Pourquoi le transport multimodal monte en puissance
Bien que la route reste le principal mode de transport en France, les difficultés de la filière, conjuguées aux enjeux de réduction de l'empreinte carbone, semblent pousser les donneurs d'ordres à adopter d'autres solutions pour la distribution des marchandises. Le transport multimodal, qui consiste à associer différents modes pour l'acheminement d'une même marchandise, a le vent en poupe ces dernières années. De plus en plus de chargeurs et de transporteurs cherchent à déporter le fret habituellement routier sur le rail ou le fluvial, notamment.
Selon les chiffres du ministère de la Transition écologique publiés en 2023, le transport combiné a connu une croissance de 18,5 % en 2021 par rapport à 2020 en tonnes-kilomètres. Entre 2016 et 2021, la part du combiné dans le transport ferroviaire de marchandises est passée de 27,8 % à 38,8 %. Avec une croissance de 9,5 % en moyenne annuelle sur cinq ans, ce sont les conteneurs et caisses mobiles (88,1 % du transport combiné en 2021) qui expliquent cette dynamique. En 2021, 74 % des trafics ont été effectués par le transport combiné rail-route, et 26 % par le transport combiné fleuve-route.
Décarboner le transport
Plusieurs raisons expliquent la croissance du multimodal. Le rail, le combiné, le fluvial sont des modes de plus en plus demandés par les chargeurs, car ils répondent mieux que le routier à leurs enjeux RSE de décarboner les transports. Le Groupement national des transports combinés (GNTC) estime qu'il permet de réduire les émissions de GES de 70 à 80 % en remplaçant par le rail ou le fluvial plus d'un million de camions sur les routes de France, ce qui représente un million de tonnes de CO2 en moins.
Pour ses effets bénéfiques sur la décarbonation, le transport multimodal est ainsi promu par le gouvernement qui alloue des subventions aux opérateurs et souhaite voir sa part augmenter dans le transport de marchandises français. Ces aides rendent les autres modes économiquement compétitifs par rapport au routier et incitent les donneurs d'ordres comme les transporteurs à les utiliser. Elles permettent également le développement de nouvelles lignes de fret ferroviaire, ou fluvio-maritimes sur des axes logistiques majeurs qui apportent de nouvelles solutions pour diminuer l'usage des camions.
Alternative aux camions
Le multimodal offre aussi des alternatives lorsque la route est bloquée. Ainsi, les difficultés post-Covid des transporteurs routiers, confrontés à un manque de capacités à la suite des délais de livraison allongés des camions neufs ou à une pénurie de conducteurs, ont poussé un certain nombre de chargeurs à opter pour le rail ou le fluvial. À ces paramètres s'ajoute l'augmentation des charges des transporteurs routiers dans un contexte inflationniste et de hausse des coûts de carburant ou des véhicules. En conséquence, de nombreuses entreprises revoient leur stratégie et privilégient des activités plus régionales, sur de plus courtes distances.
Le multimodal répond à ces nouvelles stratégies, permettant aux transporteurs routiers de se concentrer sur les premiers et derniers kilomètres, tandis que la longue distance est opérée en train ou en barge. Cela concerne le transport palettisé ou en vrac, mais désormais aussi la messagerie ou la distribution aux délais de livraison plus courts, avec de nombreuses expérimentations en zone urbaine. Depuis des entrepôts à proximité des ports, les marchandises sont transportées sur des péniches jusqu'à des mini-entrepôts ou zones de stockage au cœur des villes. La livraison du dernier kilomètre est ensuite effectuée à l'aide de véhicules utilitaires souvent électriques, ou en vélo cargo.
Le choix de transports multimodaux offre également aux chargeurs des avantages à la fois économiques et de productivité, notamment grâce à une réglementation européenne avantageuse. Dans le cadre d'un transport uniquement routier, le poids d'un chargement est limité à 40 tonnes. Avec le combiné rail-route, ce chiffre passe à 42, voire 44 tonnes, ce qui permet d'augmenter la capacité de transport. C'est plus vertueux, plus volumineux et donc plus rentable. De plus, le coût kilométrique du rail, du fluvial ou du maritime (hors perturbations géopolitiques mondiales) est plus attractif que celui de la route en raison de la massification des marchandises, du recours moindre aux conducteurs ou de coûts de manutention plus faibles.
Les grands comptes maîtrisent le sujet
Le développement des technologies constitue un autre argument en faveur de l'expansion du multimodal. À l'aide de dispositifs GPS, les caisses mobiles et les conteneurs peuvent être tracés aussi bien que les camions. Il est possible de placer sur ou dans les conteneurs des QR codes ou des tags RFID de suivi, des capteurs de température, des verrous connectés. Le tout permet de remonter à intervalles réguliers un ensemble de données opérationnelles, à l'image de ce qui se fait via la télématique des camions. En outre, les logiciels TMS, qu'ils soient utilisés par les chargeurs ou par les transporteurs, intègrent des fonctionnalités d'élaboration des plans de transport multimodaux, en tenant compte des opérations de transbordement et de rupture de charge, ainsi que toute la documentation inhérente à tel ou tel mode. Puisque la demande croît du côté des chargeurs, de nombreux transporteurs (ré)orientent leur activité vers le multimodal afin de générer de nouvelles opportunités de croissance commerciale.
En 2023, de nombreux services de transports multimodaux ont ainsi été développés en France ou à l'échelle européenne par les grands groupes. XPO a par exemple ouvert cinq nouveaux corridors multimodaux en Europe qui connectent la France à l'Espagne, à l'Allemagne, au Benelux et à l'Italie. Le transporteur a déployé 100 semi-remorques P400 tirées par des tracteurs sur les premiers et derniers kilomètres, puis posées sur des wagons plats ou sur des navires pour le transport intermédiaire. XPO a annoncé un objectif d'opérer 10 000 de ces transports combinés par an et ainsi d'économiser 10 millions de kilos de CO2 en comparaison au seul usage de la route.
Le concurrent Geodis gère ses propres trains, les "company trains", et a créé de nouvelles lignes reliant plusieurs régions ou pays voisins, comme un Paris-Milan, un Dourges-Avignon, un Metz-Hendaye ou encore un Lodz (Pologne)-Piacenza (Italie). En moyenne, l'entreprise opère 100 trains par semaine à raison de cinq allers-retours. En 2011, le breton Lahaye Global Logistics a ouvert une ligne ferroviaire entre Rennes et Lyon qui a généré 15 millions d'euros de chiffre d'affaires en dix ans. L'an dernier, le transporteur a investi environ 2,5 millions d'euros dans une nouvelle ligne ferroviaire combinée rail-route entre le terminal de Rennes et le port de Lille. Selon lui, chaque train remplace entre 40 et 45 camions. Lahaye a calculé que depuis 2011, l'activité multimodale a permis d'éviter 60 millions de km par la route, soit une économie de 57 000 tonnes de CO2. Le transporteur utilise également des remorques P400, notamment le modèle Huckepack conçu par Chéreau.
Les PME montent au créneau
L'adoption du multimodal ne se limite pas aux grands groupes. De plus en plus de PME se sont spécialisées dans cette activité qui génère de la croissance. Contargo, spécialiste du transport combiné depuis près de vingt ans, a enregistré en 2023 une hausse de 1,5 % des volumes transportés par voie fluviale et ferroviaire. En fin d'année, l'opérateur a ainsi augmenté la fréquence de sa navette ferroviaire qui relie le port fluvial de Weil-am-Rhein et le port d'Anvers à cinq allers-retours par semaine. Sur les voies navigables des Hauts-de-France, Contargo a en outre développé son offre de transport fluvial de conteneurs, en ajoutant des escales de ses navires à Dourges, au sud de Lille, et en mettant en service une troisième barge de grand gabarit. Forte de ses résultats, l'entreprise envisage de s'étendre sur d'autres bassins fluviaux en France.
Fin janvier 2024, Ederlog Multimodal, filiale spécialisée dans le transport combiné rail-route du groupe Mendy, a mis en service une ligne ferroviaire entre Bayonne et Lyon. Le transporteur indique qu'elle permettra à ses clients d'acheminer chaque semaine des marchandises entre l'Espagne et la région rhônalpine, notamment des matériaux de construction en vue des travaux du futur tramway T6 à Lyon. De son côté, le groupe Blanchet transporte 3 millions de tonnes par bateau et convoie 8 000 caisses par rail chaque année. À la demande d'un client du secteur agroalimentaire, la PME est passée d'un usage exclusif de la route à l'exploitation de trains (en mode combiné) puis de barges fluviales à partir de 2009 à la suite du rachat de la société d'affrètement fluvial Giocanti. Aujourd'hui, Blanchet fait circuler deux millions de tonnes de marchandises sur la Seine. L'activité multimodale génère 25 millions d'euros par an sur les 50 millions réalisés au total par l'entreprise.
Même les TPE franchissent le pas, à l'image de Gaëtan Labbé, patron chauffeur, dirigeant des Transports Labbé 21, qui s'est orienté en 2019 vers le multimodal et le transport de conteneurs maritimes, notamment pour le compte de MSC puis CMA-CGM ou Hapag. Selon lui, l'activité offre aux transporteurs la perspective de toucher de nouveaux marchés, en opposition au transport en vrac ou en tautliner, presque saturé. Depuis sa base à Dijon, il charge et décharge sur les ports du Havre, de Fos-sur-Mer ou d'Anvers, avec l'avantage d'être rémunéré également pour les retours à vide. Il assure ainsi par la route le transit des conteneurs qui sont ensuite transportés par voie maritime à l'international.
Par Renaud Chasle