JO 2024 : un défi olympique pour les transporteurs 

"La vie continuera." Ce court message tente de s'ancrer dans tous les esprits, à quelques jours de l'ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Surtout face aux indicateurs qui laissent à penser qu'une partie de la France, sa capitale en tête, sera à l'arrêt pendant la quinzaine de compétitions, du 26 juillet au 11 août, puis lors des Jeux Paralympiques, du 28 août au 8 septembre. 329 épreuves, 41 sites olympiques dont 27 en Île-de-France (15 à Paris), 10 500 athlètes et près de 15 millions de touristes à transporter…

Un flux multiplié par deux

Et pour les transporteurs, l'assurance de maux de tête à chaque instant. C'est forcément le cas pour le transport de marchandises : plus de huit millions d'enlèvements ou de livraisons sont prévus chaque semaine pendant les JO, soit un flux multiplié par deux par rapport à une période classique, selon le ministère des Transports. Pour répondre à ce défi, le besoin de main-d'œuvre est grand.

Le baromètre Kyu d'avril 2024 précise que 9 400 emplois vont être mobilisés dans le TRM pour les JO, et que le nombre d'offres d'emploi a augmenté de 110 % entre décembre et mars dernier en prévision de l'événement. 44 % de ces offres concernaient des postes de conducteur poids lourd ou super poids lourd.

Continuer d'assurer les livraisons

Deux défis majeurs se posent aux transporteurs. D'abord, celui déjà entamé de veiller au bon déroulement des JO. Depuis de nombreux mois, il a fallu acheminer moult matériaux pour installer les infrastructures, et il faudra le moment venu transporter tous les équipements des athlètes et des épreuves. Mais puisque la vie continue, l'approvisionnement des commerces, restaurants et autres sites de distribution devra se poursuivre pendant tout l'été.

Si le 26 juillet, jour de la cérémonie d'ouverture, est certainement marqué d'une grande croix dans les calendriers des transporteurs ayant à faire en région parisienne, les deux quinzaines de compétitions ne peuvent pas connaître un arrêt des activités. Les transporteurs devront adapter leur plan de transport pour continuer d'assurer leurs livraisons.

Les voies réservées

En région parisienne, 185 kilomètres de voies seront dites "olympiques", réservées aux personnes accréditées (athlètes, membres des délégations, personnel médical des JO, journalistes, etc.). Seuls les taxis et transports en commun pourront également emprunter ces voies réservées, présentes sur le boulevard périphérique parisien et sur des portions de l'A1, l'A4, l'A12, l'A13 et la N13.

Ces voies express, bien identifiées, seront interdites aux usagers hors JO, dont les transporteurs, du 15 juillet au 13 août et du 22 août au 8 septembre. Exception pour l'A1 : la voirie spéciale restera activée entre les JO et les Paralympiques.

"Pour les entreprises, l'enjeu sera plus important pendant les Paralympiques, qui se dérouleront en période de rentrée scolaire. De manière générale, la congestion est moindre en août du fait des vacances. Mais si on supprime une voie sur trois à la rentrée, cela complique les choses. Les temps de transport sont allongés et il y a un enjeu de surcoût pour les transporteurs, car le temps c'est de l'argent. Ils devront organiser leurs tournées en fonction de ces contraintes. Surtout que le gouvernement compte bien faire respecter ces règles et appliquer les amendes pour tout manquement", développait Christian Rose, responsable environnement, transport et logistique de la Confédération des grossistes de France, lors d'une table ronde en marge du SITL. Parmi ces 185 km, des voies concourantes devraient exister et être utilisables par tous en cas de circulation trop bouchée.

En rouge sur cette carte, les 185 kilomètres de voies "olympiques" autour de Paris. Sur ces axes, une voie sera réservée aux acteurs des JO. ©JOPtimiz

Autre contrainte de poids : les périmètres de sécurité. Autour de chaque site d'épreuve olympique, une zone rouge puis une zone bleue limiteront considérablement l'accessibilité pour les véhicules. Chaque zone sera activée 2 h 30 avant le début de la première épreuve de la journée sur place, et sera désactivée une heure après la fin de session.

Un QR code pour les zones rouges

Le premier cercle autour du site est la zone rouge, une zone sécurisée. Le principe de base y sera l'interdiction de circulation de tout véhicule motorisé pendant leur activation, pour réduire au maximum les risques d'actes malveillants. Un laissez-passer sous forme de QR code peut être demandé sur la plateforme pass-jeux.gouv.fr.

Nommé Pass Jeux, il permet de pénétrer ces zones rouges selon des plages horaires spécifiques qui seront fixées chaque jour et pour chaque site, afin d'éviter de croiser les flux piétons. Bien après le début d'une épreuve et bien avant sa fin, par exemple. Ce laissez-passer n'est évidemment pas accessible à tous : une liste de dérogations est disponible sur la plateforme.

Hormis le transport de matières dangereuses (sauf première nécessité) et les véhicules d'exposants, les camions de transports devraient être en mesure d'accéder à ce sésame permettant de se faufiler dans ces zones rouges, en cas de nécessité uniquement, et en aucun cas pour y transiter.

Une bonne raison pour les zones bleues

Les zones bleues serviront quant à elles à limiter la circulation et éviter les phénomènes de bouchons aux abords des zones rouges. Elles seront accessibles aux véhicules ayant une bonne raison de s'y trouver. Pas question de passer par une zone bleue pour aller d'un point A à un point B, mais un riverain ou un transporteur devant livrer dans cette zone pourra y accéder à tout moment. La desserte locale y sera autorisée.

Parmi les voies réservées pendant les JO, on en trouvera une sur l'A1, qui relie notamment Paris à Roissy. ©Paris2024

Un document de transport, comme un bon de livraison ou de commande, sera demandé par les forces de l'ordre en cas de contrôle au niveau des points de passage. "Les épreuves de cyclisme sur route et de marathon [les 3, 4, 10 et 11 août, ndlr] auront des périmètres spéciaux, installés 3 heures avant l'épreuve et levés au fur et à mesure de son avancée, détaille Maxime Sassi, conseiller JOP Paris 2024 à la Préfecture de police de Paris. Il sera totalement interdit de circuler dans ces zones rouges temporaires, et il faudra anticiper les livraisons." Les points de cisaillements seront tenus par les forces de police et ne permettront que le passage de véhicules d'urgence.

Des dérogations pour livrer

Des contraintes, assurément, mais on voit qu'un "grand nombre d'arbitrages favorables ont été pris pour maintenir l'activité économique", comme le soulignait, lors d'une table ronde de l'OTRE, Charles Barbier, sous-directeur déplacements & espace public à la Préfecture de police. Un indispensable, car les 4,4 millions de livraisons ou enlèvements réalisés chaque semaine en Île-de-France, selon l'Union TLF, ne pourront pas rester en entrepôts.

Il faudra aussi s'assurer que les touristes puissent consommer – élément essentiel à la réussite économique d'un tel événement. Parmi les "arbitrages favorables", on soulignera aussi la levée des traditionnels samedis d'interdiction de circulation des poids lourds en juillet et août pour l'Île-de-France et ses départements limitrophes à partir du 19 juillet, pour certaines activités (alimentation, hygiène et santé humaine et animale, linge pour structures hôtelières, évacuation des déchets).

Un besoin d'anticipation

Si toutes ces dérogations existent, la période n'en sera pas moins difficile à appréhender. "Nous sommes prudents sur l'usage des dérogations. Il n'est pas question d'interdire la vie économique dans les zones de restriction, mais la circulation y sera compliquée avec des axes complètement fermés. Les places de stationnement vont être prises par les forces de l'ordre, les riverains, etc. Il faudra donc utiliser les dérogations avec parcimonie et changer ses habitudes", prévient Christian Rose.

Chaque demande de Pass Jeux pourra notamment déboucher sur une enquête de plusieurs jours. Les entreprises doivent donc anticiper. Il s'agira d'ailleurs du mot d'ordre pendant cette période extraordinaire au sens premier du terme. Exemple avec le groupe Walden International, qui compte s'appuyer sur les capacités de ses deux entités, Relais Colis et Ciblex, pour aménager ses tournées de livraison pendant la période des JO.

La massification, pour "limiter les kilomètres inutiles et la congestion des axes associés", apparaît notamment comme une solution. "Nous réalisons un travail d'anticipation inédit et sommes, à date, très optimistes car nous pourrons livrer partout", annonce Christophe Cornilleau, PDG du pôle express du groupe.

Divers outils pour accompagner les transporteurs

"Si les entreprises n'anticipent pas les contraintes supplémentaires liées à l'événement, nombreuses sont celles qui ne pourront pas honorer leurs livraisons dans les temps contractuels", alerte Sébastien Beolet, responsable développement logiciels de PTV Logistics. L'éditeur de logiciels propose ainsi un démonstrateur sur sa plateforme PTV Developer. Cet outil gratuit calcule et propose en dynamique les meilleurs itinéraires de livraison en tenant compte des restrictions de circulation pendant les JO.

Par des campagnes ciblées, le gouvernement appelle les professionnels à anticiper au maximum la période des Jeux Olympiques et Paralympiques.

Les pouvoirs publics ont aussi développé leurs solutions pour répondre aux besoins d'organisation des professionnels (et particuliers), notamment la plateforme anticiperlesjeux. gouv.fr. Des informations pour aider à la planification des trajets sont mises en avant, comme les restrictions de circulation. À l'heure où nous bouclons cet article par exemple, il est mis en évidence que la place de la Concorde sera inaccessible pour les véhicules, piétons et cyclistes à partir du 1^er juin. Sur le site, une carte indique jour par jour et heure par heure les périmètres de sécurité et de circulation autour des sites, les voies réservées ou la charge prévisionnelle sur le réseau de transports en commun (pour le grand public). Une page explicative sur le Pass Jeux est également intégrée, tout comme un onglet pour la gestion et la livraison des marchandises.

Les organisations professionnelles, comme l'Union TLF et la Confédération des grossistes de France (CGF), ont aussi édité chacune leur guide pour accompagner les professionnels face à l'événement. "Les entreprises du commerce de gros joueront un rôle essentiel dans la réussite des JOP, en continuant à fournir des établissements clés comme les restaurants, les commerces, les artisans, les pharmacies, etc. C'est en toute logique que la CGF a créé un groupe de travail dédié duquel découle ce guide. Nous l'avons voulu pratique pour que les entreprises y trouvent les réponses et outils nécessaires", justifie Christian Rose.

JOPtimiz : l'incontournable allié

L'outil le plus complet a assurément été développé par LUJOP (Logistique urbaine du quotidien pendant les JOP), sous l'impulsion de la DGITM (Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités). Il s'agit de la plateforme JOPtimiz. Lancée fin avril, avec le soutien de 36 fédérations sectorielles (dont le transport), elle comprend quatre outils (Visualiz, CirQliz, Iti-neriz et Numeriz) accessibles à tous et gratuitement.

Visualiz est une carte interactive couvrant l'Île-de-France. Elle permet aux entreprises de mieux planifier leurs livraisons en identifiant tous les points d'intérêt pertinents (commerces, hôtels, restaurants, centres de santé, hôpitaux, stations-service, marchés, aires de livraison, etc.) affectés par zones bleues et rouges, ainsi que les voies de circulation réservées. Il est possible de savoir si telle zone sera impactée tel jour à telle heure pour tel véhicule. Le transporteur peut ainsi savoir si les aires de livraison seront accessibles ou non. Sur JOPtimiz, Visualiz contient une carte web et des fichiers de données géographiques téléchargeables.

Un QR code de confort

Ensuite, CirQliz est un outil QR code. "Il est vivement conseillé de l'utiliser, mais n'est pas obligatoire", indique Jean-Philippe Elie, chef de projet numérique du programme InTerLUD+. Il s'agit d'un QR code pour entrer dans les zones bleues (et donc différent de celui cité plus haut, décerné sur demande par la Préfecture de police et indispensable pour accéder aux zones rouges). Plutôt que de justifier avec un bon de livraison ou autre document qui prendrait du temps à vérifier par les forces de l'ordre, CirQliz permet une identification rapide des entreprises effectuant des livraisons. Un QR code unique sera attribué à chaque véhicule ayant fait la demande pour toute la durée des Jeux.

Pour le rendre valide, les professionnels doivent déclarer sur la plateforme JOPtimiz leurs jours de livraison prévus pour chaque zone bleue (une déclaration par tournée, pas par livraison). "On sera déjà dans des zones encombrées, le QR code permet de ne pas rajouter de l'encombrement, précise Jean-André Lasserre, codirecteur du programme InTerLUD+. C'est aussi un outil qui permettra de remonter des informations et de générer des fréquentations prévisionnelles."

"Un Google Maps des JO"

Jean-André Lasserre compare Itineriz à "un Waze ou un Google Maps, mais dédié au transport et à la logistique pendant les JOP". L'outil est conçu pour calculer le meilleur itinéraire du transporteur jusqu'à sa destination finale, en prenant en compte les restrictions de circulation en temps réel. Il utilise pour cela la base de données DiaLog pilotée par la DGITM. Gabarit du véhicule, horaires des zones bleues et rouges, voies réservées, fan zones, créneaux de livraisons… Autant de paramètres qu'Itineriz prendra en compte.

Enfin, Numeriz est un disque numérique conçu pour gérer les arrêts sur les aires de livraison. Il permet au conducteur de visualiser les emplacements disponibles et occupés, ainsi que les niveaux de fréquentation actuels et futurs des aires de livraison en zones bleues. L'utilisation de ce disque numérique sera obligatoire dans le périmètre de la Concorde et du Champ-de-Mars dès l'activation de la zone bleue.

À partir du 26 juillet, date d'ouverture des JO 2024, Paris et la région parisienne vont entrer dans une période inédite. ©Paris2024

L'héritage des JO

Ces diverses solutions doivent faciliter l'activité des professionnels du transport et de la logistique au quotidien, mais n'empêcheront pas les impondérables du moment. "L'inconnu reste le niveau de commande et le taux d'ouverture des commerçants sur la période", confirme Christophe Cornilleau chez Walden International. En plus de l'anticipation, les professionnels du transport devront aussi faire preuve de réactivité. Les Jeux Olympiques ne s'arrêteront pas le 8 septembre, à la cérémonie de clôture des Paralympiques.

Il y aura déjà toute une phase de démontage, qui durera au moins jusqu'à novembre, avec encore des impacts à prévoir sur la circulation. Ensuite, il faudra s'assurer que cette période de défis relevés ne reste pas sans suite. La question de l'héritage des Jeux est souvent posée. D'abord, en termes d'emplois. Le Medef et France Travail ont noué un partenariat visant à réorienter 15 000 à 20 000 personnes vers des métiers en tension, dont ceux liés à la logistique, à la fin des JO.

L'événement est aussi l'occasion pour le secteur de montrer sa capacité de résilience et son inventivité. Il continuera aussi de profiter des outils développés pour les JO. "Itineriz restera un outil de pilotage dans les zones denses. Il y aura un travail à faire pour poursuivre le recensement des interdictions de circulation, et on y ajoutera au fur et à mesure toutes les informations sur les aires de livraison. L'idée du QR code semble aussi être une bonne solution pour les collectivités voulant instaurer des zones de circulation limitée, détaille Jean-André Lasserre. Généralement, quand on donne de bonnes informations aux acteurs, ils en font bon usage." Alors, les JOP 2024 : une opportunité plus qu'une contrainte ?

L'envol de la cyclo-logistique ?

Zones bleues, zones rouges… Pendant les JOP, les restrictions de circulation ne s'appliqueront pas aux vélos, au même titre qu'aux piétons, et les cyclo-logisticiens pourront donc théoriquement livrer sans problème. "Nous avons développé avec les collectivités un réseau cyclable olympique de 415 km, dont 120 km de lignes nouvelles, avance Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des JOP, dans le guide Anticiper les Jeux. Ce sera l'un des volets importants de l'héritage des Jeux."

©Paris2024

27 000 places de stationnement pour vélos, dont 21 000 places temporaires aux abords des sites, seront disponibles. Le programme ColisActiv', dédié au développement de la cyclo-logistique, a lancé son Annuaire Cyclo pour les JO 2024 dans l'optique de faciliter le recours au vélo cargo comme moyen de livraison alternatif pour les zones complexes à livrer. Ce livret détaille les différents types de vélos cargos, leur charge utile ou encore les activités auxquelles ils se prêtent bien. Différentes listes de fabricants, loueurs et réparateurs de vélos cargos, ainsi que de cyclo-logisticiens de la région parisienne, sont répertoriées.