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Transport

Quand le transport et la logistique font filière

Publié le 3 novembre 2025

Par La rédaction
8 min de lecture
Une enquête du CNR révèle que les transporteurs ont massivement investi le champ de la logistique ces dernières années. Bien plus qu'une simple variable d'ajustement, celle-ci est devenue un maillon essentiel de leur stratégie globale.
Le groupe Bert & You opère sur 500 000 m²de surface logistique en France. ©Bert & You

C'est un phénomène qui s'accélère ces dernières années : les entreprises de transport routier de marchandises générales (par lots), en longue distance ou en régional, étoffent leur offre avec des prestations de logistique. Cette dynamique concerne aussi bien les petits transporteurs que les grands groupes. "Transport et logistique se combinent à un tel point qu'aujourd'hui, dans le langage commun, lorsque l'on parle de logistique, on y inclut également le transport. On pense filière, en fait", commente France Beury, directrice de la communication de l'Union TLF (voir encadré plus bas). Selon une enquête menée en 2023 par le Comité national routier (CNR), près de 70 % des entreprises de TRM interrogées effectuaient des prestations de logistique. L'éventail de ces prestations s'étend de la simple opération d'entreposage (67,1 % des entreprises) à la préparation de commandes (32,2 %) jusqu'au co-packing (3,2 %).

Plus l'entreprise est de taille, plus elle opère sur l'ensemble du spectre logistique. "Nous créons des entrepôts pour adosser ou optimiser un dispositif transport", explique Matthieu Salmon, directeur du pôle activités frais de Lahaye Global Logistics, groupe spécialisé dans le transport (multimodal) et la logistique sous température dirigée, ainsi que dans la messagerie palettisée et le lot. Chez Bert & You, "on ne peut exclure la logistique du champ des cohérences", affirme Éric Cabaillé, le directeur de la communication du groupe drômois spécialiste du lot. "La logistique demeure dans l'ADN du groupe qui était, à l'origine, spécialisé dans le négoce de matériaux avec une activité transport en compte propre. Elle a grandi au même titre que les activités de transport se sont développées."

Sur l'échiquier des TPE, toujours selon l'enquête du CNR, moins de la moitié (47,8 %) des entreprises interrogées ont intégré la logistique dans leur stratégie, pour l'essentiel en entreposage (et 10,9 % en préparation de commandes). Ce chiffre passe à 56 % pour les transporteurs employant de 20 à 49 salariés (19,8 % en préparation de commandes) et à 76,5 % pour ceux dont l'effectif est compris entre 50 et 99 salariés (35,3 %).

Du flux routier au stockage, de plus en plus de transporteurs proposent désormais une chaîne de valeur intégrée. ©Adobestock

Du flux routier au stockage, de plus en plus de transporteurs proposent désormais une chaîne de valeur intégrée. ©Adobestock

Le transporteur Steve Mangin considère, quant à lui, que "la logistique constitue une meilleure valorisation, un prolongement de l'entreprise de transport". À la tête de LEA Logistique, le dirigeant, ancien commissionnaire de transport, a fait le choix de se doter d'un parc roulant en 2018 (45 moteurs en propre aujourd'hui), un an après avoir inauguré une plateforme logistique de 11 000 m² à Rivesaltes (66). Un autre bâtiment de 3 000 m² est sorti de terre en 2022. Steve Mangin opère sur l'ensemble des segments de la logistique (10 000 emplacements palettes au total). En matière de préparation de commandes, il offre des solutions à la palette, au colis et à la pièce à destination du e-commerce. "Je trouve que l'approche client est plus favorable au logisticien qu'au transporteur", assure le dirigeant pyrénéen, qui dispose de l'agrément OEA.

Aguerri à la prise de risques dans les affaires, Steve Mangin n'a pas hésité à acquérir des outils pour le e-commerce alors qu'il n'avait pas encore de clients pour ce marché. "Je suis allé à leur rencontre et j'ai réussi à les convaincre en mettant en avant les équipements récemment acquis… Je prends les risques à la hauteur des enjeux pour l'entreprise. Je vais à la conquête de clients qui génèrent une logistique à forte valeur ajoutée. Mon métier, c'est la finance", lance le patron de LEA Logistique, dont l'effectif compte 68 salariés (12 affectés à la logistique). L'activité logistique pèse 40 % du chiffre d'affaires, et devrait grimper à 50 % d'ici trois ans, selon Steve Mangin.

Adossement au transport

La société Transcom s'est lancée dans la logistique en 2022. Ce spécialiste du transport de grumes a alors acquis une ancienne scierie de 6 hectares en vue de la transformer en site de stockage pour le bois humide (5 000 m3 ). "Nous proposons pour ce type de bois une solution complète intégrant des opérations d'abattage, de débardage, de stockage et de transport", précise Stéphane Lamarque, le dirigeant de la société implantée à Cosne-d'Allier (03). Des prestations de logistique sont proposées à de gros industriels du secteur pour certaines spécialités de bois, comme le merrain scié ou le granulé. Stéphane Lamarque est épaulé par son fils Étienne. Au moment de sauter le pas, ils se sont fait accompagner par la Chambre de commerce et d'industrie de l'Allier et les collectivités locales. "C'était important d'être épaulés, car il y avait une mise de fonds conséquente pour nous", souligne le patron de Transcom. Il estime encore prématuré de jauger les indicateurs en termes de rémunération, mais assure que la société n'est pas contrainte en matière de politique de prix.

Lahaye Global Logistics exploite une surface de 70 000 m² d'entrepôts pour son activité en ambiant, principalement une activité de stockage pour le compte de brasseurs et de fournisseurs d'eaux. Le groupe piloté par Patrick Lahaye et ses deux fils, Matthieu et Jean-Baptiste, opère également 15 000  m² pour ses prestations dans la température dirigée (en froid positif) à destination des industriels de l'agroalimentaire auxquels il offre des prestations de stockage, de préparation de commandes, de co-packing et de cross dock. Ses principaux entrepôts de froid (certifiés IFS Logistique) sont équipés de panneaux solaires en vue de doper la part de l'autoconsommation. À l'instar de la tendance qui ressort du sondage du CNR, le groupe breton a adossé ses activités de logistique à ses agences transport (22 au total, axées Grand Ouest).

"Nos entrepôts logistiques ont vocation à optimiser nos flux de transport et à consolider ceux de nos clients", indique Matthieu Salmon, qui tient à mettre en avant "l'atout complémentarité de [ses] offres". Lahaye Global Logistics se doit de trouver de savants équilibres entre la durée courte, de 2 à 5 ans, des contrats logistiques décrochés, et la course aux nouvelles technologies de la mécanisation ou de l'automatisation pour lesquelles "les retours sur investissement sont très longs". Pour autant, le groupe a digitalisé l'ensemble de ses modules, jusqu'à la traçabilité des marchandises chargées dans le camion, au moyen du WMS Logistar.

Composer avec la loi ZAN

Les indicateurs du groupe de Vern-sur-Seich (35) sont braqués au quotidien sur l'évolution de la consommation alimentaire en France. Celle-ci est devenue totalement erratique depuis le Covid, pointe Matthieu Salmon. Les industriels doivent composer avec un consommateur dont le comportement d'achat – il navigue entre e-commerce, magasins de proximité et GMS – n'en finit plus de perturber leurs chaînes de production. Un phénomène qui serait à l'origine des ruptures récurrentes constatées dans les linéaires de la grande distribution. "En conséquence, de plus en plus d'industriels parmi nos clients ont tendance à réinstaller des stocks au plus près des points de vente, tout en augmentant le volume de ces stocks", rapporte Matthieu Salmon. Fin de l'idéologie du "stock zéro" ?

Le groupe Bert & You revendique, de son côté, une surface logistique de 500 000 m² dans l'Hexagone : 340 000 m² en propre et 160 000 m² en externe, c'est-à-dire chez le client (Lidl, Richardson et Goodyear) où les équipes du groupe opèrent. "Ce modèle permet au client de faire d'une charge fixe une charge variable", souligne Éric Cabaillé. Présent sur l'ensemble des prestations de la logistique (26 % du CA), Bert & You s'est doté d'un service implémentation associant la logistique, la DSI, le juridique et les assurances. "Cette organisation nous permet d'appréhender le dossier client dans sa globalité. C'est un véritable atout", assure Éric Cabaillé. Bert & You dispose de "logiciels calibrés pour chaque catégorie de clients".

À l'instar de Lahaye Global Logistics, le groupe basé à Albon (26) a associé conjointement logistique et transport dans sa démarche RSE. Le champ d'action intègre la consommation d'énergie, la formation du personnel, le tri des déchets et le recours à l'emploi local. Bert & You se définit comme "un 3 PL qui propose des solutions à forte valeur ajoutée". Mécanisation et robotisation figurent en pole position des investissements du groupe : robots-navettes, chaînes de tri (VLP) pour la "reverse logistique", exosquelettes (en test) pour la préparation de commandes et, comme sur la plateforme Axe 7 d'Albon, système de stockage par accumulation, dont les travées sont générées par des robots shuttle. "L'intelligence artificielle s'invite également dans nos activités de logistique. Nous l'utilisons comme une aide à la décision et à la gestion", ajoute Éric Cabaillé.

À ses yeux, la croissance externe et une collaboration logistique sur une même surface demeurent les armes les plus efficaces pour s'adapter aux contraintes posées par la loi ZAN (zéro artificialisation nette). En attendant, des projets d'agrandissement sont prévus, dans le Loiret et le Gard. Chez Lahaye Global Logistics, face à la loi ZAN, le choix a été fait – entre autres – d'optimiser et de mutualiser les flux entre différents clients.

Par Slimane Boukezzoula


Bils-Deroo, le transporteur leader de la logistique dans le Nord

Bils-Deroo est à la tête de 21 sites logistiques (850 000 m² au total). La toile du groupe basé à Sin-le-Noble (59) a été tissée dans un rayon de 40 km autour de Douai, en partie dans le périmètre de la très stratégique plateforme multimodale Delta 3 de Dourges, où a été implanté un entrepôt de 114 000 m² (quatrième plus gros de France). Seuls deux sites (à Bourges et au Mans) ne sont pas dans le Nord-Pas-de-Calais. Bils-Deroo, au travers de sa filiale logistique Simastock, revendique le rang de numéro un de la logistique dans la région Nord.

La logistique est devenue le premier pourvoyeur de fret de Bils-Deroo Transports. ©Bils-Deroo Transports

La logistique est devenue le premier pourvoyeur de fret de Bils-Deroo Transports. ©Bils-Deroo Transports

Dans les années 1990, le groupe nordiste de TRM s'était lancé dans une boulimie d'acquisitions. Jusqu'à l'accident, en 2002. "Cette défaillance nous a fait prendre conscience de la nécessité de réduire la voilure du TRM au profit de la logistique. Nous possédions une flotte de 700 véhicules (120 aujourd'hui) et 1 500 remorques, sans compter les tractionnaires. Il faut apprendre de ses erreurs", confie Jimmy Bils, au volant de l'entreprise depuis 2010. Dix ans avant son arrivée aux manettes, la logistique pesait 20 millions d'euros sur un chiffre d'affaires de 140 millions. Sa part s'est hissée en 2024 à 110 millions d'euros (1 300 salariés sur un total de 1 800) pour un revenu global de 220 millions.

"L'activité logistique est devenue le premier pourvoyeur de fret de Bils-Deroo Transports. Neuf fois sur dix, lorsque nous décrochons un client logistique, il devient un client transport", déclare Jimmy Bils. La Simastock rayonne sur l'ensemble des métiers de la logistique : stockage et préparation de commandes de pièces détachées pour le compte de Renault, e-commerce, manutention de marchandises… Les projets à court terme ne manquent pas. Un nouvel édifice de 120 000 m² – zéro carbone – devrait sortir de terre d'ici deux ans à Somain (59). Il sera embranché fer. De quoi recevoir et expédier deux trains par jour, jusqu'à l'Europe de l'Est et l'Asie, selon Jimmy Bils.

 

Trois questions à… France Beury, directrice des affaires publiques et de la communication de l'Union TLF

Que regard portez-vous sur la conjugaison entre transport et logistique au cœur de la supply chain ?

Nous constatons que les sujets deviennent intrinsèquement liés. Cette évolution s'inscrit dans une logique, celle de la prise en compte globale de la supply chain. De plus en plus de problématiques imposent que les deux scopes agissent en commun et fassent filière en ne parlant que d'une seule voix. Je pense, par exemple, aux réglementations de solarisation du bâti logistique et des parcs de stationnement.

La loi ZAN (zéro artificialisation nette) peut-elle constituer un frein à la conversion des transporteurs à la logistique ?

Tout à fait, car il s'agit d'une contrainte supplémentaire à toutes ces procédures avec lesquelles il faut déjà composer. Il en résulte une forme d'insécurité, tout du long, pour les investisseurs. À notre sens, la règlementation ZAN ne prend pas en compte l'existence des nouveaux bassins économiques où apparaissent de nouvelles usines et, par conséquent, des besoins en matière de logistique.

Existe-t-il d'autres contraintes ?

Oui. Je pense à l'autorisation d'exploitation commerciale pour les nouvelles constructions logistiques [émanation du projet de loi de simplification de la vie économique, ndlr]. Une commission passe à la loupe les incidences de l'ouverture d'un nouvel entrepôt sur l'aménagement du territoire, l'environnement ou la protection du consommateur. Nous plaidons pour l'abrogation de cette disposition car la filière ne pourrait supporter une contrainte supplémentaire qui viendrait fragiliser la logistique de demain.

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