termes de consommation. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la communication autour de la marque. Évidemment, Ford bénéficie déjà d'une forte notoriété dans l'automobile, mais il était important de rappeler sa légitimité dans le monde du poids lourd. Pour favoriser notre développement, nous avons aussi choisi des partenaires concessionnaires qui étaient déjà présents dans la distribution de véhicules industriels. C'est un vrai plus de s'appuyer sur des experts du métier.

J'ai le sentiment que de plus en plus de concessionnaires automobiles (Tressol-Chabrier, Emil Frey France, etc.) s'intéressent au poids lourd…

Nous comptons manifestement parmi ceux qui ont initié cette tendance. Si avec Jean-Bernard Maurin, Benoit Catelin et Gérald Richard, tous trois, comme moi, dirigeants de groupes de distribution automobiles depuis plusieurs décennies, nous avons candidaté avec enthousiasme pour représenter la marque Ford Trucks en France, c'est bien entendu car nous sommes concessionnaires Ford de très longue date, très attachés à la marque. Mais également parce qu'il nous est immédiatement apparu que si le métier du poids lourd est un métier passionnant, exercé par de très grands professionnels, et très différent de celui de l'auto, il y a des synergies et des savoir-faire indiscutables à mettre en œuvre au bénéfice de la marque et de ses clients. Aujourd'hui dans nos concessions Ford “traditionnelles”, nous réalisons plus de 60 % de nos ventes en BtoB avec une part d'utilitaires qui approche les 50 %. Nous disposons d'équipes BtoB et VU dédiées et de structures de service dédiées en concession et mobiles qui visent en permanence à assurer à nos clients la disponibilité de leurs véhicules. Nous vivons des enjeux très similaires. Je pense que les groupes autos qui viennent au poids lourd sont des acteurs également très axés BtoB.

Comment gérez-vous l'approvisionnement en pièces de rechange de votre réseau ?

Nous disposons d'un centre logistique à Thiers, en plein cœur du territoire, qui dispose d'un stock de pièces de rechange de plusieurs millions d'euros. Ford Otosan, notre constructeur, dispose également de deux magasins en Pologne et en Allemagne. Enfin, nous pouvons nous appuyer sur le stock du constructeur basé à Istanbul, en Turquie, soit à 3 heures d'avion de Paris, Lyon ou Marseille.

Peut-on faire le point sur votre offre de services : disposez-vous d'un portefeuille complet pour répondre aux besoins de vos clients ?

C'est une offre que nous enrichissons en permanence. Nous proposons une large gamme de programmes d'entretien, du basique au "full services", intégrant la prestation "Time Protect" qui permet d'avoir un véhicule de remplacement en cas d'immobilisation prolongée de son véhicule. Notre offre de contrats de services et d'extensions de garantie est aujourd'hui comparable à celle de nos principaux concurrents.

Un mot sur la transition énergétique : Ford Trucks avait annoncé la production à grande échelle de son camion électrique à batteries en 2025. La commercialisation de ce véhicule est-elle prévue prochainement en France ?

Avec le lancement de la gamme F-Line, nous commençons à proposer la prise de commandes de porteurs électriques pour des livraisons prévues en 2025. La production de ces véhicules en usine débute en cette rentrée. Pour notre tracteur, nous envisageons le lancement d'une solution électrique à batteries pour 2026. En parallèle, et nous l'avons montré au dernier salon Solutrans, nous travaillons sur une technologie hydrogène à combustion interne.

Des premiers tests ont été réalisés et ils sont très positifs. La disponibilité commerciale de cette motorisation sera pour 2026 et 2027.

Une électrification rapide du parc poids lourd vous semble-t-elle réaliste ?

L'accélération de la transition électrique dépend aujourd'hui beaucoup des aides publiques, car le modèle économique est difficile à trouver pour les utilisateurs. Nous l'avons observé dans plusieurs marchés européens où, tout comme pour la vente des VP et VU électriques, l'arrêt des aides a provoqué une baisse immédiate des ventes… Les constructeurs évoluent sur un marché européen impacté par des objectifs de décarbonation très exigeants, et ils sont en même temps confrontés à des décisions gouvernementales changeantes. Pour réaliser les objectifs ambitieux qui sont fixés, il est indispensable que les gouvernements proposent des dispositifs d'aides puissants, stables et pérennes. Pour les clients, ces incertitudes, couplées aux spécificités fortes d'utilisation des véhicules électriques et à l'existence de nombreuses autres technologies qui permettent de réduire les émissions de CO2, suscitent de nombreuses interrogations et doutes qui ralentissent la mutation. Il serait bien, selon moi, dans cette phase de changements importants, de veiller à fixer des objectifs ambitieux mais atteignables, pour mieux mobiliser et fédérer l'ensemble des parties prenantes et en utilisant l'ensemble des options technologiques offertes, plutôt que de concentrer toutes les forces en une seule, certes vertueuse, mais qui ne peut répondre rapidement à l'ensemble des besoins et contraintes des utilisateurs.

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Laissons davantage aux industriels la possibilité de mettre en œuvre, par étapes, l'ensemble de ces technologies qui sont complémentaires et seront toutes nécessaires pour assurer une transition énergétique réussie du parc roulant ! D'autant qu'à terme, la solution me paraît plurale, de l'électrique à l'hydrogène en passant par les carburants de synthèse, afin de répondre à l'ensemble des modes d'utilisation.

Parmi ces différentes solutions, envisagez-vous de vous intéresser au B100 ?

Non, ce n'est pas prévu chez nous. C'est une solution propre au marché français qui, au mieux, ne représenterait que 10 % de nos ventes. Soit environ 0,5 % du marché national. Du point de vue de notre constructeur, les investissements nécessaires au développement d'une solution B100 ne semblent pas justifiés aujourd'hui. En revanche, nous croyons davantage au HVO. Disponible dans toute l'Europe, cette énergie présente plusieurs atouts. Elle utilise notamment des déchets et des résidus pour ne pas monopoliser les surfaces agricoles.

Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les professionnels du secteur, observez-vous une évolution du mode d'acquisition des véhicules ?

Le réseau Ford Trucks compte plusieurs concessionnaires qui proposent des offres de location de courte et moyenne durée. Cette activité se porte plutôt bien. C'est un signe de l'incertitude d'une partie des utilisateurs de camions qui, au lieu d'investir dans le long terme, que ce soit en crédit-bail ou location financière, vont privilégier des contrats plus courts qui seront progressivement renouvelés. Nous observons aussi une progression de la location longue durée, en partie liée à l'apparition des véhicules électriques puisque le différentiel de prix avec les motorisations diesel reste évidemment très important. De notre côté, nous allons mettre en place dans les prochains mois une solution adaptée avec un partenaire loueur en marque blanche. D'une certaine manière, c'est le choix de la sérénité pour nos clients qui peuvent louer un camion sans se préoccuper de son entretien ni de sa valeur de reprise.

Ford Trucks a renouvelé son partenariat avec la Fédération française de sport automobile (FFSA). Cette compétition est-elle un levier de visibilité important pour la marque ? Estimez-vous que la notoriété de la marque est désormais bien établie en France ?

Il nous reste encore beaucoup à faire dans ce domaine. Une récente étude de notoriété, indépendante, montre que la marque Ford Trucks ne fait pas encore partie des toutes premières marques que les clients français pensent acquérir. Et c'est bien normal, après seulement deux ans et demi d'existence sur le marché ! Mais la marque est déjà connue par plus de 95 % des utilisateurs de camions, ce qui est vraiment excellent. Nous devons poursuivre nos efforts avec le lancement de la gamme F-Line, en nous concentrant notamment sur la transformation. Être cités parmi les marques du marché est une première étape, faire partie de celles retenues dans le cadre d'un achat de véhicules en est une autre.

C'est la raison pour laquelle nous avons renouvelé ce partenariat avec la FFSA en 2024. Le F-Max reste donc le Pace Truck qui ouvre chaque course du Championnat de France Camions. Outre la visibilité pour notre marque, cette compétition nous permet d'être plus proches de nos clients et des conducteurs. D'ailleurs, de plus en plus de grandes entreprises de transport sont présentes pour faire du recrutement lors des Grands Prix majeurs comme le Castellet ou Le Mans.

Enfin, nous avons poursuivi en 2024 notre partenariat avec Sébastien Chabal, qui incarne parfaitement les valeurs que nous partageons avec notre réseau et nos clients.

Prendrez-vous part à d'autres évènements en 2024 ?

Nous serons notamment présents du 16 au 18 octobre prochain à la 20e édition du salon Technotrans de Nantes, par le biais de nos distributeurs locaux. Nous participerons également à plusieurs évènements régionaux, toujours en partenariat avec notre réseau.

Où en êtes-vous dans la construction du maillage de votre réseau ? Répond-il à vos besoins ?

Nous comptons désormais 70 points de service. Notre priorité reste d'être situés à proximité des grands pôles économiques et des principaux axes de transport internationaux. Nous voulons également nous concentrer sur les zones où notre parc croît le plus rapidement. Il faut garder une approche pragmatique : quand un partenaire rejoint notre réseau de points de service, nous devons lui proposer un certain volume d'activité. À terme, l'objectif est que nos clients se situent dans un rayon de 50 km d'un point de service.

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