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Constructeurs

Les carrossiers constructeurs redressent la barre

Publié le 19 août 2024

Par Mohamed Aredjal
5 min de lecture
Après des années de crises successives, les carrossiers constructeurs en France entrevoient enfin une embellie. En 2024, les immatriculations de véhicules affichent une hausse significative, marquant un retour à la normale pour le secteur. Mais des défis persistent tels que les coûts élevés des châssis et les tensions sur le marché de l'emploi.
Les carrossiers restent confrontés à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée et à des difficultés de recrutement. ©Trouillet

Est-ce le bout du tunnel pour les carrossiers industriels ? Après plusieurs années difficiles, marquées par l'épidémie de Covid suivie de la crise énergétique et de l'inflation, les professionnels du secteur semblent sortir la tête de l'eau. Perceptible au cours du dernier semestre 2023, ce retour à la normale s'est confirmé lors des premiers mois de l'exercice 2024. "Globalement, les difficultés sur les pénuries et matières premières sont derrière nous", corrobore Benoit Daly, secrétaire général de la FFC Constructeurs.

Cette amélioration de la situation est visible dans les niveaux d'immatriculations du marché, qui étaient déjà prometteurs l'an dernier. Selon le dernier bilan annuel de l'Observatoire du véhicule industriel (OVI), les ventes de véhicules de 5 tonnes et plus ont affiché une hausse d'environ 11 % par rapport à 2022. Soit la quatrième meilleure performance du secteur sur les quinze dernières années, bien au-dessus de la moyenne sur cette période.

"Après la crise sanitaire, les pénuries de composants électroniques avaient limité les livraisons de matériels. Les commandes peinaient à être honorées, ce qui ne semble plus être le cas", note l'OVI.

Sur le terrain, certains carrossiers ont même enregistré des résultats très flatteurs. C'est le cas du groupe Trouillet qui annonce un chiffre d'affaires en croissance de 30 %, soit 73 millions d'euros, avec 3 200 véhicules livrés.

"Notre force, c'est la complémentarité et la synergie de nos produits et de nos services. Nous sommes un des seuls acteurs du marché français avec une offre allant du 3,5 tonnes à la semi-remorque, en passant par une gamme de remorques, porte-caissons, porte-caisses mobiles, etc. Nous avons donc toujours la capacité de jouer sur nos différentes activités pour pallier les difficultés qui peuvent impacter l'une d'entre elles. C'était le cas de la gamme lourde l'année dernière, qui a plutôt souffert avec des volumes assez peu élevés", précise Benoît Trouillet, codirigeant du groupe éponyme.

Même optimisme affiché dans les rangs du groupe Toutenkamion par son président Stéphane Girerd : "Nous avons enregistré l'an dernier une forte progression de l'activité avec une hausse de 32 % de notre production."

Tensions de recrutement toujours élevées

Malgré ces nombreux voyants au vert, les acteurs de la filière restent prudents. Si l'inflation perturbe moins l'activité des carrossiers, elle demeure toutefois à un niveau supérieur à celui d'avant-Covid, selon les différents interlocuteurs que nous avons interrogés. Principal point mis en exergue : le coût des châssis, qui a augmenté de façon significative ces dernières années.

"Les constructeurs grippent le marché… Avec des prix de châssis qui restent très élevés, les clients peinent à renouveler leurs véhicules. […] Des véhicules utilitaires qu'on payait 18 000 euros en 2021 sont aujourd'hui à 25 000 euros minimum. Sur la gamme lourde, on peut faire le même constat. Tant que les constructeurs ne participeront pas à cette baisse de prix générale, on ne s'en sortira pas", regrette Benoît Trouillet.

Parmi les autres postes qui ont flambé, celui des salaires représente une difficulté de plus en plus perceptible, constituant un poids significatif pour certaines structures. Cette problématique est évidemment liée à un marché de l'emploi toujours tendu dans la filière.

"L'une des premières difficultés évoquées par les chefs d'entreprise, c'est la pénurie de main-d'œuvre. C'est un phénomène visible aussi bien dans l'utilitaire que dans le poids lourd", déplore Benoit Daly.

Chez Toutenkamion, Stéphane Girerd dit avoir observé des problèmes de recrutement jusqu'en août dernier. "La carrosserie est un métier de main-d'œuvre, ça reste donc un sujet compliqué… Mais la situation s'est arrangée en fin d'année, ce qui nous a permis d'augmenter nos effectifs de 17 %. En 2024, nous voulons poursuivre nos recrutements de 10 % sur nos différents métiers."

Face à ces tensions de main-d'œuvre, la FFC Constructeurs axe son action sur la formation, en travaillant avec l'Éducation nationale sur la refonte des référentiels des baccalauréats professionnels, des CAP et BTS.

"Nous voulons donner davantage de visibilité à nos métiers, qui sont moins connus dans nos filières de l'automobile et de la métallurgie. Or nous faisons appel à des savoir-faire très larges. C'est pourquoi nous travaillons sur des référentiels appelés « Construction et aménagement de véhicules » afin de nous distinguer de la carrosserie-réparation", explique le secrétaire général de l'organisation professionnelle.

Une décarbonation en attente

Autre enjeu de taille que les carrossiers doivent gérer : la transition énergétique du parc roulant. À l'instar des autres acteurs du transport routier de marchandises, ils n'échappent évidemment pas aux objectifs de réduction des émissions de CO fixés 2 notamment par Bruxelles… Mais sur le terrain, l'attentisme et les reports de décisions restent de mise.

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"Le choix de la solution énergétique pour les véhicules qu'ils vont acheter et amortir pour les cinq à dix prochaines années représente la majeure difficulté à laquelle sont confrontés nos clients. Ces incertitudes limitent les investissements", observe Stéphane Girerd.

Ce sentiment est partagé au sein du groupe Trouillet, où l'on assiste aussi à un décalage entre les discours politiques et la réalité du marché. "La transition énergétique nous paraissait être une aubaine puisque nous pensions que ce mouvement allait accélérer le renouvellement des flottes. Pour le moment, ce n'est pas encore tout à fait ça… Sur la gamme lourde, il y a aujourd'hui peu d'offres accessibles. C'est donc compliqué pour nos clients. L'électrique, par exemple, vaut encore le triple du thermique. Quant au gaz, il a subi la crise énergétique et ça a refroidi beaucoup de monde", analyse Benoît Trouillet.

Pour Benoit Daly, il reste effectivement encore trop d'interrogations pour espérer un rapide verdissement du parc. Y compris pour les véhicules destinés à des applications urbaines et périurbaines, qui seront les premières concernées par cette transition énergétique.

"On sent une hésitation forte chez les transporteurs, qui restent majoritairement des petites entreprises et des PME. Beaucoup s'interrogent sur l'avitaillement, l'autonomie des véhicules, le financement, le TCO, etc. En particulier sur la technologie électrique pour laquelle le retour d'expérience reste faible. Et puis, il y a eu aussi des signaux contradictoires sur les aides… Toutes ces questions avec peu ou pas de réponses ne favorisent pas le renouvellement des véhicules."

Un nouveau contexte réglementaire

Complexe à appréhender, la problématique de la décarbonation va encore donner quelques maux de tête au secteur de la carrosserie cet été. En effet, depuis juillet, les carrossiers constructeurs doivent déclarer la performance environnementale des remorques. Vecto Trailer, un outil de simulation, a été déployé pour aider les fabricants à évaluer leurs émissions de CO 2.

Pour chaque remorque ou semi-remorque destinée à être immatriculée, vendue ou mise en service, la remise d'un dossier d'information au client ainsi qu'un dossier d'enregistrement des valeurs obtenues par le constructeur sur l'outil de simulation deviennent obligatoires. Pour épauler ses adhérents, la FFC Constructeurs a mis un service en place, dès janvier dernier, afin d'accompagner la mise en œuvre des calculs avec Vecto Trailer.

"Les objectifs de réduction des émissions de CO2 assignés pour 2030 sont très importants pour les constructeurs… Ils impliquent beaucoup de R&D, avec des risques de pénalités qui pourraient se ressentir sur le prix des véhicules", prévient Benoit Daly.

Autre évolution réglementaire à laquelle les carrossiers ont dû se préparer : depuis le 7 juillet 2024, de nouvelles mesures du Règlement général de sécurité (GSR 2) sont entrés en vigueur. Elles prévoient des exigences renforcées dans la conception des véhicules afin d'améliorer leur sécurité.

Si une grande partie de ces évolutions concernent les constructeurs avec l'intégration de ces dispositifs au sein des châssis-cabines, les fabricants de remorques et semi-remorques n'en seront pas exclus. L'impact du GSR 2 est sensible pour les carrossiers constructeurs qui doivent maintenir les fonctionnalités requises et adapter les carrossages afin de ne pas altérer la sécurité des véhicules de base.

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Dans le champ d'activité des constructeurs, plusieurs éléments sont visés : surveillance de la pression des pneumatiques, détection en marche arrière (système de caméra ou de détection), système d'information sur les angles morts, protection des véhicules contre les cyberattaques, etc.

Face à cette nouvelle échéance, et alors que le carrossage des véhicules a pris beaucoup de retard ces derniers mois, la FFC et sa branche Équipements et Véhicules ont obtenu une dérogation pour les véhicules de leurs adhérents non conformes à la réglementation GSR 2.

Désormais, ceux-ci doivent fournir au plus tard le 15 aout 2024 les listes complètes des numéros de série des véhicules pour lesquels ces derniers sollicitent cette dérogation.

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