Un café avec.. Amandine Lucazeau, cofondatrice et dirigeante d'AC Trans

JPL : Vous n'ĂŞtes pas une “enfant du camion” : vous ĂŞtes arrivĂ©e dans le transport après une reconversion professionnelle. Pouvez-vous nous raconter cette transition ?Amandine Lucazeau : J'ai travaillĂ© cinq ans dans le milieu ÂmĂ©dical, dans diffĂ©rents domaines, public comme privé : service Ă la personne Ă domicile, soins aux personnes âgĂ©es et handicapĂ©es, etc. Mais les contraintes horaires et Âl'impossibilitĂ© de trouver un emploi stable ne me convenaient plus. Il y a sept ans, mon compagnon de l'Ă©poque a voulu passer ses permis poids lourds et je l'ai accompagnĂ© dans cette ÂdĂ©marche. Je me suis intĂ©ressĂ©e Ă ce milieu et me suis dit : "Pourquoi pas moi ?" J'ai effectuĂ© quatre semaines de stage dans diffĂ©rentes branches du transport et cela m'a plu. J'ai ensuite trouvĂ© une formation Ă Angers. Lors de l'entretien, le directeur de l'Aftral m'a demandĂ© ce que je faisais lĂ , avec tous mes diplĂ´mes… J'ai gagnĂ© ma place grâce Ă ma dĂ©termination, et j'ai bien fait de m'accrocher : quelques annĂ©es plus tard, j'ai créé ma sociĂ©tĂ©.
Qu'est-ce qui vous attire dans le transport ?
D'abord, le changement radical : Âpasser d'un mĂ©tier oĂą j'Ă©tais entourĂ©e de nombreuses personnes Ă un mĂ©tier plus solitaire dans un camion. On nous confie beaucoup de responsabilitĂ©s : on a entre les mains un vĂ©hicule qui vaut 200 000 €. J'aime aussi la liberté : je peux aller n'importe oĂą, je trouverai toujours du travail. Et puis, le diplĂ´me ouvre la porte Ă plus de 50 mĂ©tiers diffĂ©rents dans le transport. C'est essentiel pour moi car je me lasse vite, j'ai besoin d'apprendre en permanence. Dans ce secteur, on peut Ă©voluer sans en sortir.
Comment votre famille a-t-elle réagi lorsque vous avez annoncé votre choix ?
Cela a Ă©tĂ© une surprise : je ne viens pas du tout de ce milieu. Mes grands-parents paternels, surtout, m'imaginaient continuer dans le ÂmĂ©dical. Au dĂ©but, ils ont trouvĂ© ça Âinsensé… Mais finalement, j'ai ÂtravaillĂ© pour un client de mon grand-père, qui m'a vue dans un camion. Il a changĂ© d'avis ce jour-lĂ .
Vous êtes rapidement passée de conductrice à cheffe d'entreprise. Quelles ont été les étapes ?
Après mes formations, j'ai fait mon premier stage avec un ami qui travaillait dans la benne céréalière, ce qui m'a tout de suite plu. J'ai ensuite intégré une coopérative où mon père, viticulteur, était client. Mais j'y ai vécu une mauvaise expérience avec un cas de harcèlement sexuel, qui m'a refroidie. J'ai alors rejoint le secteur frigorifique, où je suis restée deux ans. Puis mon conjoint actuel, Corentin Charrier, m'a contactée via les réseaux sociaux pour me proposer un poste en benne céréalière. C'était exactement ce que je voulais, alors j'ai accepté. J'y suis restée quatre ans comme salariée. Corentin a eu l'idée de créer notre entreprise. Comme il me considérait comme "celle qui avait été forte à l'école", c'est moi qui ai passé les attestations de capacité. En moins d'un an, nous avons fondé AC Trans, en avril 2022.
Comment l'entreprise a-t-elle évolué depuis sa création ?
Nous avons débuté à trois : moi à la gestion et la comptabilité, Corentin au planning et à la route, et un conducteur salarié. Je roulais en joker quand c'était nécessaire. Malheureusement, ce salarié a eu un accident au bout de quelques mois. Nous avons dû gérer à deux, jusqu'au rachat d'un camion et l'embauche d'un nouveau conducteur début 2023. Nous avons ensuite investi dans un autre ensemble et recruté un troisième salarié. Aujourd'hui, nous sommes quatre. Mais nous sommes redescendus à trois camions, car j'ai perdu mon papa début 2025 et désormais, je m'occupe aussi de son exploitation. Malgré tout, je continue de rouler régulièrement, au moins une fois par mois.
Vous avez créé votre société dans un contexte économique compliqué. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Nous dépendons directement des agriculteurs, qui eux-mêmes dépendent de la météo. Et 2024 a été catastrophique en termes de récoltes. Ensuite, les accidents fragilisent beaucoup : nous en avons connu dès la première année, puis encore un autre l'an dernier. Cela pèse financièrement, mais aussi mentalement. Enfin, il faut toujours se battre pour conserver sa place face à la concurrence, sans jamais sacrifier nos tarifs. Nous misons sur la qualité et la proximité avec nos clients. Et jusqu'ici, ça fonctionne.
Quelles évolutions prévoyez-vous pour AC Trans dans un futur proche ?
Pour l'instant, nous restons concentrĂ©s sur notre spĂ©cialité : le transport en vrac, principalement la benne ÂcĂ©rĂ©alière. Nous avons dĂ©cidĂ© d'arrĂŞter le fond mouvant afin de nous Âfocaliser sur ce crĂ©neau, qui fonctionne bien et offre une bonne rentabilitĂ©. Notre zone d'activitĂ© couvre la VendĂ©e, le Centre et le Sud-Ouest, et nous avons suffisamment de travail.
À titre personnel, vous avez fédéré ces dernières années une large communauté sur les réseaux sociaux : 5 000 abonnés sur Facebook, 16 000 sur Tik Tok et plus de 36 000 sur Instagram… Que partagez-vous avec eux ?
Je me suis lancĂ©e pour partager ma reconversion : j'expliquais mon Âparcours, montrais mon quotidien, etc. Et ça a bien pris ! Au dĂ©but, j'ai subi quelques moqueries, certains me voyant comme une pseudo-influenceuse, mais aujourd'hui beaucoup de conducteurs font pareil.
J'essaie de montrer la rĂ©alitĂ© du Âterrain, pas seulement le positif. C'est important pour les jeunes : ce mĂ©tier est possible, mais ce n'est pas facile. Les rĂ©seaux m'ont aussi Âpermis de rencontrer des amis, qui m'apportent du soutien et des conseils quand j'en ai besoin.
Sur les réseaux, Amandine Lucazeau est plus connue sous le nom de "Lilou Truck" ou "Lilou Trucker Girl". ©DR
Être une femme conductrice de camion est déjà rare, alors créer sa propre entreprise sans être issue du milieu… Avez-vous douté ?
Plus jeune, oui. Mais aujourd'hui, le simple fait d'ĂŞtre heureuse d'aller travailler le matin fait toute la diffĂ©rence. Il faut Ă©couter les avis des autres, mais sans tout prendre au pied de la lettre. Quand on me disait que je n'y arriverais pas, je n'ai jamais laissĂ© tomber. Tout le monde n'a pas cette force de caractère. Une jeune fille m'a racontĂ© sur les rĂ©seaux qu'elle avait dĂ» arrĂŞter sa formation parce qu'elle Ă©tait harcelĂ©e Ă l'Ă©cole, la seule de sa promo Ă ĂŞtre une fille. Elle voulait pourtant vraiment faire ce mĂ©tier. Je l'ai encouragĂ©e et ÂaccompagnĂ©e. Elle a persĂ©vĂ©rĂ© et obtenu son permis. Le jour oĂą elle m'a Ă©crit pour me l'annoncer reste une de mes plus grandes fiertĂ©s.
Quel est le plus bel endroit où vous ayez roulé en camion ?
J'adore le Sud de la France, avec des villes comme Castelnaudary. Ce sont des coins qui ressourcent. On voit les montagnes, ça dĂ©payse totalement ! Sinon, mon plus beau voyage Ă©tait avec Scania en Norvège, dĂ©but 2025 [lors d'essais hivernaux organisĂ©s par la marque, ndlr]. C'Ă©tait une ÂexpĂ©rience incroyable.
Qu'est-ce qu'on trouve dans la playlist idéale d'une journée de tournée ?
J'Ă©coute de tout… J'aime notamment la variĂ©tĂ© française, quand la nouvelle gĂ©nĂ©ration Ă©coute beaucoup d'Ă©lectro. Moi, je suis plus Ă l'ancienne avec des grands classiques : France Gall, Johnny Hallyday, ÂCĂ©line Dion… Mais aussi les musiques actuelles : Gims, Carbonne, etc. En passant parfois par du Âreggaeton ou des "petites musiques du soleil" comme je les appelle.
Et enfin, si vous deviez vous reconvertir de nouveau ?
Je pense que j'irais vers la restauration. J'adore manger, et surtout bien manger ! La cuisine est un vrai Âhobby. Sur mes rĂ©seaux, je partage d'ailleurs pas mal de recettes, des gamelles que je prĂ©pare pour la route : des pâtes carbonara, mais aussi des plats revisitĂ©s Ă ma façon. J'aime y apporter ma petite touche. Cuisiner et manger, c'est toujours un moment de partage et de plaisir.