La caméra embarquée gagne du terrain
Indéniablement, le marché de la télématique est arrivé à maturité. Les sociétés sont nombreuses et, comme le veut la formule, s'il y a concurrence, c'est qu'il y a un marché. Celui-ci est en constante progression, selon les différents acteurs, de quelques pour cent chaque année. "Tous les transporteurs n'utilisent pas encore la télématique, même si elle est largement déployée", rappelle néanmoins Daniel Hourc, responsable France d'Astrata. Les irréductibles sont la plupart du temps des sociétés de taille modeste, dont les process restent souvent manuels et où des craintes de "flicage" subsistent parfois. Pour ceux qui ont recours à la télématique, l'intégration est généralement progressive. "Nous faisons des réunions avec les transporteurs pour étudier leurs besoins et voir ce qu'on peut mettre en place. On peut commencer par une partie, et en on développe d'autres ensuite, pour ne pas les noyer d'entrée avec toutes nos fonctionnalités", poursuit Daniel Hourc. Car les possibilités offertes par la télématique sont aussi nombreuses qu'elles apparaissent aujourd'hui indispensables.
Entre aide de gestion, sécurité et économies
Généralement, le point d'entrée pour un gestionnaire de flotte sera de réaliser des économies. "Nos clients travaillent avec de faibles marges, souligne Olivier Datry, responsable France d'AddSecure. S'ils ne sont pas aussi efficaces qu'ils peuvent l'être, ils se retrouvent vite dans le rouge. Faire sans la télématique est donc compliqué." Et pour atteindre ce but, l'éco-conduite apparaît comme la solution idoine, à l'heure où le carburant est redevenu le poste de dépense principal des transporteurs, devant les salaires. "Entre le chauffeur le plus économe et celui qui l'est le moins au sein d'une flotte, il peut y avoir un écart de 35 % de consommation de carburant !", lance François Denis, directeur France de Geotab, qui équipe 3,5 millions de véhicules dans le monde.
Un boîtier télématique remonte des données sur le comportement du conducteur : comment il accélère ou freine, par exemple, ce qui permet de mettre en place des actions correctives, notamment en termes d'écoconduite. "Il y a d'autres moyens d'économiser : avoir une bonne pression des pneus, tout simplement, ajoute François Denis. La télématique permet d'avoir ce type de données en direct, ce qui est important, car rouler plusieurs jours avec une mauvaise pression accroît la surconsommation." Comme dans cet exemple, les intérêts de la télématique sont souvent partagés entre économies et sécurité. Car s'assurer d'un meilleur comportement de conduite et du bon état permanent des véhicules réduit l'accidentologie. Et moins d'accidents, cela signifie moins de frais de réparation, moins de camions immobilisés, moins de remplacements de conducteurs et, à la clé, de possibles révisions des primes d'assurance.
Mais gérer sa flotte, ce n'est pas seulement diminuer les coûts d'exploitation. Le boîtier télématique remonte de nombreuses données sur le véhicule : consommation donc, kilométrage, codes de pannes, localisation… "Cette technologie est nécessaire pour s'assurer d'être en règle sur les temps de conduite des conducteurs, pour anticiper l'entretien des véhicules, mieux gérer les tournées, etc., détaille Daniel Hourc. La télématique est la pierre angulaire d'une bonne gestion de flotte." Une digitalisation des process qui évite aussi les erreurs et fait gagner du temps pour se concentrer sur d'autres sujets.
L'émergence des caméras
Depuis quelques années en effet, un nouvel outil fait des émules du côté de la télématique, et commence à s'imposer dans les cabines des conducteurs : la caméra embarquée, appelée aussi dashcam. "Nous sommes passés du positionnement du véhicule à la remontée des documents. Là, c'est une évolution supplémentaire de la télématique avec l'utilisation d'images, explique Daniel Hourc, dont la société Astrata propose Video-Link depuis 2020. “Dans notre société où la vidéo prend une part importante au quotidien, cela permettra d'apporter des preuves de ce qu'il se passe sur la route." Un progrès dont se servent notamment les formateurs en écoconduite. S'ils remarquent qu'un chauffeur freine trop, par exemple, ils peuvent analyser les images pour comprendre les raisons de ce comportement de conduite. Il est alors plus simple d'indiquer les bons changements à adopter, plutôt que via un tableau rempli de chiffres. Il est plus simple, également, de suivre si ces conseils sont appliqués.
Réduire le coût du poste carburant grâce à la caméra, voilà un argument qui n'aurait peut-être été très convaincant il y a quelques années, mais qui prend du poids dans le contexte actuel. De manière générale, la caméra embarquée ne fonctionne pas en continu, mais remonte des clips vidéo au gestionnaire de flotte. Le but n'est pas de regarder le conducteur toute la journée, mais de capter les informations liées à des événements ponctuels et précis. Une exception : "Dans le cas de l'activation du bouton panique, le gestionnaire peut visualiser en direct ce qu'il se passe en cabine et dans l'environnement du camion", note Daniel Hourc.
Car le dispositif peut être dirigé tant vers la route que vers l'intérieur du camion, même si cette seconde utilisation prête à débat. Le Code pénal valide bien la légalité de l'utilisation d'une dashcam, mais est strict sur l'utilisation des images collectées. Celles-ci ne sont pas libres de droit, et une utilisation non autorisée est passible de 45 000 € d'amende et d'un an d'emprisonnement. "La CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) indique que l'employeur doit annoncer à ses employés les objectifs de la caméra, rappelle François Denis. Ces objectifs doivent être clairement définis et connus du personnel : réduire l'accidentologie ou la consommation des véhicules, par exemple."
Cet encadrement ne peut empêcher ce sentiment de « flicage qui, chez certains, continue de coller à la peau de la télématique. "Nous pouvons être confrontés à ce sentiment, et des représentants du personnel prennent parfois la défense des salariés sur ce sujet, reconnaît le directeur France de Geotab. Il faut prendre en compte le point de vue des conducteurs. Mais il faut se montrer pédagogue en annonçant d'emblée l'objectif sécuritaire." Démontrer que la dashcam est là pour l'accompagner est un moyen de résorber les réticences du conducteur. Aux débuts de la télématique, la crainte de voir les exploitants passer leur temps à observer les cartes et regarder les camions de leur flotte bouger dessus était répandue. Le temps a gommé les réticences. "Un patron qui utiliserait la caméra comme élément de flicage perdrait rapidement ses chauffeurs, estime Olivier Datry. Compte tenu de la pénurie que subit le secteur, aucun exploitant n'en a envie, ce serait presque suicidaire pour son entreprise."
Lever doutes et suspicions
Pour convaincre les réticents, le responsable France d'AddSecure, qui compte quelque 400 clients dans le pays, a un argument imparable : "Si vous n'avez rien à vous reprocher, vous ne craignez pas de croiser la police. Un chauffeur professionnel ne doit donc pas avoir de souci à ce que la route soit filmée. Il doit d'ailleurs plutôt apprécier la caméra, qui lui permettra de se dédouaner en cas d'accident survenu en raison d'un autre usager de la route." C'est d'ailleurs cet argument qui a provoqué le déclic chez Stéphane Boutonnet, directeur commercial France de Kuantic. Du fait de son positionnement VL, le télématicien avait de plus grandes réticences que la moyenne sur l'utilisation de la caméra, mais les intérêts sur le poids lourd ont amené un changement d'opinion, et la société devrait proposer sa solution d'ici à 2024. "Un client nous expliquait que, même quand un camion n'est pas responsable en cas d'accident, le chauffeur est presque systématiquement placé en garde à vue, raconte le directeur commercial. Pour un exploitant, cela signifie que son chauffeur est immobilisé. Dans un secteur comme le transport, c'est contraignant en termes de coûts et de ressources. La caméra permet d'être plus serein et d'accélérer le processus de libération du chauffeur." Un tel outil combiné au boîtier télématique aide en effet à retracer avec certitude l'accident grâce à différentes données : les images de la collision, la vitesse du camion, l'endroit de l'impact, le moment où le conducteur a freiné, etc. Autant d'éléments qui peuvent permettre de disculper le poids lourd, souvent pointé du doigt en cas d'accident.
Une preuve par l'image qui pourrait devenir essentielle dans les années à venir, notamment face aux assureurs. "Le secteur du transport est très contraint par les assurances, remarque Olivier Datry. Si vous avez un taux d'accidentologie trop élevé, vous pouvez vite être rayé par votre assureur. Comme il y a peu de monde sur le marché de l'assurance dans le transport, celui qui vous reprend élèvera les tarifs, et les primes d'assurance vont augmenter." Comme souvent avec la télématique, l'intérêt apparaît autant sécuritaire que financier. Et la caméra n'en est qu'à ses débuts. 2023 marque l'arrivée de nouveaux outils, tels les systèmes de détection de la fatigue en cabine.
AddSecure s'est déjà positionné sur le sujet. "C'est important car l'endormissement est le premier facteur de mortalité sur l'autoroute, rappelle Olivier Datry. Dans la caméra, un système optique vérifie que les yeux du conducteur sont bien sur la route. S'il cligne trop ou que ses yeux se ferment, une alerte visuelle et sonore retentit en cabine et remonte au central. C'est du préventif, on n'attend pas l'accident." Mais les réticences restent parfois tenaces. "Il ne faudrait pas que cette caméra soit associée à l'ensemble de la télématique et génère de la crainte sur l'ensemble des outils. Ce serait dommage que tout soit remis en cause", estime Julien Rousseau, directeur général de SuiviDeFlotte.
Le télématicien, qui gère plus de 50 000 véhicules sur sa plateforme (dont plus du quart de poids lourds), fait d'ailleurs partie de ceux qui ont décidé, pour le moment, de ne pas proposer de solution télématique de type caméra. "C'est un choix stratégique, affirme Julien Rousseau. Nous nous y intéressons, forcément, mais nous avons effectué des approches auprès de nos clients, et la crainte sociale existe. Filmer le conducteur apparaît compliqué. Nous faisons déjà des interventions pédagogiques sur les boîtiers, et certains pensent qu'ils vont être enregistrés. Alors la caméra… C'est encore plus intrusif. Cependant, nous avons déjà réalisé des tests produits, et nous serons prêts si la demande du marché devient forte." Être épié peut inquiéter, mais c'est aussi ce qu'il peut advenir des informations récupérées par tous ces outils qui pose souvent question.
Données, vie privée, sécurité
En effet, la gestion des données, qui pouvait être un sujet d'interrogation au début de la télématique, est encore plus source de questionnements avec ce développement des caméras. "D'abord, l'employeur doit minimiser les données collectées afin de n'avoir que celles nécessaires pour atteindre les objectifs annoncés, expose François Denis. Il peut ajouter des objectifs, nécessitant d'autres données, mais toujours en accord avec les représentants du personnel." Pouvant être liée à la crainte précédemment évoquée du "flicage", cette gestion est au cœur des réflexions des télématiciens. Geotab a ainsi lancé un mode "restreint" de sa solution, qui va plus loin que sa précédente fonction "vie privée" dans sa concordance avec les exigences de la CNIL. En dehors de ses heures de travail, un conducteur peut ainsi rentrer chez lui avec son camion équipé d'un boîtier sans que les données soient transmises au transporteur. Il a un plus grand respect de sa vie privée. La transmission est en quelque sorte coupée pendant ces heures » off, et les données ne peuvent être retrouvées qu'en cas d'accident. Mais retrouvées par qui ?
Daniel Hourc résume un fonctionnement repris par tous : "La donnée transite sur nos serveurs, mais elle appartient au client. Il a la mainmise et en fait ce qu'il veut. Nous ne sommes que le véhicule de cette donnée." Astrata compile cette data sur un portail, permettant à son client d'en avoir une vision globale. "Une passerelle est ensuite possible pour intégrer ces données dans le système d'information de nos clients, pour leur permettre d'automatiser les tâches", poursuit le responsable. Généralement, la donnée est particulièrement sécurisée, avec des standards de cryptographie maximaux. Surtout, elle ne peut pas être gardée indéfiniment. "Les données sont stockées au maximum un an sur nos serveurs situés en Île-de-France et à Lille, affirme Julien Rousseau. Le client peut choisir de réduire cette durée à six mois, voire deux. Ensuite, elles sont détruites." Les contrats chez SuiviDeFlotte garantissent que les données ne sont pas revendues à un tiers. Seul le client y a accès.
Mais la donnée brute est dense, et la délivrer sans accompagnement risque de perdre le gestionnaire de flotte, qui fait appel à la télématique dans une optique d'efficacité. "Nous avons une responsabilité de gestion, avance Olivier Datry. Avec notre solution Co-Driver, nous pouvons récupérer des dizaines de données écoconduite par chauffeur… Mais qu'en fera le gestionnaire à la fin de la journée si nous ne leur donnons pas de sens ?" Rendre ces données utilisables pour le plus grand nombre est une nécessité. "Nous nous structurons pour créer une architecture de données donnant accès à l'information plus rapidement que si l'on devait traiter les données source, explique Stéphane Boutonnet chez Kuantic. Il s'agit de n'avoir qu'une seule ligne à traiter par jour, ce qui accélère le calcul des données et permet de faire des choses intéressantes, comme de la maintenance prédictive, qu'on ne pourrait pas faire sur les seules données sources."
Et après ? Que prévoit la télématique pour accompagner les gestionnaires de flotte dans deux, cinq ou dix ans ? "On est déjà pas mal là, non ? sourit Daniel Hourc. La vidéo est déjà une grande évolution, il s'agit pour le moment de peaufiner nos offres. Mais nous trouverons sans nul doute d'autres avantages et usages à la télématique." Olivier Datry abonde : "La vidéo va nous occuper pour les trois prochaines années, au moins. Peut-être verra-t-on arriver, comme à Londres, une obligation de caméra latérale sur les camions pour détecter les piétons et cyclistes. Peut-être que le détecteur d'endormissement sera capable d'arrêter automatiquement le véhicule… Et quand il n'y aura plus besoin de chauffeurs, il n'y aura plus besoin de les réveiller !" Mais nous n'en sommes pas encore là…
S'adapter à l'évolution du parc
En attendant, les télématiciens doivent notamment réagir à une tendance de plus en plus réelle : les camions sortent souvent d'usine déjà équipés de boîtiers télématiques. "Nous avons déjà des accords avec de nombreux constructeurs, pour pouvoir travailler sur ces boîtiers existants. Cela évite d'en ajouter un supplémentaire. Les données peuvent provenir de ces boîtiers", détaille François Denis. Les acteurs de ce secteur sont, comme toujours, à la fois actifs et attentifs. Ils s'adaptent aux générations successives de véhicules qui arrivent sur le parc pour ajuster leurs offres. "Plus les camions sont récents, plus il y a de données, et plus on les remonte. Ce sera aussi le cas sur les nouvelles motorisations, qui commencent à arriver. Il faudra continuer de remonter les données. C'est notre défi pour demain", conclut Julien Rousseau.
La différenciation par le service
"La prise d'information dans le véhicule, tous les télématiciens savent la faire", lance Julien Rousseau de SuiviDeFlotte. Les acteurs de ce secteur ne s'en cachent pas : sur un plan purement technique, ils proposent tous plus ou moins la même chose. Mais ce n'est qu'un premier niveau. C'est sur les suivants que les télématiciens se distinguent les uns des autres. Et notamment au moment de la restitution des données. SuiviDeFlotte privilégie ainsi une solution "facile à prendre en main" : le but est de délivrer au gestionnaire de flotte seulement les informations dont il va avoir besoin. Kuantic vise avant tout l'optimisation de tournée. Le service apparaît comme un point central pour se démarquer. "Limiter le nombre d'interlocuteurs du client, discuter pour savoir comment interfacer la solution, etc. Nous investissons par ailleurs sur la partie mobile, car le service au conducteur est important", précise Stéphane Boutonnet chez Kuantic. Chez AddSecure, Olivier Datry met l'accent sur le modèle économique. « C'est différent de proposer uniquement le boîtier ou tout un package autour”, avance le responsable France. AddSecure propose un abonnement mensuel avec le boîtier, le logiciel, l'accompagnement, la garantie… "La qualité du support, la qualité humaine et la proximité sont primordiales", conclut Olivier Datry.
Trois questions à… Marion Achour, responsable marketing des flottes automobiles, Gac Technology
Que propose Gac Technology en matière de gestion de flotte ?
Gac Technology édite, entre autres, des logiciels de gestion de flotte depuis plus de quinze ans. Notre solution phare, Gac Car Fleet, gère plus de 443 000 véhicules, dont 15 000 poids lourds. Ce logiciel aide à gérer le véhicule tout au long de son cycle de vie dans la flotte : commandes, analyse des données, tableau de bord personnalisable, suivi et reporting des dépenses, consommation de carburant, distance parcourue, émissions de CO2, fiscalité, calcul du TCO, etc. Toutes les données du parc et des fournisseurs sont centralisées et intégrées automatiquement dans un seul outil. Gac Car Fleet permet de gagner un temps considérable et d'économiser entre 3 et 5 % sur le coût d'utilisation de la flotte.
Quelle est la différence avec un boîtier télématique ?
Le boîtier est connecté au véhicule et remonte des données bien spécifiques liées à la conduite et à l'utilisation du véhicule. Le logiciel de gestion de flotte permet d'intégrer et de piloter ces données, de les analyser, pour optimiser l'utilisation du véhicule et ses coûts, les trajets, etc. Il permet de mettre en place un plan d'action pour atteindre des objectifs de réduction de coûts, par exemple, et est une aide à la prise de décision. Même si nous ne sommes pas un télématicien, tous nos clients peuvent parfaitement connecter notre logiciel Gac Car Fleet à leur fournisseur de télématique s'ils le souhaitent.
Un logiciel peut-il suffire pour optimiser ses coûts et sa gestion de flotte ?
Oui, notre logiciel a été pensé avec toutes les fonctionnalités nécessaires à la gestion d'une flotte automobile. Une multitude de données, notamment financières et de consommation, lui sont remontées automatiquement dans son outil grâce à la connexion avec ses fournisseurs. Notre logiciel, via l'écosystème « Hub Gac », est en effet connecté à plus de 250 fournisseurs : loueurs, pétroliers, assureurs, professionnels de l'entretien et de la maintenance, et même télématiciens. Bien qu'indépendants, un logiciel de gestion de flotte et un boîtier télématique sont complémentaires. Cette formule peut également être un confort et un gain de temps pour le gestionnaire qui n'a pas besoin de solliciter ses conducteurs.