Cartes carburant : à l'heure de la transition, le multi-énergie devient la norme

Chez les pétroliers et les transporteurs, le terme "carte carburant" reste d'usage pour désigner les cartes servant au paiement des pleins dans les stations-service. Mais il serait plus juste de parler de “carte énergie”, car ces supports permettent désormais d'acheter presque toutes les énergies disponibles. C'est d'ailleurs le nouveau vocabulaire marketing adopté par les fournisseurs, qui mettent en avant leurs cartes multi-énergies.
Une même carte permet ainsi de s'approvisionner en gazole, en HVO (commercialisé en station depuis juillet dernier), en GNV, ou de recharger les batteries des camions électriques. Cette évolution, portée par la transition énergétique du TRM, entraîne à la fois l'extension du réseau d'acceptation et le développement de nouveaux services.
Cartes multi-énergies et multi-enseignes
Chez TotalEnergies, la carte Fleet donne accès à 3 300 stations du réseau et permet la recharge électrique, aussi bien dans les stations équipées que chez des partenaires. Sa filiale AS24 déploie aussi de nouveaux points de distribution multi-énergies. En mai dernier, l'entreprise a inauguré à Plessis-Pâté (91) une station poids lourds proposant gazole, biogaz, HVO et trois bornes de recharge électrique de 400 kW. La carte AS24 permet d'y régler le carburant, tandis qu'une carte RFID “Charge+ Truck” est dédiée à la recharge électrique, également compatible avec les solutions de recharge en dépôt installées par Total depuis 2023. Selon AS24, cette station marque le coup d'envoi d'un programme d'ouverture de plus de 20 sites supplémentaires en France et en Europe.
Les cartes multi-énergies sont également multi-enseignes pour permettre les ravitaillements autant dans les stations traditionnelles qu'aux bornes de recharge. Shell, dont la carte professionnelle permet déjà le ravitaillement en GNL dans son propre réseau de stations, a par exemple noué un partenariat avec Enerjump afin d'étendre l'acceptation de sa carte aux stations de Gaz'Up depuis fin 2024. La Shell Card donne accès à plus de 2 500 stations-service, y compris celles d'E.Leclerc, Esso, BP, Avia, Molgas (GNL), ainsi qu'à près de 800 000 bornes de recharge pour VE en Europe.
Une seule carte suffit désormais pour payer carburant, biogaz, HVO ou recharge électrique. ©Milence
De son côté, DKV Mobility a ajouté l'achat de HVO à sa DKV Card (dans 1 800 stations européennes) et étend son réseau d'acceptation en stations GNV en France via un partenariat avec Seolis notamment. L'opérateur allemand propose aussi une version +Charge de sa DKV Card, acceptée dans près de 145 000 points de recharge publics en France.
Chez UTA, la carte carburant est acceptée dans les stations de près de 12 fournisseurs, y compris de la grande distribution, soit environ 88 000 points de ravitaillement en Europe. Le prestataire la complète avec l'UTA eCharge pour la recharge électrique et étend progressivement son réseau d'acceptation, via des partenariats avec des opérateurs tels que Powerdot (qui accepte la carte eCharge depuis cet été dans ses 8 000 points en Europe), ChargePoint ou Fulli, filiale d'APRR et AREA, et revendique à date jusqu'à 900 partenaires et plus de 925 000 bornes compatibles.
Toujours plus de services digitaux
Le passage aux cartes multi-énergies est également l'occasion d'étoffer les services digitaux en intégrant de nouvelles fonctions aux portails web de gestion ou aux applications mobiles. Dans un contexte de digitalisation croissante, les opérateurs de cartes carburant associent au support de paiement un ensemble d'outils numériques. Outre les portails web de gestion (commande, paramétrage, blocage des cartes), ils enrichissent leurs offres avec des solutions de gestion de flotte, de suivi des coûts ou de planification des entretiens.
DKV Mobility a ainsi lancé en juin dernier le logiciel DKV FMS de suivi global des coûts de la flotte, mais aussi de rappels automatiques pour les inspections des véhicules et les contrôles des permis de conduire. Cet outil de gestion de parc se destine aux PME de moins de 100 camions et peut être utilisé indépendamment de la DKV Card. "Les opérations des flottes sont coûteuses, mais manquent souvent de la transparence nécessaire pour identifier les coûts réels et les économies potentielles. Notre nouveau logiciel de gestion de flotte DKV FMS fournit des informations fiables et détaillées, permettant un meilleur contrôle des dépenses et aidant les entreprises à optimiser les coûts de leur flotte de manière ciblée", affirme Markus Präßl, directeur ventes et service client de DKV Mobility.
Chez Shell, la solution Fleet Hub et l'option Fleet Insights permettent de coupler les données des cartes carburant à celles provenant d'un système télématique (Geotab) afin de contrôler les pleins (ou recharges électriques), les consommations ou les kilométrages en vue d'anticiper les échéances d'entretien. Pour les véhicules électriques, l'outil sert aussi à analyser les itinéraires et les consommations pour prédire les horaires et localisations des points de recharge optimaux.
Les cartes professionnelles évoluent avec la transition énergétique et la digitalisation des services. ©AS24
Avec son orientation vers la recharge électrique, TotalEnergies propose sur son portail Mobility Business non seulement des tableaux de bord des dépenses réglées avec la carte Fleet et des options de paramétrage, mais aussi un outil de comparaison des coûts liés au potentiel verdissement de la flotte. À noter que certains fournisseurs, également opérateurs de télépéages, intègrent des fonctions de géolocalisation des véhicules ou d'analyse des données techniques via leurs télébadges et boîtiers télématiques.
Vers la dématérialisation de la carte carburant
À terme, avec la tendance à la dématérialisation sur smartphone des moyens de paiement, les cartes physiques pourraient être amenées à disparaître au profit d'applications mobiles. Ce qui permet aux opérateurs de mobilité d'enrichir régulièrement leurs offres de services digitaux.
UTA a ainsi lancé en avril dernier une nouvelle application mobile, UTA Edenred Drive, qui numérise la carte carburant EasyFuel et réunit plusieurs fonctionnalités auparavant distinctes : la recherche de stations par type et tarifs d'énergies, le blocage à distance des cartes ou la fonction eCharge de localisation des bornes de recharge sur le trajet.
De mêmes applications sont disponibles chez les concurrents : App&Go de DKV permet le paiement sans contact et l'accès aux factures, MyCard de Total Mobility Business associé à la carte Fleet informe sur les stations du réseau et les points de recharge électrique ou permet de gérer les notes de frais. L'application FleetManager d'AS24 donne accès à des tableaux de bord d'utilisation des cartes et des transactions ou à des alertes. En outre, la digitalisation peut impliquer la sécurisation des cartes de paiement.
Des cartes plus sécurisées
Avec la hausse de la cybercriminalité et des fraudes, le renforcement de la sécurité des cartes reste un enjeu majeur pour les fournisseurs. Objectif : restreindre les risques d'usage abusif de ce moyen de paiement. Les cartes comme celles de Total/AS24 ou de C2A disposent de puces (et non pas d'une simple bande magnétique) avec un système de cryptage des données. À l'image d'une carte bancaire, elle est associée à un code PIN individuel à saisir lors de l'utilisation en station. Via leurs portails web de gestion, les fournisseurs proposent des systèmes de blocage à distance des cartes ou de paramétrage des droits d'accès (horaires d'utilisation, zone géographique, plafond d'achat maximum…).
La fonction UTA Cardlock permet par exemple de bloquer une carte, de recevoir des alertes à chaque transaction ou de détecter des fraudes éventuelles. Sur sa nouvelle application UTA Edenred Drive qui digitalise la carte carburant, l'opérateur a intégré une double authentification avec un code PIN et une sécurité biométrique en option pour une protection additionnelle. Selon UTA, la carte carburant digitale réduit le risque de piratage des données sur les terminaux publics (skimming, ou opération de clonage des informations d'une carte bancaire à l'aide d'un dispositif secrètement ajouté au terminal de paiement).
Le portail client Cockpit chez DKV ou l'offre Infinite chez AS24 offrent des services similaires de blocage et de paramétrage des droits d'accès aux cartes carburant. De plus, AS24 a lancé en 2023 l'option Card Control, qui comprend l'envoi d'un SMS au conducteur afin d'activer à distance l'utilisation de sa carte pour 1 heure, le temps de faire le plein. En cas de perte ou d'oubli de la carte, il est également possible de transmettre au conducteur un code virtuel d'identification unique pour valider l'achat de carburant sur un automate sans avoir à y insérer le support de paiement.
Cette fin septembre, C2A lance une carte "flotte" avec un système de paiement agréé par la Banque de France qui permet d'affecter une carte corporate à un véhicule ou à un conducteur. Selon C2A, cette avancée permet notamment de couvrir les usages de flottes partagées où les véhicules ne sont pas attribués à un chauffeur précis, de gérer les trajets en double équipage, et de fournir un moyen aux nouveaux conducteurs de l'entreprise d'effectuer le plein. C2A souligne que cette carte flotte est une carte bancaire Mastercard sûre (puce, PIN, contrôles en temps réel), accessible sans caution financière, et qui permet de régler toutes les dépenses en Europe (essence, recharge, parking, ferry, hôtel, repas, etc.) préalablement autorisées par l'entreprise.
Par Renaud Chasle
Des cartes pour la recharge électrique au dépôt ou en itinérance
À l'image de Total/AS24 qui propose sa carte à la fois pour la recharge électrique en station et au dépôt des transporteurs, de plus en plus de fournisseurs de solutions associent des cartes d'identification à leurs bornes privatives. Sous la forme d'une carte à puce, d'un badge ou d'une application mobile, ces "supports d'achat" de recharge électrique au dépôt peuvent être fournis aux conducteurs, aux gestionnaires de parc ou à des transporteurs partenaires, dans le cas de solutions mutualisées de recharge sur site.
Elles permettent d'identifier les conducteurs ou camions avant d'autoriser la recharge, de définir des droits d'accès ou des plages horaires pendant lesquelles la recharge est possible. Bien souvent, la carte est connectée à un logiciel de supervision des bornes qui définit les priorités de recharge ou les puissances à allouer entre différents véhicules en fonction du besoin en autonomie ou du tarif de l'électricité en temps réel. L'outil permet de mesurer les consommations d'électricité par véhicule à chaque borne, les coûts associés et d'accéder à des rapports détaillés d'utilisation.
De telles cartes sont notamment proposées par TotalEnergies, Shell Fleet Solutions, Watt'Up, UTA, ChargePoint, Beev ou Mobilize. De plus, des cartes sont également disponibles pour le paiement de la recharge électrique en itinérance dans les quelques stations déjà ouvertes en France. Milence peut ainsi fournir sa propre carte donnant droit à un tarif préférentiel du kWh, et accepte dans ses neuf stations françaises les cartes de fournisseurs partenaires parmi lesquels Avia, DKV, Shell ou UTA.
Dans les stations du corridor Paris-Lyon conçues par APRR et Engie, les cartes carburant professionnelles sont acceptées, de même que la solution Fulli (filiale d'APRR) ou l'application Engie Vianeo, qui permet d'enregistrer une carte bancaire pour payer la recharge électrique des camions.