Un café avec… Stéphane Perotto, directeur de la BU Truck & Off-Road de Bontaz
Le Journal du Poids Lourd : Pouvez-vous nous présenter le groupe Bontaz ?
Stéphane Perotto : C'est un groupe familial implanté dans 11 pays et qui compte 4 centres de R&D. Notre siège social est à Marnaz, en Haute-Savoie. Le groupe emploie plus de 3 500 personnes dans le monde dont environ 400 en France, avec un chiffre d'affaires approchant les 300 millions d'euros. Sur les 16 millions de produits vendus chaque année, dont 75 % en Europe, on retrouve principalement ceux destinés à la gestion des fluides et des gaz en automobile : huile, liquide de refroidissement, air, hydrogène. Nous avons des compétences en mécanique, hydraulique, électromagnétisme, électronique, mécatronique, thermique, matériaux… Nos nombreux moyens d'essais nous permettent de valider nos produits avant leur lancement en production en série.
JPL : Comment le groupe a-t-il évolué récemment ?
S. P. : Il y a quelques années, Bontaz a décidé d'élargir son marché en se positionnant sur de nouveaux secteurs comme la mobilité et les équipements périphériques des piles à combustible. Nous avons donc créé des business units (BU) début 2023. Chacune d'entre elles s'occupe de son segment de marché. Je dirige la BU Truck and Off-Road (TOR), dont le marché principal est celui du camion. Mais la partie off-road comprend aussi les engins de chantier, agricoles, les applications industrielles, ferroviaires, maritimes… et potentiellement aériens. Une trentaine de personnes sont réparties sur nos deux sites de développement principaux, en France et au Portugal.
JPL : Pourquoi avoir créé cette business unit dédiée aux poids lourds ?
S. P. : Nous avons séparé ce marché de celui de l'automobile, car le moteur thermique y a encore de longues années de vie devant lui, contrairement à la BU automobile qui doit gérer une décroissance forte dans ce domaine. Pour les camions, nous fournissons des composants pour le circuit d'huile de moteur thermique. Ce sont des gicleurs de refroidissement de pistons, des clapets, des graisseurs. Mais aussi des électrovannes de pilotage, de gicleurs, de pompe à huile, de système de frein moteur, d'échangeur thermique… Ces pièces permettent à nos clients d'améliorer l'efficience des moteurs thermiques et donc d'économiser du carburant ou de réduire les émissions polluantes.
JPL : Quel est votre objectif ?
S. P. : Nous voulons devenir un acteur majeur sur ce marché du poids lourd, sur le quel nous é t ion s déjà positionnés, mais pas concentrés. Nous devons poursuivre notre croissance dans le secteur du thermique et accompagner nos clients sur le véhicule électrique. Actuellement, notre chiffre d'affaires annuel est d'environ 35 millions d'euros, et nous avons l'ambition de passer les 100 millions en 2031. L'effectif et le nombre de projets vont augmenter pour soutenir cette croissance.
JPL : Quelles évolutions prévoyez-vous ?
S. P. : Nous travaillons sur le refroidissement des moteurs électriques. Les batteries ont besoin de fonctionner dans une plage de température donnée pour être efficaces, sûres et durables, elles ont donc besoin d'être refroidies ou réchauffées de façon précise. Certaines pièces, comme des électrovannes à huile ou des gicleurs, proches de celles existantes pour les moteurs thermiques, peuvent être utilisées pour le refroidissement des moteurs électriques. Nous développons des sous-ensembles pour les circuits de refroidissement.
Nous nous intéressons également à la sécurité des batteries. Nous proposons des systèmes qui permettent un maintien de leur pression interne à niveau de la pression atmosphérique, sans laisser entrer d'eau ou d'autres éléments étrangers qui pourraient dégrader leur fonctionnement. Ces pièces évitent que les batteries se déforment sous l'effet de la pression interne en fonctionnement normal. D'autres systèmes permettent, en cas d'emballement thermique d'une partie de la batterie, d'évacuer les gaz de façon contrôlée afin d'éviter l'explosion et la propagation à toute la batterie. Nous restons à l'écoute des besoins de nos clients et essayons de leur proposer des solutions qui résolvent leurs problèmes. Notre gamme de produits devrait donc s'élargir dans le futur.
JPL : Décarbonation, transition énergétique, électrification… Ces termes sont-ils source de motivation ou de cauchemars ?
S. P. : Ce sont des sources de motivation qui nous donnent de nouvelles opportunités. Mais nous devons rester très attentifs aux évolutions stratégiques et normatives dans les différentes zones de vente de nos produits. L'avenir reste incertain et les volumes prévisionnels changent souvent. Le cycle de vie des produits s'accélère aussi pour les véhicules électriques, car la technologie évolue rapidement et fait que l'existant devient rapidement obsolète. Dans ce contexte, les investissements sont difficiles à amortir.
JPL : L'actionnariat de Bontaz reste familial. Après près de 30 ans de "boîte", peut-on dire que vous faites partie de cette famille ?
S. P. : C'est plutôt à la famille Bontaz de répondre à cette question… Mais passer près de 33 ans dans la même entreprise est une très belle preuve de confiance mutuelle. J'ai su trouver la motivation, j'ai changé plusieurs fois de poste. Et je m'y trouve bien ! Avant de gérer la BU Trucks, j'étais directeur R&D du groupe, de 2005 à 2022. Et auparavant, j'étais chef de projet, j'ai géré des sites de production…
JPL : S'il fallait retenir un accomplissement sur toute cette période, quel serait-il ?
S. P. : Ce sont avant tout des souvenirs humains. J'ai intégré de nombreuses personnes plutôt jeunes qui ont grandi dans mes équipes et qui, pour certaines, occupent maintenant des postes à responsabilités chez Bontaz, ou ailleurs. Je pense, et j'espère, leur avoir transmis certaines de mes valeurs comme le respect, la confiance mutuelle et l'exigence dans la bonne humeur. Je me souviens aussi d'une période de croissance effrénée où Christophe Bontaz [président du groupe, ndlr] et moi annoncions que nous allions dépasser les 100 millions d'euros de chiffre d'affaires et que son père, le fondateur du groupe aujourd'hui disparu, nous prenait pour de doux rêveurs ! Aujourd'hui, j'espère atteindre ce chiffre avec ma seule BU Trucks, qui ne représente actuellement que 12 % du chiffre total du groupe ! Quand je suis rentré chez Bontaz, on avoisinait les 50 millions de francs de CA. Aujourd'hui, on approche les 300 millions d'euros. Et on se prépare à une nouvelle période de croissance dans les années qui viennent.
JPL : Bontaz a toujours été ancré en Haute-Savoie. Pendant vos trois décennies de présence dans le groupe, vous n'avez jamais eu envie de vous implanter ailleurs ?
S. P. : Non, jamais ! Je suis très attaché à cette région. Je suis savoyard d'origine, mais je vis depuis plus de 40 ans en Haute-Savoie. J'habite proche de l'usine, et je rentre manger chez moi le midi. C'est très confortable. Nous vivons dans la plus belle région du monde.
JPL : Quel est l'endroit qu'il faut absolument venir visiter dans la région ?
S. P. : Le village d'Ayse. Pourquoi ? C'est là que j'habite (rires). Pour ceux qui connaissent, il faut mieux l'écrire avec un Z : Ayze. C'est le vignoble le plus au nord des pays de Savoie. On est à flanc d'une montagne très réputée localement : le Môle. C'est notre mont Blanc à nous. Je le vois depuis mon bureau, j'ai juste à me pencher sur le côté. Nous avons aussi le lac Bénit qui est joli. Nous y sommes allés avec l'équipe pour une soirée d'entreprise avant les vacances. Il y a plein de choses à voir ici ! On peut aussi faire du ski, de la randonnée…
JPL : Quel est le meilleur plat local, selon vous ?
S. P. : J'aime bien la potée savoyarde. C'est assez lourd et traditionnel. Ce n'est pas vraiment diététique, mais ça passe bien après une journée en montagne. On y met des légumes, du chou et de la cochonnaille : saucisse, lard, jambonneau… que des bonnes choses !
JPL : Si vous deviez occuper un autre poste dans le monde du poids lourd, ce serait lequel ?
S. P. : Ce serait peut-être lié aux engins agricoles. Je me vois bien au volant d'un tracteur !